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7. Résultats de l’analyse des entretiens

7.3. Fonctions du rapport de stage

Comme nous l’avons vu avec les apports de Weiss (2000), le rapport de stage possède trois fonctions (informative, formative et attestative), auxquelles nous ajoutons une quatrième, que nous qualifions de symbolique. Ces différentes fonctions sont développées ci-dessous.

7.3.1. Fonction informative

Le rapport de stage est un écrit notamment adressé au centre de formation. Pour rappel, le RFP rencontre l’étudiant et son PF une première fois en début de stage afin de mettre en place le contrat pédagogique tripartite, puis une seconde fois en fin de stage lors de l’évaluation finale. Le RFP n’a donc pas de regard direct sur l’expérience de terrain du stagiaire. Dans ces conditions, le rapport est un support privilégié permettant d’informer le RFP du vécu de stage,

des apprentissages effectués, de l’atteinte des objectifs, des compétences développées, de sa compréhension du contexte institutionnel. Tous les étudiants interrogés relèvent d’ailleurs spontanément l’existence de cette fonction, qui semble la plus importante à leurs yeux. Il s’agit de transmettre les éléments pertinents permettant au RFP d’évaluer la qualité du stage.

Certains étudiants relèvent que cet écrit donne un cadre à la rencontre d’évaluation finale, et permet par là-même de structurer la discussion entre les différents partenaires. Nous retrouvons là un des enjeux importants de l’adressage à l’école : informer l’école du vécu de terrain de manière honnête, en veillant cependant à ne pas transmettre d’informations susceptibles de mettre en cause la réussite du stage, ou tout du moins de porter atteinte à la note attribuée.

Nous l’avons vu, le rapport de stage est également utilisé par certains étudiants pour passer des messages aux membres du terrain professionnel. Il s’agit alors d’informer le terrain de leur vécu et de leurs réflexions concernant les pratiques professionnelles ayant cours, afin d’y apporter d’éventuelles améliorations.

7.3.2. Fonction formative

Le rapport de stage a bien entendu une fonction formative, puisqu’il s’inscrit dans un dispositif de formation. Weiss (2000) estime ainsi que le rapport de stage a pour fonction d’« encourager l’évaluation centrée sur la progression des apprentissages, favoriser l’auto-évaluation et l’apprentissage autonome, exercer des capacités métacognitives, constituer un support à l’entretien » (p.10). Nous retrouvons des velléités semblables vis à vis du rapport de stage produit à la HETS&Sa-EESP : sa rédaction est censée permettre une prise de recul sur l’expérience de stage, une articulation des éléments de théorie reçus à l’école avec la pratique professionnelle, un entraînement à la réflexivité, ainsi qu’à la rédaction d’écrits professionnels, de même qu’à l’auto-évaluation. Ces intentions pédagogiques vis-à-vis du rapport de stage n’apparaissent pas dans les consignes écrites et ne sont pas non plus transmises de manière orale. Nous avons dû interroger les responsables de la formation pratique pour qu’elles émergent de manière plus explicite.

Nous explorons ci-dessous les vertus formatives du rapport de stage, du point de vue des étudiants interrogés.

Un devoir scolaire ?

La majorité des étudiants interrogés n’a pas eu le sentiment d’effectuer un exercice formateur au moment même de la rédaction. Comme nous l’avons vu, ils ont plutôt le sentiment d’un devoir scolaire à effectuer sans en percevoir le sens réel. Ainsi, en début d’entretien, les étudiants ont tendance à penser que cet écrit ne leur a rien appris. Et c’est bien au fil des questions que peu à peu ils nomment ce que leur a apporté cette rédaction, comme si la situation d’entretien leur permettait de prendre du recul et d’accéder au sens de l’exercice. A tel point qu’à la fin de l’entretien, à la question « Et si on enlevait le rapport de stage du dispositif de formation ? », les étudiants affirment de manière unanime qu’il faut le garder, qu’il a toute son importance pour accompagner les périodes de formation pratique.

Un écrit professionnalisant ?

Les étudiants estiment que cet écrit, comme tous les documents qu’ils doivent produire durant la formation, leur permet d’entraîner leurs compétences rédactionnelles ainsi que la capacité à produire des écrits de type académique. Cette compétence est qualifiée par plusieurs d’entre eux d’essentielle pour l’exercice de la pratique professionnelle.

Certains étudiants de l’orientation animation socioculturelle soulignent que la forme même de cet écrit correspond à celle d’un document qu’ils sont amenés à produire dans leur pratique professionnelle : le rapport d’activité. Ils voient donc l’intérêt concret de cet exercice.

Quelques étudiants éducateurs sociaux reconnaissent également des liens avec leur métier futur, dans lequel ils seront amenés à écrire sur leur pratique au quotidien.

La rédaction du rapport de stage oblige également les étudiants à s’informer sur le contexte institutionnel dans lequel ils évoluent (Tilman & Delvaux, 2000). Cette partie du rapport est généralement descriptive et ne comporte pas d’analyse de la part de l’étudiant. Il s’agit d’une habitude professionnelle importante, celle de prendre connaissance du contexte dans lequel on travaille.

Les étudiants interrogés relèvent que la rédaction du rapport de stage est un exercice de diplomatie, puisqu’il s’agit de mesurer ses propos, réfléchir à ce qui peut être dit et à la manière dont cela peut être dit. L’adressage au terrain paraît entraîner ou développer cette compétence, qui est visée par certains responsables de la formation pratique. Nous voyons en effet là l’occasion de développer une compétence professionnelle importante. Mais se pose également la question de l’aspect consensuel qui risque de se dégager du rapport de stage, puisqu’il s’agit au final de plaire à tous ses interlocuteurs. Nous observons que cela freine certains apprentissages qui pourraient être faits par le biais de ce travail d’écriture. Ainsi, l’analyse de certains fonctionnements institutionnels ou pratiques professionnelles, de même que l’accompagnement formatif dispensé par les membres du terrain ne sont pas abordés s’il existe un risque de polémique. Paraphrasant Villette (2004), qui s’exprime au sujet du mémoire de fin d’études, nous pouvons émettre la même réserve que lui, à savoir que l’« on considère trop souvent comme un signe de « professionnalisme » la rédaction d’un [rapport de stage] dans le style outrageusement complaisant des relations publiques » (p.29).

Une montée en réflexivité ?

Les étudiants n’ont majoritairement pas le sentiment d’avoir approfondi leurs réflexions par le biais de ce travail d’écriture. Lorsqu’ils estiment avoir réfléchi plus précisément à certains éléments, ils peinent à citer des exemples. Quelques prises de conscience semblent avoir cependant émergé spécifiquement lors de cette rédaction. Pour Aline, il s’agit de la prise de conscience que les difficultés liées à la réalisation d’un de ses objectifs venaient en partie du fait qu’il lui avait été fortement suggéré par sa PF. Elle découvre qu’il faut parfois savoir abandonner un objectif plutôt que de vouloir le mener à bien à tout prix sans tenir compte du contexte. Delphine quant à elle prend du recul à travers le travail d’écriture sur sa relation aux usagers et à ses collègues : le fait de poser par écrit les problématiques des usagers lui permet de développer une plus grande compréhension vis-à-vis de leurs attitudes et de se sentir moins agacée par eux ; de même, en posant à plat les difficultés relationnelles liées au travail en équipe, elle entre dans une plus grande compréhension de la situation de certains de ses collègues, ce qui répare quelque peu la relation avec eux. Les prises de conscience semblent donc liées à un positionnement personnel. A noter que les deux personnes qui estiment avoir effectué des prises de conscience au travers de cet écrit sont deux étudiantes qui ont un bon rapport à l’écrit, écrivent pour elles-mêmes depuis l’enfance (journal intime), qui ont des parents travailleurs sociaux, se sentent imprégnées de la culture du travail social, de la manière de réfléchir qui y est associée, et qui ont une facilité d’introspection.

De l’avis des étudiants, la majorité des réflexions, analyses, prises de recul qui apparaissent dans leurs rapports de stage ont émergé en amont du travail rédactionnel. Certaines ont été faites par eux-mêmes en cours de stage, d’autres ont jailli des échanges qu’ils ont eu avec leurs PF ou dans le cadre de la supervision (pour ceux qui en ont bénéficié) ; les échanges avec d’autres collègues de terrain sont également source de nouvelles réflexions, de même

que le suivi des modules d’intégration et les discussions avec d’autres camarades. Les lectures effectuées et le contenu de certains cours dispensés durant la formation alimentent également les réflexions, la conceptualisation de l’expérience.

Barbier (2005) estime que cet exercice développe des compétences de rhétorique de l’action et donc la capacité de parler à autrui de son activité et des savoirs censés la fonder. Nous observons partiellement cela, puisqu’effectivement les étudiants sont amenés à exprimer par écrit leur vécu de stage, les activités effectuées. Cependant, les étudiants interrogés n’explicitent généralement pas les savoirs qui fondent leurs actions.

La rédaction du rapport de stage stimule donc certains apprentissages, mais qui pourraient être réalisés de manières différentes (les capacités rédactionnelles, l’élaboration d’un rapport d’activité notamment). Il permet certaines prises de conscience, qui paraissent tenir à des dimensions personnelles et biographiques, de même qu’à un processus réflexif entamé en amont de la rédaction. Nous percevons le rapport de stage comme un reflet des réflexions et du mouvement identitaire en cours, mais pas forcément comme un outil qui permette leur développement. Mesnier (1989), s’intéressant aux mémoires professionnels des enseignants, observe également que ce type d’écrit reflète les processus identitaires à l’œuvre. Ainsi, plus qu’une réflexion sur l’action (qui, selon Vanhulle, 2009, est une réflexion sur la réflexion en cours d’action), le rapport serait le reflet partiel des réflexions en cours d’action du stagiaire.

Nos observations nous amènent à nuancer certaines visions qui tendent à vanter les bienfaits de l’écriture en lui accordant de forts pouvoirs formateurs et professionnalisant (Cardinal-Picard et al., 2009 ; Crinon et Guigue, 2006 ; Cros, 2009 ; Fréchette et al., 2009 ; Lafortune, 2009). Ainsi, Hélène estime que c’est bien l’expérience du stage qui permet de développer certaines compétences et non pas le fait d’écrire sur ces compétences. De même, comme nous l’avons vu, les étudiants n’ont globalement pas le sentiment d’avoir fait de nouvelles découvertes par le biais de cet écrit. Le contexte de formation, de même que les aspects biographiques et personnels des étudiants participent selon nous à nuancer les bénéfices de l’écriture, ce qui ouvre notamment le débat sur les consignes liées au rapport de stage.

Cependant, la présence même du rapport de stage marque l’aspect formateur recherché au travers de l’expérience de terrain. Sylvie souligne ainsi qu’il indique que l’on n’est pas inséré dans un simple stage d’observation, mais bien dans une période d’apprentissage sur le terrain.

Laure ajoute que l’existence de cet exercice rédactionnel oblige l’étudiant à adopter une posture réflexive tout au long de son stage.

7.3.3. Fonction attestative

Parmi les fonctions attestatives, Weiss (2000) relève le fait de « reconstituer un bilan de compétences et valider les acquis scolaires et non scolaires à l’intention des tiers, assurer un suivi de la formation de l’école à l’emploi, certifier des compétences complexes » (p.12).

Le rapport de stage de la HETS&Sa-EESP soutient comme nous l’avons vu la validation du stage de par les informations qu’il transmet. Il n’est pas noté en lui-même, mais fait l’objet d’une appréciation de la part du RFP. Le rapport de stage doit donc être validé pour que la note de la formation pratique puisse être délivrée. Selon les discours de l’école, la qualité de celui-ci n’est pas censée influer sur la note. Dans les faits, les étudiants ont le sentiment qu’il a un certain impact sur celle-ci, ce que nous ne pouvons vérifier de manière certaine par le biais de notre recherche. Il est toutefois plausible qu’il pèse indirectement sur la note : un document de qualité tend à démontrer un investissement de l’étudiant que le RFP peut avoir envie de sanctionner positivement. De même, il est possible qu’un RFP ait de la difficulté à mettre une bonne note à un stage lorsqu’il transparaît une forme de désinvestissement dans le rapport.

De plus, le rapport de stage permet à l’étudiant de s’auto-évaluer, tant au niveau de l’atteinte de ses objectifs que du développement de ses compétences (en lien avec le référentiel de compétences du travail social).

A cette fonction attestative, nous pouvons ajouter une fonction de légitimation (Merhan, 2009) par les professionnels de terrain et les professeurs de l’école. Il s’agit par le biais de cet écrit de faire reconnaître son activité professionnelle durant le stage par des autruis significatifs et légitimes pour en donner une quittance. Nous notons que la reconnaissance reçue notamment du terrain paraît dépendre de l’estime dans laquelle le stagiaire tient le professionnel qui la lui donne. Ainsi, Sylvie ne ressent pas comme valorisant les retours de sa PF, cette dernière n’étant pas de langue maternelle française, ayant une expérience très réduite dans le suivi des étudiants, et n’ayant pas entretenu une relation « de qualité » avec la stagiaire.

7.3.4. Fonction symbolique

Tous les étudiants interrogés voient dans cet écrit une fonction que nous qualifions de symbolique, celle de clôturer le stage. Le langage imagé utilisé par eux marque cet aspect. Le rapport de stage est ainsi vu comme une boîte à souvenirs, comme la ficelle autour d’un paquet. Les étudiants relèvent qu’il permet de poser un point final au stage, d’en faire le bilan, de mettre en terme à certaines relations fortes. Les personnes qui ont un bon rapport à l’écrit trouvent même qu’il s’agit d’une « belle manière de conclure le stage » (Laure, 50, 2259).

Le rapport accompagne ce moment de vie particulier, de déplacement dans un ailleurs, que représente le stage. Il soutient également la position particulière du stagiaire qui ne fait que passer sur ce terrain professionnel. Aline résume bien cela, estimant que le journal de bord temporalise ces quelques mois d’insertion professionnelle, alors que le rapport de stage permet d’y mettre un terme. Il donne ainsi une structure au stage, un point de repère et symbolise le statut d’apprenant du stagiaire.

Une étudiante (Laure) estime que cette fonction symbolique pourrait être servie par un autre type de support que le journal de bord. Tous s’entendent cependant pour accorder une valeur importante à ce travail d’écriture, qui permet de poser les éléments, de les approfondir, et de les garder en mémoire.

Nous notons que la prise de conscience de cette fonction par les étudiants se fait lors de l’entretien, ou lors de sa préparation (qui paraît être une occasion assez unique de relire son rapport de stage) et non au moment de la rédaction du rapport. La situation d’interview semble donc propice à une plus grande réflexivité au sujet du rapport de stage.

Oudart et Verspieren (2006) qualifient la rédaction du rapport de stage de rite de passage, par le fait qu’il est « à la fois processus et produit, dynamique et statique » (p.47). Les étudiants ne parlent pas de cet écrit en ces termes, mais il semble généralement vécu comme une épreuve à traverser, que cependant aucun d’entre eux ne souhaite voir disparaître de la formation. Nous estimons ainsi que le rapport de stage peut être vu comme une forme de rituel qui accompagne le vécu particulier du stage.