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Nous l’avons vu, le stage semble représenter une première rupture avec le monde connu de l’étudiant. Or, l’écriture académique peut être envisagée comme une seconde épreuve après

celle du stage, dans le double sens de mettre à l’épreuve ses capacités à écrire l’expérience vécue et dans celui de faire la preuve de ses apprentissages et de ses compétences professionnelles (Merhan, 2009). Tilman & Delvaux (2000) relèvent des difficultés liées au recueil d’informations et à la rédaction proprement dite. Nous abordons ci-dessous certaines de ces difficultés, que nous analyserons au travers de notre recherche.

Mais qu’attend-on de moi ?

Selon Crinon et Guigue (2006), les étudiants peuvent rencontrer des difficultés dans la compréhension de ce que l’organisme de formation attend d’eux. Ainsi, Oudart et Verspieren (2006) observent des inquiétudes et désarrois fréquents chez les étudiants face aux écrits longs. Ceux-ci pourraient notamment provenir des ambiguïtés et messages paradoxaux véhiculés par les enseignants lorsqu’ils tentent d’articuler des préconisations aidantes et des conceptions plus ouvertes qui sont issues de leurs représentations. « C’est dans ce dédale de consignes et de conseils que les étudiants se débattent, cherchant tantôt à se rassurer à travers des normes explicites, ou cherchant à élaborer un « produit idéal », conforme à l’image qu’ils se sont construite des genres « rapport de stage » et « mémoire professionnel », au plus près des exigences évaluatives de l’activité d’écriture » (p.32). Il y aurait également des écarts entre les représentations que se font les étudiants des exigences académiques et les préoccupations pragmatiques relatives au terrain professionnel (Guigue, 1995).

Comment relier théorie et pratique ?

D’autres auteurs (Nonnon, 1995 ; Astier, 2005) pointent la difficulté des étudiants à articuler les vécus de stage, l’expérience de terrain avec les savoirs et connaissances reçus dans le cadre de la formation. Il leur serait également difficile de « rendre compte de l’action liée à la singularité et à la fugacité des activités de travail ou encore […] conceptualiser avec les cadres référentiels souhaités, à partir de situations singulières » (Merhan, 2009, p.109-210).

Abondant dans ce sens, Pollet (2009), pense que la rédaction d’un écrit sur son parcours professionnel peut être un exercice périlleux. Il s’agit en effet « d’articuler vécu et savoir, pratique et théorie, narration et réflexion » (Cros, 2009, p.8). Or, malgré le fait que les institutions de formation encouragent la mobilisation d’apports théoriques pour conceptualiser et analyser l’expérience, ceux-ci ne sont pas forcément présents d’emblée dans les textes des étudiants. Le recours à ces apports peut être très présent et intégré, ou alors laborieux voire même absent (Fréchette, et al., 2009). Cette articulation peut également faire apparaître une tension inconfortable entre le vécu et les savoirs théoriques. Nous l’avons vu, certaines représentations opposent école et entreprise, écriture et action, théorie et pratique, abstrait et concret. Or, « Quand il fonctionne de manière binaire, ce schème empêche de penser l’écriture comme action, la théorie comme pratique et l’abstrait comme concret. Dans cette configuration antidialectique, il n’est pas commode de penser l’écriture comme un moyen d’action » (Leclercq, 2006, p.17-18). La conception de l’écriture pourrait être différente : en envisageant l’activité d’écriture « comme un dispositif d’expression, de communication et de cognition » (Ferry, 2004, p.99) ; et comme un moyen d’agir (et pas uniquement de représenter l’existant) (Leclercq, 2006).

De plus, l’écriture éclairerait les zones d’ombres entre prescrit et réel (Champy-Remoussenard, 2009) ou entre croyances et pratiques (Lafortune, 2009). Cette mise en mots comporte des difficultés, demande de l’énergie, de la détermination et de la réflexion, et peut susciter l’émergence d’émotions (Champy-Remoussenard, 2009). Ce travail est long, car l’écriture est évolutive, s’inscrit dans la durée, demande des ajustements progressifs (Cros, 2009 ; Godelet, 2009). Elle est donc souvent le produit d’une suite d’écrits intermédiaires.

Il s’agira pour nous de cerner la manière dont les étudiants vivent cette articulation entre la théorie et la pratique dans le cadre de la rédaction du rapport de stage.

Difficile de mettre en mots l’expérience …

Cros (2009) met en exergue le fait que la formalisation de l’expérience demande des connaissances en termes de procédés d’écriture et de stratégies discursives qui vont au-delà des compétences cognitives relatives au « savoir-écrire » (savoir-faire textuels et graphiques).

Dans cette optique, des auteurs tels que Blanc et Varga (2006) proposent de regarder les écrits sous l’angle des compétences scripturales requises et pas uniquement en termes de produits finis. Il nous paraît effectivement important de tenir compte de ces compétences, estimant qu’elles influencent la qualité du document et la capacité à transmettre l’expérience vécue.

Dans une formation en alternance, le stagiaire est à la fois étudiant à l’école et stagiaire sur le terrain. Il s’agit d’une double identité, questionnée par le travail d’écriture, et qui met les personnes en situation d’instabilité. L’écriture pourrait leur permettre de s’investir et donc de construire un projet solide. Cela ne se fait cependant pas sans arrachements et incertitudes, ce dont le dispositif de formation devrait tenir compte (Cros, 2009).

Pour Champy-Remoussenard (2009), pratique et discours semblent être des univers distincts qui ont du mal à coïncider. Il est difficile de mettre en forme un discours sur des activités professionnelles qui, par essence, sont de l’ordre du geste et non de la parole, sachant que ce ne sont pas forcément les personnes qui s’expriment avec facilité de façon orale qui performent le mieux dans leur métier. « Au-delà de la parole, il y a l’écriture dont la particularité doit être replacée dans ce jeu de discours » (Cros, 2009, p.7). Pour communiquer l’expérience et la décrire en finesse, l’analyser avec perspicacité, il faut être dégagé des contraintes liées aux normes de la langue (Champy-Remoussenard, 2009 ; Pollet, 2009).

La capacité rédactionnelle de la personne peut faciliter l’articulation de ses idées et donc son développement professionnel, mais elle peut aussi l’entraver. On peut penser qu’une personne qui a de bonnes capacités rédactionnelles ira plus loin dans sa réflexion posée par écrit qu’une personne qui n’a pas autant de capacités. Cette dernière encourt le risque de ne pas suffisamment mettre en valeur ses réflexions au travers de ses écrits. « Le développement des compétences peut donc être tributaire de la richesse de la réflexion et de la capacité rédactionnelle » (Fréchette, et al., 2009, p.241).

Processus ou résultat ?

De même, dans les conceptions de certains étudiants, l’activité d’écriture peut être restreinte à la rédaction du rapport de stage (en ne tenant pas compte des autres écrits, tels que la prise de notes, le journal de bord, etc.). L’écriture n’est alors pas perçue comme un processus, mais comme un résultat « qui répète une action déjà passée » (Leclercq, 2006, p.17). L’écriture du rapport est alors vue comme « quelque chose d’imposé, qui n’est pas très utile, qui ne présente plus beaucoup d’intérêt. Tous se passe comme si l’écrit final n’avait pas de destinataire significatif et comme s’il s’agissait finalement de jouer la comédie de l’action dans un lieu qu’on nomme université » (Leclercq, 2006, p.17). L’exercice serait alors investi de manière purement scolaire par les étudiants.

Selon nous, les représentations des étudiants concernant l’écriture conditionnent en partie leur investissement dans l’exercice de la rédaction du rapport de stage et le sens qu’ils y donnent.

Il s’agira, au cours de la recherche, de faire émerger ces représentations : l’écriture est-elle investie comme un processus qui permet la prise de recul, la construction de la pensée et la

professionnalisation ; ou est-elle perçue uniquement comme un résultat à produire pour répondre aux exigences de l’école ?

Les paragraphes qui suivent s’intéressent justement aux aspects formateurs de cette écriture.