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phénomène commun de massification

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 30-35)

L’Université de La Réunion est une jeune Université en forte progression, tant du point de vue de son effectif que de la construction des locaux. Ce qui était jusqu’en 1982 un centre universitaire devient à cette date une Université de « plein exercice » ne dépendant plus des instances d’Aix-en-Provence. Le contexte démographique de La Réunion et, en partie, celui des îles avoisinantes, favorise une augmentation importante de la masse étudiante.

Années Nombre d’étudiants 1965-66 406

1975-76 1611 1985-86 3665 1994-95 8216 1999-00 10329

Evolution du nombre d’étudiants à l’île de La Réunion de 1965 à 2000 Source : Université de La Réunion.

Les années 90 représentent une période importante pour l’Université avec la construction des nouvelles facultés de Droit, Lettres et Sciences, d’une nouvelle bibliothèque, d’un centre sportif et d’un centre de promotion de la santé. En 10 ans, la population étudiante a presque triplé… ce qui n’est pas sans rappeler le phénomène de massification qu’a connu la métropole depuis 30 ans avec l’inscription d’étudiants qui ne l’auraient pas fait auparavant. Plus de la moitié de ces étudiants ont ainsi des parents qui n’ont pas fait d’études universitaires. Ils sont donc moins bien préparés, notamment aux codes et aux rituels de l’Université, que ceux qu’on appelle les héritiers, c’est-à-dire les étudiants qui y allaient de père en fils.

Nous sommes ainsi passés d’une Université élitiste à une Université de masse. Les Universités métropolitaines ont, quant à elles, vu leurs effectifs augmenter de façon considérable dans les années 60. Malgré l’ampleur des mesures prises, la montée des effectifs fut mal vécue et les échecs et abandons ont été considérables. Même si diverses mesures palliatives ont été mises en place, les échecs, surtout en DEUG, restent importants (30 à 40%)vii. La massification entraîne une concentration de personnes qui ont du mal à se repérer. La plupart des étudiants décrivent leur arrivée et leurs premières impressions en des termes négatifs, se sentant perdus et isolés.

Ce malaise profond se traduit par l’ennui, un vécu difficile de la solitude, une envie d’abandon ou de fuite hors des structures quotidiennes. Quand le milieu est structuré, ses attentes sont facilement identifiables, les conduites s’ajustent au cadre universitaire, le rôle et le statut de l’étudiant sont clairs et l’individu peut s’intégrer. Mais quand l’univers est désorganisé, les statuts et les rôles ne sont pas définis et l’intégration dans un milieu devient plus difficile. Les conduites ne peuvent correspondre à une institution qui n’a pas d’attentes particulières.

Pour Alain Touraine, « l’étudiant est chassé de l’Université traditionnelle et n’est pas admis dans le monde de l’emploi. Il n’est nulle part et dans ce vide ne peut vivre son rejet de deux univers qui l’expulsentviii». La désorganisation de l’Université condamne donc l’étudiant à se retirer et à se désimpliquer de la vie universitaire, étant donné son absence de finalité. Les étudiants apparaissent comme des victimes, incapables de trouver des repères collectifs dans l’Université de masse, leurs conduites allant du retrait de la vie universitaire au repli vers la vie privée, de la consommation utilitaire des diplômes à la volonté de réussite individuelle et à la priorité donnée à l’existence personnelle.

Le développement de masse apparaît comme un facteur d’éclatement du monde étudiant et de précarisation, par référence à la dégradation de la situation économique et sociale des étudiants et de leurs conditions de travail.

Le chômage à l’île de La Réunion touche 40 % de la population active et 59% des 15-25 ans. L’intrusion brutale de la société de consommation a accru l’équipement des ménages mais aussi le surendettement. Le nombre de boursiers sur critères sociaux représente 18,6% des étudiants en métropole pour un taux de 43% à La Réunion (Valette, 1998), soit près d’un étudiant sur deux. L’assistante sociale du service note une augmentation des demandes

vii Fave-Bonnet, M. F., 1998, p. 465. viii Touraine A. et al. , 1978, p. 206.

financières pour des étudiants non boursiers. De plus en plus fragilisés quant à la gestion de leur vie matérielle caractérisée par cette précarisation économique du statut d’étudiant, ces derniers sont en outre exposés de façon accentuée aux menaces du chômage pour leur entrée dans la vie active sur le marché du travail à La Réunion : « L’absence de perspectives de débouchés et d’emplois pour une jeunesse pourtant bénéficiaire d’un accès aux études supérieures ne constitue pas le moindre des paradoxes. Cette situation est d’autant plus perturbatrice de l’équilibre psychologique lorsque ceux de leurs camarades ayant interrompu leurs études plus tôt, trouvent parfois un emploi. C’est l’image de la réussite par les études qui s’écroule subitement et met en péril l’ensemble du système de représentations socialesix ». Pour Lapeyronnie et Marie (1992, p.123) l’Université n’assume plus son rôle de socialisation ni de formation professionnellex.

Les diplômes subissent ainsi une dévaluation ; l’étudiant se serait transformé en un personnage à la « vie de marginal, de déraciné ». Cette tendance développe un sentiment de frustration car l’Université est perçue uniquement comme un « fournisseur de diplômes » et non comme un lieu de formation à la vie, à un métier futur.

Les étudiants constituent aujourd’hui une catégorie complexe regroupant des individus nombreux, d’origine sociale, culturelle, scolaire très différentes. Une partie des nouveaux arrivants à l’Université est mal préparée à l’exigence actuelle des études universitaires. Les auteurs constatent d’ailleurs que les étudiants de milieu populaire s’adaptent difficilement à l’Université : « Issus pour la plupart de milieux modestes, ces étudiants n’ont pas l’héritage social suffisant pour ne pas être à la fois trop scolaires ou ne pas chercher à se conformer à un modèle excessivement scolaire. Mais ils perçoivent bien que leur handicap est précisément dans leur bonne volonté et leur incapacité à faire preuve de la culture suffisante par le détachement et l’originalité que l’on attend d’euxxi ».

ix Valette F, 1998, p. 19.

x Est-ce là son rôle ? Rappelons qu’à l’origine l’Université est faite pour ‘‘elle-même’’. Son objet étant l’accès à la Connaissance via la production de savoirs par le professeur qui en est le centre. Par son autonomie, elle n’aurait ainsi de compte à rendre à personne. Il y aurait ainsi un malaise persistant au sein de l’Université française sous forme de non-dit concernant ses rôles et missions à l’origine de sa création, à l’opposé des attentes actuelles qui portent sur elle.

I.6.1 Caractéristiques de la demande de consultation

psychologique des étudiants au Service Universitaire de

Médecine Préventive de l’Université de La Réunion

xii

L’état de santé de la population à l’Université est souvent méconnu ; peu de travaux y sont consacrés, probablement en raison du caractère non homogène et peu structuré de ce groupe social. Cette population étudiante est supposée en bonne santé car jeune, et échappe souvent à la surveillance de la médecine universitaire par défaut d’assiduité aux visites proposées et par le peu de moyens financiers et humains dont dispose cette dernière.

En 1987, deux services de l'Université dressaient un constat identique sur les difficultés que rencontraient certains étudiants, difficultés qui s'exprimaient au cours des entretiens d'orientation pour le Service d’Information et d'Orientation ou d'entretiens médico-sociaux pour celui de la Médecine Préventive Universitaire (MPU). Chacune de ces rencontres laissait transparaître, derrière la demande spécifique (aide à l'orientation ou aide médicale), une personnalité fragilisée qui recherchait un soutien. Dans les deux cas, les interlocuteurs se sentaient désarmés et surpris par l'anxiété, disproportionnée au regard de la simple demande formulée. C'est ce constat, marqué par l'urgence qui permit de mettre en place une consultation psychologique.

Du fait de sa mission, le service prend en charge les problèmes de santé des étudiants en leur offrant une structure d'accueil tournée vers la prévention et le soin. Les textes de loi lui font obligation de convoquer systématiquement les étudiants inscrits pour la première fois à l'Université. Sa tâche consiste à dresser un bilan médical avec un point sur les vaccinations, la contraception, etc., et un bilan social pour ceux susceptibles d'éprouver des difficultés dans ce nouveau milieu. C'est au cours de ces différents bilans que souvent la demande d'aide psychologique parvient à s'exprimer. Par extension, le service est devenu un lieu d'écoute dans lequel la parole blessée sera prise en compte suivant la sensibilité des différents intervenants rencontrés tour à tour (médecin, infirmière, assistante sociale, voire psychologue.) La progression en quelques années de visites spontanées pour des problèmes

xii Pour des précisions chiffrées et approfondies, cf. Vauthier M. (1998). La consultation psychologique au Service de Médecine Préventive Universitaire, Les cahiers de L’Observatoire de la Vie Etudiante, Université de La Réunion (Vol. n°1, pp. 23-26).

médicaux, gynécologiques, sociaux ou psychologiques, est une preuve du bien fondé de cette orientation.

Le premier motif de consultation chez le psychologue est souvent lié à une sensation d’angoisse diffuse associée à un mal-être général : fatigue, irritabilité, perte de confiance en soi, repli sur soi, envie d’abandonner. Devant une situation nouvelle de travail et un contexte culturel différent, l’entrée dans la vie universitaire est alors vécue comme une période de remises en cause, parfois difficiles, et de découvertes importantes (autonomie à acquérir, activités personnelles, nouvelles libertés...). Ainsi 68% des consultants sont inscrits en Deug. Voici ce que nous avons relevé de leurs premières impressions pour certains.

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« C’est la jungle. »

« J’ai été frappé par l’immensité et le monde, il y a beaucoup plus d’élèves, une véritable fourmilière.»

« En DEUG, t’es lâché dans un milieu où tu ne connais personne, tu dois te débrouiller toi- même et si tu t’en sors pas tu plonges, ça ne t’aide pas forcément à te construire. »

« Vraiment en première année, il faut arriver avec pas une faille sinon l’adaptation à la fac c’est dur, on n’a plus aucun suivi, on est anonyme.

On connaît personne, on n’ose pas demander parce qu’il y en a 5000 qui posent la même question, on se dit qu’on va être ridicule, on attend, c’est l’effet de masse. »

De nouveaux rapports avec les parents basés sur l'acceptation de l'autonomisation de leur " rejeton " se mettent en place. De plus, l'accès à l'Université de leur enfant peut être source de projection de leur part en terme de réussite sociale.

« Je n'ai pas le droit de rater, ils attendent tout de moi. »

Des vies de couple se construisent, avec une vie en concubinage qui peut apparaître pratique au premier abord. Cependant ces relations ne pourront pas faire l'économie de remaniements psychiques et de questionnements liés à la place de l’étudiant dans sa vie de couple, et à sa nouvelle identité psychosociale. Cette nouvelle vie de couple est aussi l'occasion de voir émerger des problèmes d'ordre psycho-sexuels liés bien souvent à des traumatismes antérieurs (violences intra-familiales, attouchements, inceste...). En début de cursus se révèlent ainsi des difficultés d’adaptation. L’entrée dans la vie étudiante serait un moment critique propice à des remises en questions et des remaniements touchant non seulement le mode de vie, mais aussi et surtout le psychisme de l’individu.

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 30-35)