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1.5 Enregistrement textuel : le papier comme base de la civilisation, un nouveau support pour la validation de la connaissance

1.5.1 L’utilisation du papier par un nouveau système de connaissances en développement : la création de l’Université ou la création du diplôme

Pour que soit comprise la proposition que nous allons présenter dans cette recherche, et surtout sa nécessité à l’époque du numérique, il faut examiner les conditions historiques depuis le commencement de la recherche universitaire jusqu’à nos jours en relation avec les moyens qu’on utilise dans chaque époque pour le traitement des données.

La création et l’évolution d’un diplôme qui est par la suite associé à une thèse sont directement liées à l’évolution «sociale» de l’Université, qui s’exprime à travers un parcours ayant comme point de départ une procédure «cérémoniale» pour finir à une méthodologie scientifique. De ce fait, la naissance et l’évolution de l’Université médiévale, depuis que l’éducation commence à se détacher progressivement de l’influence de l’Eglise, se forme parallèlement aux évolutions sociales, parfois en suivant et parfois en influençant la formation et l’évolution de l’Europe médiévale.102

Jacques Verger note : « Avec l’apparition des universités, à partir du XIIIe siècle, la licence connaît d’importantes transformations. Elle restera cependant la clé du voûte institutionnelle de l’enseignement et du professorat dans l’Occident médiéval »103.

L’idée de la soutenance d’une idée face au maître de l’étudiant commence dans les écoles pré-universitaires du XIIe siècle sans cérémonie104. Il s’agissait d’une relation personnelle entre le maître et son étudiant. La thèse écrite était inconnue dans les universités médiévales de l’époque.

L’Université traversa plusieurs phases, dans un environnement de grands changements de l’Europe médiévale, jusqu’à ce qu’elle prenne la forme que nous

102 Verger, Jacques, « Examen privatum, examen publicum. Aux origines médiévales de la thèse », in Eléments pour une Histoire de la Thèse, Mélanges de la Bibliothèque de la Sorbonne no 12

103 Ibid., p.18

104 Ibid, p.17

connaissons aujourd’hui. Des changements militaires, politiques, économiques, même linguistiques, interagissent et influencent sa structure.

En même temps elle est aussi influencée par les évolutions techniques d’alors, le facteur central étant l’invention et la diffusion du papier et de ses dérivés, comme la typographie, les livres et la presse périodique, dont l’évolution se situe à cette même période.

Le diplôme et la recherche en vue du diplôme joue, comme nous avons mentionné, un rôle important pour l’évolution de l’Université.

A l’époque où sont posés les fondements pour une gestion organisée de la connaissance sous la forme d’un domaine autonome d’enseignement, il y a besoin d’un élément institutionnel indépendant qui puisse requérir l’autonomie des établissements d’enseignement sans bouleverser l’équilibre fragile existant.

La nouvelle institution (l’Université) qui se forme et évolue progressivement jusqu’à ce qu’elle prenne sa forme finale actuelle a comme axe principal le diplôme et toute la cérémonie qui se développe autour de lui, suivant toujours les coutumes et les mœurs de l’époque.

Aux alentours de 1150 apparaît un document formel, le «licentia docenti»,

«licences d’enseignement», qu’applique à l’initial l’Eglise dans le but de contrôler les écoles105 qui étaient hors ses monastères, considérant que le «magister» qui était là placé par elle pour diriger l’école ne suffisait pas pour cette tâche de contrôle ecclésiastique.

L’évolution importante a lieu entre le XIIIe et le XVe siècle. Comme note Jacques Verger106, les mots désignant les examens terminaux et les grades correspondants dans les universités médiévales sont alors bien connus (licence, maîtrise, doctorat). Progressivement, et à travers la dominance du diplôme de

«licence», qui plus tard se divise en maîtrise et doctorat, commence la prédominance du nouveau système éducatif.

Jacques Verger continue : «Dernier trait essentiel de la licence, c’était, depuis l’origine et par définition, un acte de droit public. Il ne s’agissait plus, comme dans le système primitif (…) du simple aval, essentiellement moral, donné

105 Ibid, p.17

106 Ibid., p.16

par le maître au disciple dont il était pleinement satisfait. Il s’agissait bien d’un titre légal, conféré lors d'une cérémonie officielle, accompagné de la prestation de serments, souvent enregistré par un écrit authentique. La garantie donnée à l’impétrant ne l’était pas par un ou plusieurs professeurs, agissant à titre personnel, comme simples experts, mais par une personne investie d'autorité publique par un pouvoir supérieur».107

L’université alors, au fil de ces années difficiles (XIIe au XIIIe siècle) établit un «acte de droit public» qui prend la forme d’un diplôme, un «titre légal».

L’université, à travers le travail qu’elle effectue (le traitement de la connaissance), les examens, et le diplôme qui le confirme, acquiert progressivement un statut d’existence propre, toujours bien sûr sous la haute surveillance de l’église ou de l’état et du roi, intendance qui diffère selon l’université et le lieu.

Jaques Verger mentionne à ce sujet «A partir du moment, c’est-à-dire du milieu du XIIIe siècle, où les premières universités ont été solidement constituées et les notions de « studium » générale et de « licentia ubique docendi » clairement établies, c’est presque toujours au nom du pape que le chancelier de l’université – qu’il ait été par ailleurs l'ancien écolâtre comme à Orléans ou à Salamanque, le chancelier du chapitre cathédrale comme à Paris ou à Toulouse, l'archidiacre majeur comme à Bologne, l’évêque lui-même comme à Montpellier (université de droit) ou à Prague ou encore un délégué nommé par l'évêque comme à Oxford et à Cambridge – conférait la licence. A Naples et à Salerne, Frédéric II de Hohenstaufen avait évidemment prévu que les licences en droit et en médecine seraient octroyées au nom de l'empereur roi et elles ont continué à l’être, après lui, au nom du souverain angevin. En Castille et dans les pays de la Couronne d'Aragon, elles le seront au titre conjoint de l’autorité pontificale et royale »108.

Ce développement est lié à l’évolution du papier qui dès la moitié du XIIIe siècle commence à être produit en Europe par les Italiens qui sont les importateurs de papier les plus importants. Le premier laboratoire de production de papier est crée au petit village Fabriano.

Le grand succès commercial du papier a comme résultat la multiplication des laboratoires de papier – les Moulins – en Italie. Pierre Mark de Biasi

107 Ibid.

108 Ibid., p.22

mentionne : « en XIIIe siècle (…) la nouvelle technologie du papier s’inscrit dans la logique d’un capitalisme marchand qui est en train de naître109 (…) Progressivement le papier italien, moins cher, chrétien et de meilleure qualité, mange les parts de marché du papier arabe et s’impose sur les places du Nord. Au XIVe siècle, toutes les grandes Villes d’Europe de l’Ouest, toutes les institutions importantes et tous les centres de décision politique ou économique possèdent un dépôt substantiel de papier italien »110.

La relation entre papier et université est particulièrement étroite et l’un influence l’évolution de l’autre.

Pierre Mark de Biasi constate : « Le monopole italien ne prend fin qu’au moment où vers le milieu du XIVe siècle les gros consommateurs français (universités, abbayes, chancelleries), bientôt suivis par des Allemands, décident d’importer massivement, non plus le papier marchandise, mais la technique de production elle-même (…) A partir des années 1350, pour répondre aux besoins de l’Université, d’importantes papeteries s’installent aux environs de Paris (Essonne, 1354-55 et Saint Cloud, 1376) »111.

D’une part l’université découvre un outil pour l’enregistrement et le traitement faciles de la connaissance qui existe déjà ainsi que de celle qu’il produit lui-même ; son organisation administrative ; le développement des examens et la production des diplômes. D’autre part, ayant un tel client les producteurs de papier créent d’entreprises énormes.

Un des «papiers» les plus importants est le diplôme. Pendant l’évolution de l’institution de l’université, ce «papier» acquiert progressivement un prestige particulier puisqu’il constitue la validation institutionnelle du travail et des connaissances de l’étudiant. Ce papier acquiert une «valeur sociale institutionnelle»

qui va de pair avec les nouveaux métiers émergeants ou des anciens métiers qui s’emparent de la scientificité requise à travers la nouvelle éducation et la bibliographie qui s’accroît constamment.

109 Biasi (de), Pierre Mark, Le Papier. Une aventure au quotidien, Découvertes Gallimard, 1999-2003, Paris, p.48

110 Biasi (de), Pierre Mark, Le Papier. Une aventure au quotidien, Ibid., p. 47

111 Ibid., p. 49

L’université se substitue progressivement, via ce papier, aux autorités (Roi, Eglise), qui toutefois contribuent obligatoirement à cette procédure (avec la signature et le sceau).

Le diplôme même, pour ce qui concerne sa structure, se trouve dans un processus d’évolutions qui desservent ses objectifs et résoudrent les problèmes qu’affronte le système éducatif nouveau pour s’établir.

Un des premiers problèmes que devait résoudre le système éducatif nouveau-né était la manière de reproduction de sa structure, à savoir la désignation des enseignants. En d’autres mots, savoir comment est définie la connaissance, qui la qualifie institutionnellement et qui est le responsable pour son organisation éducationnelle ; finalement, qui enseigne celui qui contrôle la connaissance.

Si elle résolvait les questions susdites, l’éducation institutionnelle nouvelle pourrait se détacher de ses tuteurs (l’église ou le roi) et gagner une autonomie plus importante.

Afin de parvenir à ce but, elle devait formuler un nouveau mode de fonctionnement qui puisse être mesurable et respectable tant par les classes dominantes que par le reste du système social.

Il fallait donc une « autorité » qui émanât de la structure propre de l’Université et qui pusse d’une part désigner les règles, la justesse de la connaissance et la capacité des étudiants de la servir, et qui eût d’autre part la permission des autorités de faire prévaloir ce droit avec leur collaboration.

La notion de graduation concernant les compétences comme il est décrit plus haut signifiait inéluctablement la graduation des études et par conséquent du diplôme.

De ce besoin naît le «doctorat» qui remplace essentiellement l’acte institutionnel de la classe dominante ou de la caste de la profession, qui a le droit d’instaurer les divers métiers. Le docteur a dès lors le droit de reproduire le système de transfert de la connaissance et assume l’organisation de la profession aux étudiants suivants.

La classe dominante est encore présente, mais le diplôme et la licence d’exercice du métier ne sont plus attribués par elle, mais en son nom par la direction de l’université.

Le doctorat signifie étymologiquement la capacité du titulaire d’organiser et transférer la connaissance non à travers une expérience mais à travers une connaissance constituée, connaissance d’ailleurs susceptible de désigner cette capacité juridiquement. Le titulaire du doctorat a dès lors par la loi la possibilité de préparer d’autres maîtres qui enseigneront par la suite le métier en utilisant la connaissance qui est accumulée via cette procédure, et non seulement à travers la pratique empirique du métier ou le pouvoir de la caste.

Georges Gusdorf dit : «Au sens propre du terme, l’idée d’Université désigne une structure juridique, dont le schéma englobe à la fois une organisation de l’enseignement et un système de connaissances (…) Le mot Universitas, dans le latin ancien, désignait simplement une totalité. La langue juridique du Digeste lui donne le sens plus restreint de corps ou corporation. C’est là la signification première de l’Université médiévale : dans une organisation sociale corporative, il y a place, a côté de la guilde des merciers ou des orfèvres, pour une compagnie, un consortium ou une «conjuration» rassemblant les enseignants et les enseignés. Telle est la signification, à la fois professionnelle, technique et humaine, du mot Université»112.

Cette «totalité» entretient des relations aussi bien dans son intérieur qu’avec la société, via le diplôme.

La soutenance du diplôme dans sa forme première suit les structures sociales de l’époque. La scientificité que cherche à organiser l’université est en accord avec les vertus recherchées par l’église ; le candidat, surtout le candidat en théologie, qui est très puissante à l’époque, est interrogé sur les connaissances qu’il obtint durant ses études, mais aussi sur sa vertu. Il n’est donc pas demandé à l’étudiant de produire une connaissance nouvelle à travers une recherche.

Aux premières étapes de l’évolution de l’université, le diplôme représente une combinaison de connaissance et de morale, c’est-à-dire la pratique du savoir d’une manière spécifique, imposée d’un paramètre extérieur à la science.

Jaques Verger explique : «la licence proprement dite avait pour objet de vérifier non seulement les connaissances et les aptitudes intellectuelles du candidat mais aussi ses qualités morales vita, conversatio et mores – inséparables, selon l'esprit du temps, de la perfection du savoir qu'il prétendait maîtriser et des hautes

112 Gusdorf, Georges, L' Université en question , Payot, 1964, Paris, p. 18

responsabilités sociales auxquelles il aspirait»113 (…) Là où de véritables épreuves d’examen étaient cependant organisées, on notera qu’elles n’avaient pas pour objet principal, surtout en ce qui concerne la licence, de permettre au candidat de faire preuve d’initiative et d’originalité. On lui demandait seulement d’être capable de reproduire seul les exercices qu’il avait suivis pendant ses années d’études ».114 Durant alors la première période où l’université commence à se former dans la configuration que nous connaissons, le point aigu principal qui entraîne son évolution et détermine le gain de son indépendance est le diplôme et les examens pour son obtention. Le grade supérieur est le doctorat, qui a le plus d’intérêt. C’est le moment où les autorités de l’université se rencontrent avec celles de l’église, qui était jusqu’alors responsable pour l’éducation, et avec celles de la ville. Ceci s’exprime par une cérémonie (la cérémonie de décernement du diplôme), analogue à toutes les autres cérémonies de cette époque.

Tel est l’environnement où se développe la thèse pendant les premières étapes de l’évolution de l’université.

1.5.2 Doctorat, de la représentation iconique à l’enregistrement de la pensée

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