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1.2 Conditions de la recherche et solutions proposées pour la définition de l’objet de recherche

1.3.2 Les trois ruptures qui ont changé les éléments concernant la qualité de l’homme de représenter la nature

1.3.2.3 La représentation numérique de la nature

La troisième rupture à la représentation de la réalité, même si elle est la plus forte, entre dans la vie quotidienne encore plus silencieusement que la dernière, puisque ses caractéristiques spéciales mettent du temps à se distinguer, car elle utilise, aux premières phases de son développement, comme moyen de communication (comme «output» dans la terminologie des ordinateurs), le papier, et plus tard le tube cathodique de la télévision. Elle suit donc la même logique que le tableau cartésien, mais développe un mode d’enregistrement et de contrôle des éléments produits complètement différent.

La Représentation Numérique (enregistrement de chaque phénomène naturel sous la forme des chiffres 1 et 0) pour la première fois dans le parcours continu de la Civilisation crée la rupture la plus vigoureuse qui n’a rien à voir avec les autres.

Cela arrive parce que la représentation de la nature n’a plus aucune relation avec

des «processus mécaniques», physiques ou chimiques, mais avec des «processus logiques». Pour la première fois le créateur, comme le signale Moles, peut décrire un phénomène de manière que ce phénomène peut s’imprimer sur un substrat quelconque (papier, écran etc.)79.

Cette rupture apparaît à tous les niveaux possibles de la relation de l’homme avec l’image : la façon de production, diffusion et perception. Le trait principal de cette rupture est le remplacement de la lumière, de l’optique, par la mémoire. Une image d’une œuvre de «représentation numérique» ne représente pas la réflexion momentanée de la lumière sur une surface photosensible ou la transposition d’une telle impression, mais contient une pensée complexe et classée en forme d’un programme et de données dans la mémoire d’un ordinateur, prête à donner des nouvelles informations visuelles au «spectateur» qui réagit sur elle80. Cela demandait bien sûr un processus laborieux de la part de l’artiste et du scientifique, jusqu’à ce qu’il développe les instruments et les techniques appropriés. Les artistes-chercheurs Monique Nahas et Hervé Huitric, qui étaient des pionniers qui ont développé ces capacités à l’ordinateur, dans un article sous le titre caractéristique

« The visual artist turn to Computer Programming81 » (L’artiste visuel devient Programmeur d’ordinateur), décrivent leur parcours qui a commencé dans les années 70, et a duré plus d’une décennie, pendant laquelle, en fonction des ordinateurs et des moyens qu’ils avaient à leur disposition, ils ont utilisé des programmes comme Lisp et Fortran et des algorithmes complexes, c’est-à-dire une mémoire complexe formulée, afin de parvenir à marquer des propriétés optiques simples comme la brillance, la surface, la couleur, ou le mélange de deux images.

L’expérience accumulée de plusieurs scientifiques, artistes et techniciens, mais aussi l’évolution des outils, après 30 ans d’expérience a réussi à être capable de tout réaliser et, à travers les techniques actuelles de combinaison de mémoire et d’expression audiovisuelle, à donner une autre dimension de représentation qui, outre la vraisemblance, a la capacité de contenir des histoires qui se déroulent par

79 MOLES, Abraham, Art et ordinateur, Blusson, 1990

80 Voir Couchot, Edmond, La technologie dans l'art - de la photographie à la réalité virtuelle, Editions Chambon Jacqueline, 1998

81 Nahas, Monique, Huitric, Herve, « The visual artist turn to Computer Programming » in Ars electronica : facing the future : a survey of two decades, Éditeur The Mit Press, Cambridge, MA, 1999

rapport aux réactions du spectateur. L’appellation qui était donnée à cette forme de représentation est la Réalité Virtuelle.

A travers cette relation un nouveau genre de « spectateur » est crée, un spectateur qui apprend à communiquer avec l’image à travers des informations évoluant constamment et non seulement à travers les messages de l’image seule.

C’est la communication dans les deux sens, atteinte à travers la «mémoire» de l’image, qui joue le rôle le plus important, et non l’image elle-même. Ce qui maintient l’intérêt du spectateur à continuer son voyage dans l’espace virtuel, ce n’est pas tant les images ou une juxtaposition sérielle d’images, le fameux montage dans la logique d’Eisenstein, mais un dialogue intelligent qui a lieu à travers les images, les sons et les mots qui sont retirés de la mémoire de l’outil.

C’est l’interaction, qui est atteinte à travers la «mémoire» de l’image, qui joue le rôle le plus important, et non l’image elle-même.

Si l’on accepte la définition de Francastel82 que l’art se compose d’un phénomène double, technique et mental, on observe que l’art créé de manière numérique se détache progressivement de son côté manuel pendant que son côté mental se libère.

L’artiste ne se préoccupe pas donc de la représentation du phénomène naturel de la lumière, il se préoccupe des représentations de la pensée. Bien sûr cela n’est pas inconnu dans l’Art qui provient du processus néoplatonicien et de la représentation des relations spirituelles.

Abraham Moles relate que l’Artiste, avec l’aide de la technologie contemporaine, n’est pas un créateur d’œuvres mais le créateur d’idées pour les œuvres, comme par ailleurs, à plus forte raison, l’homme scientifique du domaine de l’informatique.

Lev Manovich83 confirme qu’après ce processus les images ne sont pas comme avant: « L’image basée sur l’ordinateur consiste en deux niveaux, une apparence superficielle et le code implicite (qui peut être les valeurs pixel, un fonctionnement mathématique, ou un code HTML) (…) une image acquiert le nouveau rôle de l’interface (par exemple, imagemaps sur le web ou l’image d’un

82 Francastel, Pierre, La réalité figurative, Edition Denoël/ Gonthier

83 Manovich, Lev, The language of New Media, The MIT press, 2001

bureau comme une entité sur GUI). Ainsi l’image devient image-interface. Dans ce rôle, elle fonctionne comme un portail vers un autre monde (….) En outre de leur fonctionnement comme images-interfaces, les images de l’ordinateur fonctionnent comme images-outils. Si une interface contrôle un ordinateur, une image-instrument permet à l’utilisateur de modifier la réalité physique en temps réel (…) Une image d’ordinateur est souvent hyper-liée à d’autres images, textes et autres éléments média ».

La civilisation numérique passe de la création de l’image (graphiques sur ordinateur, computer graphics) à la gestion de l’image (multimédia), et de la gestion de l’image au programme pour la genèse d’une nouvelle image ou d’un concept qui aboutit à une action (art interactif, entités artificielles).

La transposition de chaque phénomène naturel dans une représentation numérique crée une nouvelle donnée qui caractérise la Civilisation Numérique.

L’importance n’est pas donnée tant aux analyses du phénomène visuel, qui présente la capacité d’être reconnu par les sens humains, mais à la représentation des formes dédaléennes de la pensée et de sa représentation polymorphe.

En résumant tout ce qui écrit ci-dessus, on pourrait tirer la conclusion que la représentation numérique de la Nature ne se caractérise pas tant du résultat qu’elle peut créer dans le domaine de l’image ou du son, mais des informations que ce système retient dans sa mémoire. Le résultat de ce processus ne se caractérise pas tant d’un art mais d’un monde entier, un système complet avec lequel l’homme doit apprendre à vivre.

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