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Expérience première de satisfaction, ressenti de la demande, réalisation du désir

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 197-200)

Aliénation au narcissisme des parents, sexualité et conquête de l’altérité

III.2 Parole du jeune adulte et avènement du désir

III.2.3 Expérience première de satisfaction, ressenti de la demande, réalisation du désir

Au cours de cette séance, Jeanne se présente habillée en t-shirt moulant décoré de fleurs au milieu desquelles est écrit la mention « Rock Spirit ». J’associe immédiatement au Rock’n’roll et aux mouvements de hanches sur les banquettes arrières des voitures.

Ce week-end de fête des pères, elle ne s’est pas rendue chez elle, me dit « n’avoir pas eu

envie de rentrer » et s’avoue « plutôt contente de ne pas y être allée ». Elle a réfléchi à notre

dernière séance et se dit « qu'à un moment donné, il faudra en parler à son père ».

« Je ne sais pas trop où je me situe, je ne suis pas vraiment là…en apesanteur, comme si je percevais pas les choses, c’est la première fois que j’y vais pas délibérément ».

« Je culpabilise un peu de penser qu’à ce dont j’ai besoin ».

L’expérience de son propre ressenti lui permet de découvrir un nouvel espace psychique de liberté à investir. En tant qu’expérience de subjectivation nouvellement élaborée, le sujet se sent déconcerté devant une telle nouveauté témoin du « vrai self en action » (Winnicott, 1960). La culpabilité, en référence à des identifications introjectives à l’objet, autour de l’élaboration du désir, peut alors se formuler, témoin du travail du Moi pris entre le Ça et les exigences du Surmoi, jusqu’à une forme d’immobilisme abordée précédemment :

« Je ne suis pas vraiment là ».

« J’ai tenté une expérience personnelle, j’ai fait l’amour avec John pour moi et ça a marché, pour voir si je pouvais encore ».

Elle évoque alors la culpabilité de l’avoir fait pour elle parce que « normalement, c’est

l’union, la fusion, le partage ».

Je note au passage qu’elle re-investit sa sexualité pendant le week-end de la fête des pères.

« On se laisse pas aller à ses envies tout le temps ! Une fois qu’on se laisse porter par ce qu’on ressent, ça sort, c’est effroyable. Ca change beaucoup de choses, ma vision des autres, ça m’éloigne de lui, je peux me passer de lui si je veux, c’est horrible ! ».

L’expérience de la génitalité associée à la découverte du plaisir place le sujet dans une position d’altérité face à l’autre. Jeanne fait l’expérience de John en tant qu’objet infantile qu’il lui faudra faire passer ou non sur la scène génitale adulte, dans une relation amoureuse à construire ou non. Jeanne évoquera dans la suite de l’entretien la perspective de nouvelles formes de rapport au monde. La rupture de sens aura désorganisé un univers intime ordonné, avec un surgissement de l’angoisse de mort en lien avec sa sexualité. Ce surgissement est un point crucial de l’avènement de ce que nous qualifions temps de la sexualité sociale.

Le trauma, vécu comme une agression narcissique majeure vient perturber la continuité psychique du sujet par une modification de ses représentations antérieures du monde : « ça

change beaucoup de choses, ma vision des autres ».

Rapporté au concept de post-adolescence, la notion de traumatisme s'applique dans le sens d’une nouvelle naissance à un environnement. L’environnement psychique doit se dépeupler, les objets maintenus à la périphérie du Moi seront introjectés, plongeant le sujet dans une sensation intense de solitude. à l’image de ce que vit Jeanne.

« Je me suis efforcée de structurer ma vie, je suis toute seule…j’ai envie de camper ici…vous ne m’aidez pas…dehors je suis toute seule ».

Placée devant son désir, c’est l’expérimentation d’une sensation de solitude intense qui se vit, derrière laquelle se cacherait un sentiment de honte. Ce passage est à notre avis extraordinaire dans son travail thérapeutique. Elle fait ainsi l’expérience « de la capacité à être seul » (Winnicott,1958) sous le regard du thérapeute, signe d’un travail d’intégration pulsionnel du Moi. Les pleurs, qui apparaissent pour la première fois depuis le début de nos entretiens, seraient à mettre en rapport avec des parties du Moi identifiées à l’objet, dont elle élabore un travail de deuil. L’expérience et la satisfaction de son désir, la renvoient-elle à l’expérimentation de la « pulsion personnelle » ? (Winnicott,1958). C’est l’hypothèse que nous avançons ici. L’expérimentation de cette pulsion personnelle non reçue, place le sujet devant le vide angoissant d’une non-réception et la honte de lui-même. « Les excitations instinctuelles peuvent toutefois s’avérer traumatisantes lorsque le Moi n’est pas encore capable de les inclure et n’est pas encore en mesure de contenir les risques impliqués et les frustrations vécues jusqu’au moment où la satisfaction du Ça est réaliséecxliii». La difficulté ultérieure de l’investissement de nouveaux objets replace le sujet en situation traumatique de répétition d’une blessure narcissique, source possible de honte . Cette blessure serait liée à la non-réception de la pulsion par un tiers dans un refus de contact.

cxliii Winnicott D.W., 1960, p.117.

Dans le cadre de la relation thérapeutique, la rencontre fondamentale avec ses sensations propres, l’élaboration de sa demande à un tiers et par là- même l’actualisation du désir, gage de subjectivation, lui permet d’opérer une rencontre fondamentale tant redoutée avec elle- même. Les entretiens qui suivent nous confirment le travail de subjectivation en cours.

Extraits du septième entretien.

« Je dors moins bien, mais ça va mieux ! Je cauchemarde.

Je n’ai plus trop peur comme la dernière fois, mais je sais pas vraiment où j’en suis…

Je pense que ça va mieux, peut-être que la difficulté c’est de ne pas se laisser submerger par les gens autour de moi…pour plus sentir…mais ça, c’est pas encore facile, y a toujours quelqu’un pour raconter ses trucs. Peut-être que j’ai un peu changé de vision légèrement, mais les autres non ».

Son changement de vision sur le monde vient signifier un travail thérapeutique qui s’opère.

« Moi, j’ai l’impression de ressentir, la douleur, la souffrance des gens (Je reprends l’image du sac à dos qu’elle porte) (…) sinon, c’est non-assistance à personne en danger, en tous cas pour les gens autour de nous.

J’avais l’impression que les gens avaient besoin de moi ».

Psy : Comme si vous ne pouviez pas empêcher les gens de rentrer en vous ?

« Oui, parfois, surtout quand c’est des gens proches…je suis même submergée par ma mère ».

Psy : Même dans l’absence, elle submerge ?

« J’ai l’impression qu’elle est toujours là, on pourrait être nous-mêmes, mais de toutes façons, elle nous empêcherait d’être nous-mêmes là-bas, en nous faisant culpabiliser, en étant triste, en piquant sa crise.

Si on allait très loin, si on la voyait jamais, ça serait plus facile…ce qui est difficile c’est de retourner là où on est submergé…On devient un peu blasé…Je vois pas le juste milieu entre s’impliquer et être blasé, il faut se protéger, penser à soi…comme s’anesthésier…Il faut se couper de la situation…Malgré tout, ça nous submerge, il faut que tout passe par elle ».

Le cas de Jeanne nous permet de confirmer combien le travail thérapeutique avec le jeune adulte, nous amène sur une ligne de crête génitale vers une assomption sans honte du désir. Cette expérience, parce que située à l’articulation avec le social, en butée au « roc sociologique » via l’espace de la thérapie, qui plus est dans un service commun universitaire, devient thérapeutique. Elle permet l’ouverture et l’accès à des processus de sublimation, garants de l’investissement de nouveaux objets. Elle met en perspective la possibilité d’une pacification dans la relation à ses imagos, en mettant de ce fait à rude épreuve le thérapeute, sur qui se fait ce travail de deuil et de renoncement dans l’amour et dans la haine.

Effectivement ce qui est élaboré maintenant est de l’ordre de la tristesse devant le travail en cours de deuil de l’objet. L’inconsistance parentale qui s’offre à Jeanne la met dans une position difficile de perte des objets infantiles, sans pour autant qu’elle présente de pathologie limite. Ce travail de deuil place le sujet dans une sensation de solitude, solitude à habiter de

lui-même ou le plaçant devant le risque d’effroi traumatique. L’élaboration de la position

dépressive, via l’acceptation de la perte et la castration, devra permettre à Jeanne de retrouver une position agressive en vue de nouveaux investissements objectaux dans un processus « d’adultisation » (Alléon et al., 1985).

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 197-200)