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L’Université, « un espace transitionnel de Je »

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 122-126)

La question de la plainte.

IV.2 Intégration du social dans le psychisme du sujet

IV.2.2 L’Université, « un espace transitionnel de Je »

« La nouveauté adulte est de l’ordre d’une altérité crée ».

xciii Nous parlerons ici de dépressivité au sens de Gutton (1986) comme «la disponibilité à ressentir l’affect dépressif » plutôt que la dépression « qui donnerait des représentations à l’affect dépressif ».

Ph. Gutton

La capacité à mettre en place des liens intersubjectifs dépend étroitement du processus de deuil auquel ont obéi les liens avec les objets internes. Se confronter à la mort de l’objet, c’est le risque de sa propre disparition, mais cette confrontation permet aussi l’engagement personnel qui angoisse et implique de faire un choix, c’est-à-dire, par l’épreuve de la castration, d’accepter de renoncer à tous les autres possibles. Bien souvent, les étudiants que nous recevons en consultation préfèrent attendre sans savoir comment s’insérer dans l’histoire, ni prendre possession de leur vie, porteurs d’une dépressivité associée à des idées suicidaires.

Ce sont des personnalités éclatées qui se plaignent d’être incapables de se concentrer intellectuellement, et de mettre en place des relations affectives et sociales satisfaisantes. Dans ces conditions, l’avènement d’un Moi social est difficile, et l’espace sociologique devient un « roc » pouvant empêcher ou retarder la construction identitaire dans le processus d’ adultisation.

L’analyse de la construction du Moi dans le champ social par Jean-François Kahn (2001) reste à cet égard intéressante : L’individu ne saurait avoir conscience de soi ni se rapporter à sa propre personnalité sans passer d’abord par autrui, c’est-à-dire aussi bien par « l’autre » comme individu singulier et privé que par les «autres » comme groupe social partiel ou global. « L’autre est nécessaire à notre avènement » écrit Kahn. Si la relation à l’autre est essentielle à la constitution du Moi, cette relation doit être plurielle et sociale. La médiation sociale permet l’authentique reconnaissance des uns par les autres et, en conséquence, la constitution d’un Moi qui fonde l’individu. L’autre est saisi par le Moi au travers de sa fonction sociale et des différences concrètes qui le constituent (situation professionnelle, rôle sur le marché, fonction, signes d’appartenance, expression idéologiques et croyances). C’est par la médiation « des autres » que la relation à l’autre peut se construire comme reconnaissance réciproque et comme authenticité. Et cela n’est possible et fécond que parce que l’homme, l’individu, n’est pas par nature « un loup pour l’homme », comme le croyait Hobbes. Les individus peuvent se construire et s’épanouir par la médiation des autres, s’ils sont reconnus dans leurs propres différences en même temps que dans leur universalité. Les autres sont des « re-fondateurs catalytiques de ma relation à l’autre » (Kahn, 2001). L’homme est aussi un être social et nous vivons tous dans des mondes historiques et situés. Ainsi il est vrai que le travail de subjectivation (Cahn, 1998b) précédemment évoqué a pour fonction de créer un espace psychique personnel, de permettre la différenciation entre le soi et le non soi.

Il s’inscrit dans une société donnée, en l’occurrence une société occidentale prônant l’autonomisation et cultivant l’individualisme. Le contexte social nourrit (ou appauvrit) la construction du Moi, mais n’est pas premier ; c’est ici que notre analyse diverge de celle de Khan.

Le processus d’ adultisation, qui trouve son origine dans l’intégration des pulsions et l’articulation des instances psychiques, s’affine et s’affermit par une rencontre du social, en particulier à la post-adolescence. Or, le réseau social ne fournit plus de sens indiscuté ni de soutien rassurant pour ce processus.

L’étudiant primo-inscrit qui s’identifie à un nouveau corps, aux contours très flous, dont il n’a pas la maîtrise et n’en connaît pas les us et coutumes, se dégage du corps familial qu’il connaît bien, sur lequel il peut au contraire exercer un certain pouvoir, voire un contrôle. C’est bien une prise de distance qu’il lui faut accepter de vivre, distance du corps parental physique et psychique pour intégrer un corps social dans lequel le sujet peut évoluer et se construire. Faute de ce passage vers ce corps social, les objets parentaux restent maintenus sous contrôle à la périphérie du Moi.

L’engagement des étudiants dans la vie universitaire est faible (taux de participation faible aux élections universitaires), le temps est à meubler…L’espace social universitaire ne fournit pas de cadre transitionnel étayant dans ce processus ; il peut même, à l’image d’un traumatisme, l’interrompre.

« Devenir étudiant est pour un jeune bachelier une expérience de désocialisation (…) L’entrée à l’Université est une expérience traumatisante. Aucun lien n’existe entre les étudiants ni a fortiori aucune structuration de leur monde. Ils décrivent leur univers alternativement comme la masse et le désertxcv ».

Cet étayage par le corps social nous apparaît être une nécessité. Ce corps social universitaire est à envisager sous la forme d’une structure encadrante indispensable à la finalisation de « l’instauration d’un espace psychique personnel » (Cahn, 1998a).

L’Université offre-t-elle suffisamment un « champ transitionnel », ou un espace potentiel (au sens de Winnicott) dans lequel se développe, sur un fondement plus ou moins anaclitique, le jeu des transferts et contre transferts alimentant la névrose de transfert xcvi ? ». Guillaumin, utilisant cette expression à propos de l’intériorisation déterminante au cours d’une cure psychanalytique, il nous apparaît que l’expérience étudiante devrait conduire à cette

xcv Lapeyronnie D., Marie J.L, 1992, p. 29. xcvi Guillaumin J., p 269.

intériorisation par le processus d’adultisation, menant vers une capacité à l’altérité et à l’engagement dans une relation positive et créative et non pas dépressive avec la réalité, faute d’un deuil impossible des objets parentaux. « Le renoncement à la maîtrise et au déni de la séparation que suppose l’utilisation de l’objet scolaire à des fins narcissiques permet aux paradoxes de l’aire ‘‘préparationnaire’’xcviide s’élaborer dans un second temps, dans une expérience créativexcviii ». Cette expérience de créativité débouche sur une création de l’autre par la rencontre avec l’autre. Gutton parle de « la place du désir d’enfant comme symptôme d’adultitéxcix », alors que l’adolescent serait tourné vers ses parents, l’adulte le serait vers sa descendance. Ce changement de regard implique un désinvestissement objectal.

xcvii Un parallèle est ici mené avec les qualités de l’aire transitionnelle, du « doudou » à l’expérience culturelle, telle que le définit Winnicott. xcviii F. Poncet C.-M., 1998, p. 33.

IV.2.3 Confrontation du jeune adulte au « roc sociologique »

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 122-126)