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6. Analyse des entretiens

6.1. Analyse de l’entretien d’Aline

6.1.7. Apports du rapport de stage

Aline a le sentiment que le rapport de stage ne lui a pas apporté grand-chose, par rapport à l’expérience du stage en elle-même. Au fil de l’entretien, elle nomme cependant divers bénéfices liés à cet exercice. Il semble que les questions de l’entretien lui permettent peu à peu de cueillir les fruits de cette rédaction.

Compétences scripturales

La rédaction lui a permis de développer des compétences scripturales (comme tous les travaux demandés durant la formation). Elle estime qu’elle a appris à écrire dans cette école, même si elle pense qu’elle avait déjà un bon rapport à l’écrit avant d’y entrer. Les compétences rédactionnelles développées notamment par le biais de ce rapport sont des compétences essentielles dans son activité actuelle. Le directeur qui l’emploie actuellement lui a d’ailleurs fait savoir qu’il l’engageait en tant qu’éducatrice HES et qu’il attendait d’elle des qualités rédactionnelles et réflexives.

Connaissance du contexte institutionnel

Le rapport de stage a également comme bénéfice de prendre connaissance du contexte institutionnel du stage. « J'ai mieux compris le contexte de l'institution en l'écrivant (rire), parce que c'est assez complexe comme Fondation, et je m'étais jamais vraiment penchée dessus, donc là j'étais obligée de le faire » (9-10, 297-299).

Prises de conscience et réflexivité

Outre les compétences rédactionnelles développées, l’écriture du rapport de stage a permis à Aline de faire certaines prises de conscience nouvelles. « Les moments où j’ai le mieux réfléchi à ça, c’est en écrivant le rapport » (8, 239-240). L’écriture permet ainsi de mener une réflexion plus profonde sur certaines situations vécues, même si elles ont déjà été discutées avec la PF. Ainsi, en reprenant l’un de ses objectifs de stage, elle prend conscience des raisons pour lesquelles elle n’a pas pu le mener à bien. « De me dire, mais pourquoi finalement j'ai pas réussi à mettre en place. Et je crois que […] j'avais posé quelque chose en début de stage, donc je devais m'y tenir […]. Et est-ce que je le fais juste parce qu'on m'a dit "Tu dois le faire" ou j'ai dit que je vais le faire, ou bien est-ce qu'il y avait plus de sens là derrière, enfin là c'est plus par peur, appréhension. C'est après coup que je me suis dit "Ah mais peut-être que j'avais peur de tout foirer, j'avais trop d'appréhension" » (9, 266-271). Ainsi, les réflexions qui jaillissent en cours d’écriture sont surtout liées à son propre positionnement dans l’action. L’écriture lui donne un premier recul par rapport à ses attitudes, savoir-faire et savoir-être. Elle sent bien que ce recul, une année plus tard, est encore plus grand : « Ces réflexions qui sont faites durant l’écriture du rapport sont plus de l’ordre de mon attitude, de la position que j’ai dans mon action, que même si on prend des temps de débriefing après des situations de crise, on va dire, peut-être qu’il y a pas encore assez de recul. Là il y avait déjà un peu plus de recul, puis aujourd’hui y en a encore plus bien sûr » (9, 277-281).

Aline, nous l’avons vu, a respecté les consignes implicites et explicites de l’école pour rédiger son rapport de stage. Si elle n’avait pas reçu de consignes, elle pense qu’elle aurait produit un document très différent, beaucoup plus créatif. Selon elle, il ne « serait pas écrit. Ce serait un album photos […], ce serait des dessins des enfants, enfin, ce serait peut-être un panneau A3»

(19, 754-762). Elle pense cependant que le document aurait manqué de profondeur réflexive.

« Si j'étais totalement libre dans un rapport de stage, il serait beaucoup moins profond. […]

L'écrit ça nous oblige vraiment à se mettre dans une manière de penser qui nous oblige à aller profondément, à aller vraiment chercher des choses assez pointues, ça c'est inévitable.

C'est vraiment positif, vraiment, j'ai le droit de le dire maintenant » (19, 765-769).

Le rapport de stage oblige à évaluer l’atteinte des objectifs, il permet donc un processus d’auto-évaluation. « En le rédigeant, je me suis rendue compte à quel point j'avais un objectif de stage qui avait cartonné, […] et un autre où j'étais vraiment pas satisfaite de moi au final » (10, 301-304). Cette rédaction permet également d’entraîner la capacité à s’interroger sur soi-même, aptitude qu’elle a aiguisée durant sa formation. « Ce rapport, c'est une pierre de plus dans cette introspection » (18, 734-735).

Processus de formation et d’acculturation

Les différents rapports de stage produits avant et durant la formation sont comme des témoins du processus de formation d’Aline : le vocabulaire, la qualité des écrits évoluent. « C’est comme ça que je vois ce que j’ai appris au niveau de l’écrit » (11, 391). Les rapports de stage précédents étaient moins approfondis que ce dernier rapport selon elle.

En entrant en formation, Aline a intégré la communauté de pratique de la HETS&Sa-EESP.

Elle voit l’école comme porteuse d’une culture étrangère qu’elle a dû apprendre au fil de sa formation. « Les copines avec qui j'ai fait ma formation […] quand on parle de notre travail, on sait que les gens qui sont autour de nous […] vont se dire "Mais elles parlent quelle langue ?" et nous on est là, "Mais on parle éespéen ", enfin, c'est des termes, c'est des manières de tourner les phrases » (11, 357-362). Lorsqu’elle produit des travaux pour l’école, elle mobilise cette langue. « Il y a un registre de mots et de phrases typés EESP, clairement.

Faut parler de "redondance", de "compétences", de "ressources", de "quelque chose qui est adéquat ou qui ne l'est pas" » (11, 353-354). Pour elle, il y a comme un « bouton » (11, 280) qu’elle allume ou éteint pour parler ce langage, en fonction des contextes. Aline transfert ainsi la culture du travail social dans différents contextes et communautés de pratique (terrain professionnel, scouts). Cela démontre que la théorie est bel est bien une pratique, mobilisable sur le terrain où prend place l’activité.

Pour Aline, c’est bien tout son parcours à l’école qui permet d’intégrer cette culture. Le rapport de stage est le témoin de cette acculturation. « Vu que c'est un des derniers documents que j'ai fourni pour cette école, clairement c'est le reflet de combien j'ai appris dans ce langage, dans cette culture » (12, 402-404). Cette culture semble correspondre à son identité professionnelle, mais pas à ce qu’elle définit comme son identité personnelle. « Pour moi clairement j’écris du HES, du bien, du intellectuel, tout ce que je ne suis pas vraiment, que j’ai appris à retranscrire » (12, 366-367). La formation en alternance la confronte à une double identité : ce qu’elle définit comme son identité propre et son identité professionnelle en construction. Le passage d’une identité à l’autre semble correspondre à un basculement culturel, un changement de langage - et de pratique, peut-on supposer. Le rapport de stage paraît refléter l’intégration d’Aline dans la culture professionnelle du travail social. Dans un même temps, selon ses dires, l’exercice d’écriture participe également à l’acquisition de cette culture, mais de manière accessoire.

Re-narcissisation

Le rapport de stage semble comporter un enjeu de reconnaissance personnelle lors de la relecture du document. « Ce matin j'ai dit à mes collègues "Ah, j'ai dû relire un de mes rapports de stage, wouahh, je suis vachement intelligente !". Moi, quand je lis ça, je me dis,

"Wouah !". Enfin, ça fait quand même, il me semble qu'il est bien écrit, enfin, par rapport à la personne, que je suis, assez Olé Olé » (9, 287-290). Avec le recul, elle voit ce rapport comme une œuvre qu’elle a produit durant sa vie et dont elle peut être fière, tout comme un architecte peut être fier de ses grandes réalisations. « C’est une sacrée valorisation encore aujourd’hui, mais qui n’est pas la même qu’en écrivant » (18, 710-711).

Clôture du stage

Pour Aline, le rapport de stage permet de clôturer le stage et de le garder en mémoire. « Y a beaucoup de gens qui ont une boîte à souvenirs où ils ont tous les trucs de leur enfance […], ils mettent tout dedans, puis après ils mettent un nœud pour le fermer. Puis j'ai l'impression que le rapport c'est ce qui, je fais mon nœud puis voilà, le stage il est fini, il m'a appris beaucoup, c'est toujours là, je peux toujours aller rechercher les choses dans ce que j'ai vécu et ce que j'ai appris, mais j'ai mis le nœud, et puis les choses qui m'ont fait trop mal, les choses que je veux pas, ben je peux les laisser » (18, 738-744). Le début du stage est marqué par la préparation du stage, l’appréhension de l’inconnu (« Moi je déteste l’inconnu », 14, 509), puis vient la prise de connaissance avec le lieu, le vécu de stage que le journal de bord accompagne (« Le journal de bord, il met des points, des jalons dans le processus qu'on fait

sur le stage », 18, 744-745). Et finalement, « on doit partir » (14, 513). Le rapport de stage sert donc à accompagner cette expérience particulière. « Le statut de stagiaire, c’est sacrément quelque chose […] se plonger dedans, puis repartir. Faire les choses en se disant, de toute manière dans trois mois les enfants, ils se souviennent plus de moi » (18-19, 746-748). A la rédaction du rapport, elle n’avait pas pris conscience de cette fonction essentielle du rapport de stage. « C'est pas une partie de plaisir, et puis je le fais parce qu'il faut hein.

Mais, en même temps, cette idée que la boucle est bouclée, je le vois maintenant. Je l'aurais pas dit l'année passée. Non, c'est bien de faire le rapport » (19, 750-752). On le voit, la position de stagiaire est une position complexe, qui génère de l’inconfort identitaire. Inconfort que le rapport de stage peut aider à accompagner.