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L’avènement d’une sexualité sociale

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 126-130)

La question de la plainte.

IV.2 Intégration du social dans le psychisme du sujet

IV.2.4 L’avènement d’une sexualité sociale

« L’amour ne sera plus le commerce d’un homme et d’une femme, mais celui d’une humanité avec une autre. Plus près de l’humain, il sera infiniment délicat et plein d’égard, bon et clair dans toutes les choses qu’il noue ou dénoue. Il sera cet amour que nous préparons, en luttant durement : deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant et s’inclinant l’un devant l’autre ».

Rainer-Maria Rilke, 1937, Lettres à un jeune poète.

c Alléon A.M., Morvan O., 1990, p. 38.

ci Ibid. p. 37. cii Ibid. p. 38.

Selon Gutton (1995), l’impasse pubertaire, au cœur de laquelle la pulsion trouve son but, mais pas son objetciii, sollicite une ré-élaboration subjectaleciv et objectale dont le déroulement reprend l’histoire en train de se défaire et se faire. Alors que « la désobjectalisation du transfert parental »cv inaugure le processus d’adultisation comme « formule conclusive de la tactique adolescens »cvi, le rapport au social doit pouvoir contenir, voire étayer ce processus. L’Université, en tant que nouveau corps social implique selon nous une modification du rapport au lien social signifiant ainsi l’entrée dans la vie adulte. Cette entrée à l’Université devient un véritable événement psychique et sociologique dans la construction identitaire du sujet, tel un rite initiatique dont malheureusement ici, le sujet ne connaît ni les règles, ni les tenants et les aboutissants.

L’ adultisation, processus qui implique un travail de deuil spécifique des images parentales qualifié « d’obsolescence » (Gutton, 1991), va trouver

une voie d’achèvement par « l’adultité », décrit de la manière suivante par Alléon, Morvan et Mouchet, (1994): « Le travail psychique amène le post-adolescent à un investissement différent du monde externe dans lequel il trouve des modèles, des idéaux qui peuvent se diversifier, se défaire, s’enrichir, se renouveler. De leur souplesse dépend la solidité et l’efficacité de la désidéalisation corrélative des objets parentaux ».

L’expérience universitaire comme support social et expérimental de ce processus, sera un temps particulier pour le jeune étudiant (en tant que mise à l’épreuve de ce qui s’est mobilisé à l’adolescence) d’intégration plus ou moins difficile de son identité sexuée et de son orientation génitale adulte dans un temps d’affermissement de cette orientation. Elle impliquera la réactivation du processus de séparation/individuation de la petite enfance avec une plainte récurrente en consultation concernant la solitude, la difficulté d’entrer en relation avec autrui, « de ne jamais rencontrer personne ».

Cependant, la question de l’intersubjectivité n’est pas uniquement à envisager dans une relation duelle, mais dans un espace psychique triangulé. Le mythe du meurtre du père primitif, repris par Freud dans « totem et tabou », est à l’origine de cette triangulation. Effectivement c’est par le meurtre de ce dernier et son érection en totem, que le contrat social basé sur l’interdit de l’inceste prend forme. C’est aussi par la dévoration de ce dernier que ses descendants peuvent se prévaloir de ses attributs. Ainsi les frères, par l’absorption du père, en

ciii Cela suppose la réunification des pulsions orales, anales et génitales. civ Cf. la notion de subjectivation selon R. Cahn (1998b)

cv Ce qui renvoie à la notion d’introjection profonde des objets parentaux développée par J. Guillaumin. cvi Gutton Ph., 1995, p.26.

sont porteurs pour l’autre, ce qui revient à dire : en lui comme en moi il y a une part de

l’imago paternelle, ou l’autre, c’est aussi moi envisagé dans une triangulation paternelle.

A partir de ces énoncés, replacés dans le contexte universitaire, nous pouvons considérer que l’entrée à l’Université contribue de manière constitutive à l’accomplissement de relations d’altérité revisitées. L’image du Père est ce qui unit les sujets et garantit en même temps leur différenciation. La découverte de l’altérité se vit donc par la découverte ou l’appropriation de cette image qui se donne à voir à travers l’objet de Connaissance. L’accès aux études supérieures universitaires, par leur caractère universel, place le sujet dans un rapport de triangulation grâce à l’acquisition de la Connaissance via une mère phallique. Cette dernière, à condition de se substituer à une mère archaïque possessive et intrusive, ouvre la voie vers le père de la horde primitive, qui lorsqu’il peut-être représenté, « permet à l’individu d’affronter les conflits archaïques, comme les conflits très œdipiens (désirs incestueux, angoisses de castration, deuil des objets œdipiens)cvii ».

Cet accès à la Connaissance par lequel l’imago paternelle se donne à voir et à saisir dans sa dimension phallique, vectoriserait les processus psychiques de la post-adolescence qui, par un réaménagement œdipien, visent à une introjection profonde des imagos parentales.

Cette introjection, ce réaménagement objectal, seraient la phase conclusive du développement de la sexualité humaine, cette conclusion offrant ainsi de nouvelles perspectives d’approfondissement et de capacités relationnelles dans un environnement social à découvrir et investir.

La croissance de la sexualité humaine envisagée via une perspective d’espace transitionnel

universitaire, connaîtrait un temps d’affermissement après le complexe d’Œdipe et la

puberté, une phase que nous dénommons sexualité sociale, trouvant dans le temps universitaire un lieu d’élaboration privilégié.

Nous sommes conscients du paradoxe inscrit dans cette dénomination ; la sexualité, au sens psychanalytique, ne peut se circonscrire dans un temps ou un espace social donné et, en même temps, elle s’appuie sur un rapport au social dans ses modalités d’expression. Ce terme de

sexualité sociale présente selon nous un intérêt certain dans les débats actuels sur

l’homoparentalité et sur la légalisation des mariages homosexuels. Le législateur aurait ainsi le pouvoir de donner une légitimité sociale sur différentes formes de sexualité, ce qui ne serait pas sans conséquence sur les réaménagements libidinaux post-pubertaires (en particulier dans

cvii Allèon A.M., Morvan O. et Mouchet A., 1994, p. 146.

les rapports entre Surmoi et Idéal du Moi) dans le choix et l’engagement vis-à-vis d’un partenaire sexuel.

Le temps universitaire, vécu comme un temps initiatique, deviendrait un moment privilégié de construction identitaire et sexuelle dans une perspective de rencontre entière avec l’autre, c’est à dire une relation d’altérité en lien avec la génitalité. Cette perspective de l’entièreté de la rencontre suppose la reconnaissance de la complémentarité des sexes à partir de l’acceptation de la castration. Jeammet (1998), Ehrenberg (1998), Anatrella (1988) soulignent les tentatives actuelles d’affranchissement psychique de cette dernière, ce qui n’est pas sans répercussions, en termes de difficulté et de fragilité, sur le travail d’élaboration subjective du post-adolescent.

IV.3 Les fragilités de la construction identitaire

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 126-130)