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7. Résultats de l’analyse des entretiens

7.2. Vécu et processus du travail d’écriture

Les vécus et processus d’écriture sont variables d’un étudiant à l’autre, dépendent des caractéristiques personnelles des étudiants, mais également du contexte dans lequel ils évoluent.

7.2.1. Ecrits intermédiaires

Tous les étudiants sans exception se trouvent dans un processus d’écriture, qui commence bien avant le moment où ils se mettent à rédiger le rapport de stage. Ils n’en ont par contre pas tous conscience, associant parfois l’élaboration du rapport à la phase d’écriture proprement dite, ce que relève d’ailleurs Leclercq (2006).

Nous observons que ce processus s’enclenche en début de stage, voire même avant son démarrage dans certaines situations. C’est le cas de Delphine qui réfléchit à la teneur de son rapport avant que le stage n’ait commencé. Elle relève différentes thématiques touchant à son évolution, ses préoccupations, centres d’intérêt du moment, qui y prendront place d’une manière ou d’une autre. Dans tous les cas, la mise en place du contrat pédagogique tripartite semble être l’un des premiers jalons importants préparant la rédaction du rapport. En effet, par sa teneur (objectifs, moyens de réalisation, compétences à développer), il donne un fil rouge au stage et à la rédaction du rapport. Il comporte également une brève description du contexte institutionnelle, qui sera reprise et développée dans le rapport final. Nous découvrons donc que ce document administratif, parfois vécu comme contraignant par les étudiants, est en fait une balise ainsi qu’un premier écrit intermédiaire précieux.

Tous les étudiants interrogés s’appuient sur divers écrits intermédiaires pour effectuer cet exercice de rédaction. L’écrit que tous les étudiants sans exception utilisent s’avère être le journal de bord. Il s’agit d’un outil qu’ils estiment précieux et qui semble avoir plusieurs bénéfices : garder en mémoire les éléments marquants du stage et parfois les réflexions associées, poser par écrit les événements difficiles, servir d’exutoire à certaines émotions, traverser les hauts et les bas du stage, s’obliger à une écriture régulière et suivie. De l’avis des étudiants, il n’est pas source d’un approfondissement des réflexions menées, mais bien plutôt dépositaire de la mémoire du stage. Nous pensons qu’en l’absence d’autres espaces de réflexion, cet écrit devient un soutien lors de situation difficiles. De notre point de vue, il s’agit d’un écrit essentiel, voire nécessaire, mais non suffisant. En effet, il permet un tête à tête avec soi-même qui favorise une première prise de recul importante. Cependant, la présence d’un tiers nous paraît incontournable pour mener plus avant les réflexions, travailler les difficultés vécues et les rendre véritablement formatrices. Le rapport de stage se trouve étoffé au niveau descriptif grâce à cet écrit.

Nous relevons l’existence de divers autres écrits : des documents de type professionnel (procès-verbaux, documents produits dans le cadre des objectifs de stage) ; certains documents de formation.

Nous observons que les étudiants interrogés sont entrés dans un processus rédactionnel qui a accompagné le stage. Le temps d’écriture est quant à lui géré différemment par les étudiants, mais il se fait généralement durant les deux semaines précédant la rencontre tripartite finale.

Certains estiment s’y prendre trop tard et auraient besoin d’un temps de relecture et de remaniement de leur texte, d’autres ont le sentiment d’avoir maturé le rapport pendant longtemps et peuvent s’inscrire dans un temps relativement court de rédaction (qualifié de frénétique par Laure). Nous sommes surpris d’entendre que plusieurs étudiants n’ont pas relu ni retravaillé leurs documents (même lorsqu’ils sont de qualité). De manière générale, il semble que le rapport soit écrit assez rapidement, généralement d’une traite, et qu’il soit peu remanié. Cela pose la question de l’aspect réflexif de l’exercice, qui se développerait également par le travail sur le texte, l’approfondissement des idées, les mises en liens effectuées lorsque celui-ci est repris, retravaillé (ainsi que l’observent Cros, 2009 ; Godelet, 2009). Le rapport s’inscrit donc dans un processus long d’écrits intermédiaires, mais sa rédaction proprement dite ne fait généralement pas l’objet de remaniements successifs.

7.2.2. Des émotions et sentiments contrastés

Diverses émotions et sentiments accompagnent la rédaction du rapport de stage, émergent en situation d’écriture ou lors de sa relecture.

Plaisir et déplaisir

De manière générale, les étudiants disent n’avoir pas ressenti de plaisir lors de la rédaction de leur rapport de stage. Ils ont le sentiment de s’être peu investis dans l’exercice, à une exception près (Delphine). Ainsi, l’aspect contraint et prescrit de cet écrit en fait d’abord un exercice scolaire, vécu par certains comme une obligation, une épreuve, ou un document administratif qu’il s’agit de remplir. Les sentiments qui l’accompagnent vont de l’angoisse au plaisir (rare). De l’avis d’une majorité d’étudiants, le cadre prescriptif donné par l’école empêche l’originalité et par là même, le plaisir.

Le travail d’écriture semble donc pénible pour les étudiants, qui, s’ils avaient eu le choix des modalités, auraient choisi une forme plus créative, en utilisant notamment des photos ou dessins comme supports. Ainsi que nous l’avons vu dans le cadre théorique, le rapport de stage paraît réellement être une épreuve qui s’ajoute à l’épreuve du stage. Dans le contexte de cette formation, plus l’épreuve du stage a été difficile, plus l’écriture du rapport semble l’être aussi. En effet, il s’agit alors de sélectionner ce qui peut être dit et ce qu’il s’agit de passer sous silence. Contrairement à ce qu’observe Merhan (2007) dans les portfolios analysés, le rapport de stage qui nous occupe ne semble pas permettre un travail de restauration de son image de soi lors de difficultés vécues. En effet, les étudiants ont tendance à passer ces dernières sous silence.

L’épreuve de l’écriture semble également dépendre du rapport à l’écriture des étudiants. En effet, un bon rapport à l’écrit diminue le stress et la souffrance à effectuer cet exercice (mais ne garantit cependant pas que l’étudiant y prenne du plaisir). La compréhension du sens de l’exercice, ou l’acceptation de ce dernier comme faisant partie intégrante d’un processus de formation paraît également réduire la difficulté de cette écriture. Il semble en effet plus aisé de s’inscrire dans une telle démarche si l’on en perçoit l’intérêt pour soi et son parcours de formation. Les caractéristiques personnelles influencent elles aussi les émotions ressenties.

Ainsi, Hélène, vivant un épisode de dépression, a un vécu douloureux, de même pour Sylvie

qui se dit « atteinte de procrastination ». Certains enjeux déclenchent également des émotions pénibles : ainsi la perspective d’un échec définitif de la formation si le stage n’est pas validé est bien évidemment source d’un grand stress.

De notre avis, les données personnelles et biographiques, associées aux éléments contextuels du stage influencent le vécu de la rédaction du rapport. Nous ne pensons pas que ce vécu doive forcément être agréable, en effet ce qui est visé c’est bien la professionnalisation des étudiants et non leur bien-être dans l’apprentissage. Il s’agit cependant d’être conscient de la manière dont cet écrit est investi, afin d’en tenir compte au niveau de l’accompagnement proposé par l’école, ce que nous aborderons dans le chapitre suivant.

Catharsis

La rédaction du rapport de stage peut faire émerger des émotions liées au vécu même du stage. L’étudiant se replongeant dans cette expérience, il lui arrive de revivre certaines émotions, qu’elles soient agréables ou désagréables. Ainsi, Aline revit des sentiments douloureux en reprenant certaines situations éducatives vécues, alors que Laure ressent des émotions positives liées à la qualité des relations nouées avec ses collègues.

L’écriture de l’expérience aurait ainsi une action cathartique sur les étudiants et permettrait de déposer certaines émotions vécues.

Fierté

Un sentiment de fierté peut accompagner l’étudiant lorsque le document a été produit (Laure).

« Au moment où j’ai terminé, il y a un lien de fierté d’avoir réussi à retranscrire, pas la fierté de ce que j’ai fait, mais d’avoir réussi à retranscrire ce que j’ai fait » (46, 2076-2078). Le fait d’avoir surmonté l’épreuve de l’écriture du rapport peut ainsi devenir source d’estime de soi.

C’est également à la relecture du document, même des mois plus tard, que ce sentiment de fierté peut naître. Aline a ainsi ressenti un fort sentiment de valorisation personnelle en se préparant à l’entretien que nous avons eu avec elle, le rapport de stage lui renvoyant une image positive d’elle-même. Il apparaît cependant que les étudiants interrogés n’auraient pas spontanément relu leur rapport de stage s’ils n’avaient participé à cette présente recherche. Ce qui précède rejoint les observations de Godelet (2009), qui relève deux dimensions dans le développement identitaire des personnes : les identités énonciatives et les identités professionnelles, les premières se construisant au fil du processus d’écriture. « Le regard que la personne écrivante pose sur sa capacité à écrire peut donc se modifier tout au long du travail ardu qu’est l’écriture au point de se rendre compte seulement à la lecture de l’écrit final de sa capacité à le produire. Ainsi, la personne écrivante développe une identité énonciative qui se juxtapose à son identité professionnelle » (Fréchette, et al., 2009, p.238).

7.2.3. Difficultés d’écriture

Comme nous l’avons vu dans le cadre théorique, les étudiants peuvent rencontrer des difficultés à comprendre ce que le centre de formation attend d’eux. L’analyse de nos entretiens montre que cette difficulté est surtout présente lors de la rédaction du rapport de stage préalable. L’étudiant n’est alors pas encore en formation, ne connaît pas les exigences de l’école, le genre attendu des écrits à produire. L’entrée en formation semble lui permettre d’acquérir une connaissance des horizons d’attente de l’école et de s’exercer au genre d’écrit souhaité au travers des différents travaux de formation. Le premier stage de formation arrivant lors de la deuxième année de formation, les étudiants ont déjà à leur actif une année d’insertion dans la culture de la HETS&Sa-EESP. La rédaction du rapport de stage de la

formation pratique 1 semble cependant avoir posé quelques problèmes à certains étudiants, notamment au niveau de l’interprétation des consignes données par l’école.

La situation de stage à l’étranger vécue par Hélène paraît source de complications, puisque le PF ne connaissait pas les exigences de l’école, qu’elle était coupée de la communauté de pratique des étudiants (qui est une ressource importante pour un certain nombre d’entre eux) et que la communication Internet avec le RFP était limitée.

La rédaction du rapport de stage de la formation pratique 2 ne semble plus poser de difficultés aux étudiants en termes de compréhension des consignes. Ils ont déjà rédigé un premier rapport de formation, ont eu accès aux rapports de stage de leurs collègues, et connaissent bien les exigences du contexte de formation.

Les étudiants semblent également confrontés à des discours divergents en fonction des professeurs, mais font preuve d’adaptation et de stratégies afin de capter les attentes des personnes qui vont les évaluer. Cela ne semble donc pas source de désarroi, contrairement à ce qu’ont observé Oudart et Verspieren (2006).

Plusieurs étudiants ont vécu le moment de la rédaction comme une épreuve, qui demande une forme de dépassement de soi, la volonté de mener à bien cet exercice. Le stage fut dense, riche en apprentissages, découvertes, émotions, souvent intense au niveau de l’investissement donné. Les étudiants arrivant au terme de leur stage n’ont pas forcément envie d’entamer un travail d’écriture sur l’expérience. Cet exercice est ainsi vécu comme une contrainte qui s’ajoute aux éventuelles difficultés du stage et qui n’apporte pas de plus-value vis-à-vis de l’expérience de terrain. Les étudiants ayant un rapport à l’écrit défaillant (Sylvie), vivant une période personnelle trouble (dépression d’Hélène) et/ou ayant vécu une expérience de stage douloureuse (Sylvie, Aline), font part de leur difficulté – voire de leur souffrance - à investir et élaborer ce document.

La mise en mot de l’expérience n’est pas toujours une chose aisée, ainsi que le souligne Laure. Exprimer avec justesse le vécu de stage, retranscrire l’expérience par écrit, trouver les mots justes, sélectionner les événements importants, se montrer fidèle au réel du vécu ne vont pas forcément de soi. Certains étudiants se sentent appartenir au pôle de la « pratique » (Aline), s’immergent dans la réalité du terrain qu’ils perçoivent comme la source principale des apprentissages effectués. L’écrit sur la pratique dans ces situations ne fait que peu de sens pour eux, semble être un exercice annexe à faible valeur formative. Difficile dans ces cas-là d’investir cette écriture. Cela semble confirmer les observations de Champy-Remoussenard (2009) et Pollet (2009), concernant la difficulté à mettre en mots l’expérience.