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7. Résultats de l’analyse des entretiens

7.1. Le rapport de stage : un écrit sous contraintes ?

L’analyse des entretiens met en exergue l’aspect fortement contraint de cet exercice rédactionnel. Il est notamment contraint par les différentes tensions liées au vécu de la formation en alternance, par les adressages multiples de même que par les enjeux de validation qui pèsent sur lui. Identité et altérité vont de pair (Merhan, 2009), et dans le rapport de stage, cette interrelation prend la forme d’un acte de langage adressé à des autruis.

L’étudiant doit rendre sa pensée et sa retranscription de son expérience de stage explicite à la fois aux personnes du terrain et aux professeurs de l’école.

7.1.1. Enjeux de validation et adressage à l’école

L’enjeu de la validation de la période de formation pratique apparaît comme déterminant dans la rédaction du rapport de stage. Les cinq personnes interrogées abordent de manière unanime les contraintes et tensions qui y sont liées, alors même que le rapport de stage en lui-même n’est pas sanctionné par une note. Il doit cependant être accepté pour que la période de formation pratique puisse être validée. Les étudiants font donc en sorte que leur rapport de stage soit accepté du premier coup, puisqu’un complément peut être demandé par le RFP. Ils mettent en place diverses stratégies afin de répondre aux attentes de ce dernier.

Il s’agit notamment pour les étudiants de jauger le RFP, d’identifier ses attentes potentielles vis-à-vis de cet écrit, sa manière de se situer « par rapport aux consignes de l’école » (Laure, 48, 2176), afin de répondre aux horizons d’attente perçus. La qualité de la relation avec le RFP comporte une importance notable. Ainsi, une relation difficile, un manque de confiance ou d’affinité entraînent une pression supplémentaire au niveau du travail d’écriture.

Si le RFP semble attaché aux normes scolaires, l’étudiant répond aux prescriptions de manière serrée ; s’il est ouvert à une forme de créativité et que l’étudiant se sent en confiance dans la relation, il se permet quelques marques d’originalité dans son rapport, tout en veillant cependant à respecter les directives. En cas de doute, ou lorsque l’étudiant ne connaît pas suffisamment le RFP, la prudence est de mise et les consignes sont suivies à la lettre. Nous observons que même lorsqu’un écrit est qualifié d’original par le RFP et par l’étudiant (comme c’est le cas pour Delphine), le rapport de stage correspond cependant au genre attendu ainsi qu’aux consignes données. L’originalité tient à des titres de chapitres créatifs et à un style poétique, littéraire, mais pour le reste le document est conforme aux attentes.

Certains étudiants estiment d’ailleurs avoir été formatés par l’école au fil de leur formation, au point de percevoir assez facilement le type d’écrit que l’on attend d’eux.

La stratégie la plus utilisée parmi les étudiants interrogés consiste à recopier les prescriptions données et à en faire des têtes de chapitres, puis à « remplir » chaque rubrique scrupuleusement, même celles qui ne les intéressent pas. Ils s’assurent ainsi de répondre aux exigences minimales. Les personnes dont le rapport de stage a été accepté du premier coup

parlent de leur facilité à comprendre les attentes explicites et implicites du contexte dans lequel elles évoluent, ainsi que les marges de manœuvre possibles.

Ces stratégies ne sont pas toujours efficaces et lorsqu’un complément est demandé, cela semble générer chez les étudiants une forme d’incompréhension ou de déception, voire de rancune envers le RFP. Cela est dû, selon les discours, au fait qu’ils sont soulagés d’être arrivés au bout de la période de formation pratique et surtout au bout de l’écriture du rapport de stage et qu’ils souhaitent tourner la page. Le complément les oblige à reprendre l’exercice, les empêche de se reposer après une période chargée. Généralement, ce complément porte sur des aspects théoriques manquants et des liens déficients avec les contenus de cours dispensés durant la formation ainsi que sur l’implication personnelle dans l’écrit (parler en « je », exprimer ses émotions, son vécu de stage, son projet professionnel). L’étudiant produit alors le document demandé en y insérant quelques éléments théoriques, dans l’unique but de valider le document, pour « faire plaisir au prof » (comme le disent Sylvie et Aline), sans que cela fasse réellement sens pour lui. Insérer des savoirs reçus à l’école pour répondre aux attentes de l’école n’est pas un exercice qui fait sens pour les étudiants interviewés. Ils rechignent donc à le pratiquer de manière artificielle, mais le font volontiers lorsque la théorie éclaire la pratique.

Les retours de l’école portent également sur la forme du rapport (syntaxe, orthographe), mais ne donnent pas lieu en eux-mêmes à des compléments dans le cadre des situations analysées.

Une RFP a également encouragé une étudiante à affirmer ses opinions avec plus d’assurance, semblant ainsi souhaiter le développement de sa confiance en soi. A noter que l’originalité semble appréciée par certains RFP, qui attendent cependant une adéquation du rapport avec les prescriptions données (c’est le cas du référent de Delphine). Nous n’avons bien évidemment pas une vision exhaustive de tous les types de compléments demandés, qui semblent dépendre à la fois des prescriptions données par l’école, mais également des orientations particulières des RFP et de leur sensibilité propre.

Certains étudiants (Sylvie et d’Hélène) pensent que la qualité et surtout le contenu du rapport de stage influencent la note finale, même si l’école affirme que ce n’est pas le cas. L’objectif visé est alors de passer sous silence les éléments du vécu de stage qui indiqueraient au RFP que le stagiaire n’a pas bien réussi son stage, ou alors d’en enjoliver certains aspects. Les étudiants jaugent les horizons d’attente du RFP en fonction de leurs propres représentations de ce que doit être un stage réussi. Il semble que des difficultés relationnelles avec le PF, les désaccords profonds avec les valeurs et lignes directrices de l’équipe de professionnels soient perçus par les étudiants comme des éléments susceptibles de dévaluer leur note de stage. Ces difficultés apparaissent alors en filigrane, presque entre les lignes du rapport. L’étudiant met l’accent sur les éléments positifs du stage (notamment la relation avec les usagers, le processus d’apprentissage, les événements marquants, les objectifs de stage), afin d’orienter le regard du RFP et de mettre en lumière les acquis du stage qui le servent (situation de Sylvie notamment).

La dramaturgie repérée par Merhan (2007) dans les portfolios qu’elle a analysés (adressés à l’Université) ne paraît pas entièrement présente dans les rapports de stage qui nous concernent. Les étudiants interrogés n’ont pas sélectionné les épreuves qui semblent les plus éprouvantes pour en faire le récit dans leur rapport de stage. C’est le cas notamment de celles qui mettent en cause la relation à des autruis significatifs (PF ou équipe). L’expérience de stage est surtout structurée de manière à répondre aux exigences et obtenir une validation.

L’enjeu de la validation et les stratégies associées pèsent donc fortement sur la rédaction du rapport, ce qui questionne sur l’appropriation par les étudiants du sens de cet exercice, sur leur investissement personnel dans cette activité (ce que nous aborderons plus loin). Nous soulignons que les contraintes liées à cet adressage ne sont pas forcément vécues de manière négative. En effet, lorsque le stage s’est bien passé, que la relation au PF est bonne et que

l’étudiant se sent en confiance avec son RFP, l’étudiant semble vivre ces contraintes de manière inconsciente, car elles ne lui pèsent pas. Ce qui n’est pas le cas lorsque la relation au RFP n’est pas « de qualité », et encore moins lorsqu’à cela s’ajoute un vécu de stage éprouvant.

7.1.2. Enjeux relationnels et adressage au praticien formateur

L’adressage au terrain impacte de manière évidente la rédaction du rapport de stage, pas tant au niveau de la forme qu’au niveau du contenu. En effet, les PF se montrent peu, voire pas interventionnistes sur le respect des consignes données par l’école et la forme que devrait revêtir un écrit de type académique. Dans les situations analysées, les PF estiment que la responsabilité de cette production appartient à l’étudiant, et sa validation au RFP. Les quelques retours reçus par les étudiants portent sur la véracité des faits rapportés, ainsi que sur l’acquisition du vocabulaire métier. Le rapport semble donc refléter l’intégration de l’étudiant dans la communauté de pratique professionnelle, dont l’acquisition du langage tient une place importante. Nous retrouvons là l’enjeu relevé par Fréchette, et al., (2009) d’entrer dans une communauté discursive par l’utilisation des signes et repères utilisés par celle-ci.

Une PF a également encouragé l’étudiant à ne pas se dénigrer dans sa manière de rapporter les faits, à nuancer la réalité en y portant un regard plus positif. Nous voyons là un enjeu lié à la confiance en soi et à l’estime de soi du stagiaire, dimensions centrales dans le cadre d’une formation en alternance (Cohen-Scali, 2000).

Dans deux situations, les étudiants ont reçu des retours d’autres membres du terrain professionnel leur reflétant que les difficultés rencontrées notamment avec l’équipe éducative, apparaissaient peu, voire pas du tout (avec un encouragement à les faire figurer). Les PF quant à eux n’ont pas encouragé le traitement par écrit de ces difficultés, soit qu’ils ne les aient pas perçues, soit qu’ils semblent soulagés qu’elles ne soient pas abordées (situation de Sylvie).

Nous observons là des enjeux qui dépassent la situation même de formation de l’étudiant, et qui touchent à la reconnaissance du PF et du terrain professionnel par l’école. Des pressions indirectes peuvent peser sur l’étudiant, contraint de taire les aspects qui desservent son lieu de stage. Villette (2004), souligne cet état de fait, estimant que « la liberté de propos du stagiaire est une grande force, mais également une menace. Elle est dangereuse pour l’entreprise lorsqu’elle porte atteinte à la réputation des personnes, suscite la discorde, divulgue un secret technique ou stratégique à des concurrents, dévoile une pratique illicite […]. Que va-t-il dire et écrire sur nous ? La question préoccupe les membres de l’entreprise, mais elle est rarement abordée directement » (p.28-29).

Les étudiants ont semble-t-il de la difficulté à évoquer directement avec leur PF les difficultés vécues dans cette relation, ils le font quelques fois en face à face (c’est le cas d’Hélène), mais ne traitent pas réellement de cette difficulté dans le rapport de stage. Des éléments apparaissent parfois de manière effleurée, sans faire l’objet d’une analyse plus approfondie.

Se trouve là confirmée une de nos pistes de réflexion, présentant le statut de stagiaire comme précaire et soumis à l’évaluation du terrain. Un éventuel manque de confiance en ses capacités professionnelles ne facilite pas non plus la mise à plat de ce type de difficultés. Comme le dit Sylvie, l’étudiant « serre les dents » (24, 1002) et s’accroche jusqu’à la fin de son stage.

7.1.3. Enjeux d’employabilité et adressage au terrain professionnel L’adressage au terrain comporte des enjeux supplémentaires, lorsque le rapport de stage est mis à disposition du terrain au sens large. Les étudiants parlent alors de messages qu’ils souhaitent passer à ce milieu professionnel, espérant par leur analyse apporter des améliorations au niveau des pratiques professionnelles et contribuer ainsi au développement

du métier. Ainsi, Delphine souhaite insuffler par le biais de son rapport de stage un état d’esprit plus positif chez ses collègues qui paraissent pris dans une spirale de négativité vis-à-vis des fonctionnements institutionnels. Elle a donc édulcoré son analyse de ces fonctionnements et passé sous silence les aspects négatifs de son vécu de stage.

Cet adressage au terrain comporte également des enjeux d’employabilité lorsque l’étudiant a pour projet professionnel de s’y insérer à l’avenir. Il s’agit alors de donner une bonne image de soi en tant que professionnel, tout en faisant preuve d’humilité afin de montrer que l’on est conscient de ses limites et des apprentissages qu’il reste à faire (c’est le cas d’Hélène).

L’adressage au terrain contraint donc le rapport de stage, non pas au niveau de la forme, mais bien au niveau de la sélection des éléments à faire figurer concernant les relations au PF, à l’équipe, ainsi que l’analyse du fonctionnement institutionnel. Il s’agit également, notamment lorsqu’il y a un enjeu d’employabilité, de présenter une bonne image de soi, qui articule savamment compétences professionnelles et remise en question. Nous rejoignons en cela les observations de Cardinal-Picard et Belisle (2009) montrant que le rapport de stage a pour mission de rendre compte du vécu de stage à des personnes qui seront amenées à travailler avec le stagiaire à l’avenir. Il y a donc des enjeux forts liés à l’image de soi pour autrui.

7.1.4. Enjeux d’expression de soi et adressage à soi-même

Quelques étudiants (Delphine et Aline) parlent d’un écrit adressé à soi. L’enjeu est alors de produire un rapport de stage qui reflète qui l’on est à un moment donné de sa trajectoire de vie. Pour Delphine, cet enjeu est même prioritaire, tout du moins dans son discours, et conditionne en partie son écriture, qui se veut le plus libre possible. Elle refuse les influences externes pour produire un écrit original, qui soit à son image. Aline a également le souci de ne pas donner à lire son rapport à d’autres personnes, notamment aux personnes susceptibles de vouloir modifier sa manière d’écrire. Elle exprime d’ailleurs de manière parlante cet enjeu : « C'est plus moi si on me change mes phrases » (15, 576). Le rapport de stage comporte alors une dimension identitaire forte, liée à l’image de soi pour soi. L’exigence que l’étudiant se pose semble être une exigence d’authenticité, de finesse dans l’introspection, d’appropriation de l’exercice.

Nous estimons que cet écrit est forcément adressé à soi-même (Ricoeur, 1990), même lorsque l’étudiant n’en a pas conscience, par le fait qu’il retrace une expérience vécue, un processus d’apprentissage et qu’il demande une prise de recul, un moment de présence à soi pour le rédiger. Il s’agit cependant de ne pas se leurrer, nous sommes bien en présence d’un discours adressé à autrui. L’étudiant présente une image de soi à des personnes qui ne sont pas neutres, puisqu’elles ont charge de valider son stage et qu’elles sont professionnellement plus compétentes que lui.

Nous observons la présence de divers paramètres contextuels influençant la manière dont le stagiaire va ou non se livrer dans son rapport de stage. Ainsi, lorsque le vécu de stage est bon, que la relation au PF et au RFP est de qualité, qu’il règne un climat de confiance, lorsque le stagiaire s’est montré adéquat, qu’il a répondu aux attentes, qu’il a progressé dans le sens attendu, alors les conditions sont favorables à une écriture plus intime et authentique. Encore faut-il que l’étudiant ait un bon rapport à l’écrit, des capacités d’introspection et qu’il s’approprie l’exercice avec engagement. Nous relevons la situation de Sylvie, dont le vécu de stage est douloureux, qui ne se sent pas en confiance avec sa PF et son RFP et qui entretient un rapport difficile à l’écriture. Elle en vient à produire un rapport de stage traversant de manière superficielle et très sélective son vécu de stage. Tout se passe comme si, en situation de danger (liée à la réussite du stage notamment), elle fasse en sorte de montrer le moins possible d’elle-même et de ses valeurs, opinions et analyses.

La rédaction dépasse alors les enjeux liés aux multiples adressages que nous venons d’aborder, pour prendre une dimension de développement personnel lorsque les conditions le permettent, ou au contraire pour tendre vers une « disparition de soi » au profit d’un discours convenu.

Ces différents adressages sont à la fois source de tensions, en fonction des situations particulières, mais aussi d’apprentissage et de développement, ainsi que de stratégies comme nous allons le voir plus bas. Ils génèrent également différents types d’émotions et ressentis, sujet du chapitre qui suit.