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1.1 Problèmes de définition de l’objet de la recherche

1.1.4 Support théorique concernant l’art numérique

Depuis les années 90, relativement tard par rapport à l’évolution rapide des média, apparaît une bibliographie qui s’occupe de la précoce culture numérique, capable de créer un contexte théorique qui soit complet.

Une dissertation considérée comme un point de référence est celle de Lev Manovich parce qu’elle essaie de créer un système complet qui dresse toutes les formes d’expression débutantes, qui se présentent sous le terme général «nouveaux média». Pourtant son analyse demeure basée sur le cinéma, comme il signale lui-même: « La théorie et histoire du cinéma est utilisée en tant qu’une lentille conceptuelle-clé à travers laquelle on regarde les médias »38. Il soutient avec succès la succession intérieure des anciens et des nouveaux média en prouvant que les nouveaux média ne sont pas si nouveaux et l’inverse. Cette position est peut-être influencée par les origines de l’artiste qui est d’origine Russe, puisque la Russie est en effet le pays natal de la langue cinématographique à travers les textes et l’œuvre d’Eisenstein, mais aussi de Vertov. Les propositions de Manovich pour dresser les nouveaux média et en général en ce qui concerne les caractéristiques qu’acquièrent les anciennes données sous leur nouvelle forme, comme par exemple les différences entre une image analogique et une image numérique, sont décisives et la plupart des chercheurs, même s’ils ne sont pas d’accord avec ses positions, les utilisent comme un point de référence.

Un grand groupe de chercheurs poursuit ce courant et affronte l’art numérique comme une extension ou une évolution du cinéma, ou il l’utilise simplement comme un point de comparaison. La caractéristique principale de ce groupe est qu’il voit l’art numérique comme un nouveau médium, c’est-à-dire il donne plus d’importance à la transposition et à la projection du message, des propriétés qui caractérisent le « médium »39 et pas aux caractéristiques pures du

38 « The theory and history of cinema serve as the key conceptual lens though which I look at new media » in Manovich , Lev, The language of New Media, The MIT Press, 2001

39 Voir chapitre 1.4.1 Différence entre le medium et la plateforme

nouvel instrument de création, dont la partie dominante n’est probablement pas l’image et sa transposition, mais le texte, au sens large du mot, c’est-à-dire la programmation qui n’est rien d’autre qu’une langue spéciale à travers laquelle l’auteur communique avec ses instruments pour la création d’une œuvre. Même Hansen qui fait un effort pour exprimer une «nouvelle philosophie» des «nouveaux média», en plaçant son travail aux antipodes des propositions de Manovich, n’échappe pas de la vision de la nouvelle situation comme une «illusion d’optique»

qui s’est développée pendant toute la durée de la culture et s’est achevée avec la représentation mécanique de la nature au XIXe siècle40. Alors que Hansen41 propose un rapprochement différent, en comparant le corps et l’image et les nouvelles dimensions que le corps prend par rapport à l’image, sa recherche n’arrive pas à dépasser les limites de l’ «optique» et de l’«illusion» qui se créent à travers le

«corps» du spectateur. La plupart des expérimentations du cinéma expérimental ont comme base et comme instrument l’illusion d’optique mais aussi le corps, puisqu’il participe et communique souvent avec le film. Plus tard, l’image électronique multiplie les possibilités de cette illusion et de la participation du spectateur dans l’œuvre. C’est le moment où l’ordinateur en tant qu’instrument spécialisé supprime presque chaque obstacle dans la possibilité de réaliser une quelconque image une image. Tous les problèmes qui concernent la création de l’illusion d’optique sont résolus et on attend les résultats de cette situation dont s’occupe le groupe des chercheurs qui l’affrontent comme un nouveau médium. C’est un fait dont les caractéristiques qu’on décrit sont plus proches de l’art conceptuel, mais, hormis certains cas isolés, il n’a pas été crée de courant fort vers cette direction. En outre, un autre cas intéressant, constituent les études qui examinent l’art numérique par rapport à la narration. Ces études, alors qu’elles sont influencées par la relation avec l’illusion d’optique mentionnée ci-dessus, comme les dissertations de Jeffray Shaw42 concernant le cinématographe interactif, ou les œuvres de réalité virtuelle.

Les domaines scientifiques qui présentent un intérêt vers cette direction sont les domaines de la science cognitive, de l’intelligence artificielle et de la science de narratologie. Il existe des efforts importants de combiner les domaines susmentionnés avec l’art, mais leur combinaison n’est pas tellement développée

40 Une rétrospective très intéressante a lieu dans : SHAW, Jeffrey, WEIBEL, Peter, The Cinematic Imaginary after film, ZKM, MIT Press, USA, Germany, 2002

41 Hansen, N,B., New Philosophy for New Media, MIT Press, 2004

42 Shaw, Jeffrey, Langages en perspective, nouveaux médias dans l’art contemporain, Artifices 4, St.

Denis, 1996

pour que des conclusions d’intérêt artistique ou esthétique en soient retirées. Ils se trouvent actuellement en étape d’expérimentation, qui présente néanmoins un intérêt scientifique particulier. Ces œuvres ont un intérêt pour leur originalité mais pas pour leur force artistique.

Il est certain que la technologie qui concerne le cinéma aujourd’hui, avec le développement du montage non linéaire, les techniques complexes qui combinent des images réelles avec des éléments virtuels, qui se rapprochent plus du dessin animé que du cinéma, comme mentionne Manovich, et la possibilité de modification de l’image qui influence et développe le langage cinématographique pendant sa production mais aussi pendant sa présentation à travers des possibilités de distribution nouvelles comme le dvd et le streaming video. Or, cela détermine le cas où une partie de la technologie numérique se valorise éminemment en tant qu’instrument. Ainsi Christiane Paul sépare l’art numérique en deux grandes catégories, celle où les technologies numériques sont utilisées en tant qu’instrument et celle où elles sont utilisées en tant que médium. (Le numérique comme outil, Le numérique comme médium.)43

On ne sait pas encore si cette différence est déterminante et s’il y a plusieurs chemins dans l’art numérique, mais sans doute on réduirait beaucoup l’importance de cette nouvelle situation de l’art, si on l’examinait comme l’évolution d’une forme d’art quelconque déjà existante.

La façon numérique de mémoriser et modifier ne constitue pas, à notre avis, l’évolution des média dans le sens qu’ils ont pris après la période McLuhan44. Elle ne cesse de se caractériser comme un «médium», au sens large du terme, mais en effet c’est un nouveau «système culturel» qui se distingue par des procédés par rapport à la mémoire, le traitement des concepts et l’administration du matériel d’une manière complètement différente. Un poste de travail a d’autres caractéristiques qu’une table de montage. C’est la différence entre le «médium» et la «plateforme», qu’on va développer dans un chapitre prochain45.

L’avis des théoriciens importants évolue vers cette direction. Le pionnier du genre qui valorise comme un point de comparaison la cybernétique est Abraham

43 Paul, Christiane, L’Art numérique, Thames and Hudson , Sarl, Paris, 2004

44 McLuhan Marshall, Pour comprendre les Media, Editions Points, 1999 (première édition, McGraw-Hill Company, 1964)

45 voir chapitre 1.4.1

Moles . C’est l’un des premiers qui cite le concept «Art et ordinateur46» et décrit les caractéristiques spéciales du nouvel instrument, mais malheureusement, à cause de la tendance des postérieurs à étudier cet art comme un médium audiovisuel et la position du chercheur pour un comptage absolu basé sur l’unité de l’information, son travail n’a pas été aussi apprécié qu’il le fallait. Le travail de Frank Popper47 fut également important, annonçant des concepts et des caractéristiques de l’art qui aujourd’hui jouent un rôle très important, comme la séparation entre l’Art et l’objet d’art, la participation du spectateur dans l’oeuvre artistique, et l’art populaire contemporain.

Dans ce cadre agit également Edmond Couchot48, postérieur aux deux derniers, parvenant à dresser l’espace conceptuellement. L’artiste, chercheur et théoricien, au lieu de s’occuper de la logique des média, prend comme axe central la représentation et examine parallèlement l’évolution de la technologie ainsi que le regard subjectif de l’artiste (photographie/impressionnisme). Ainsi, il se décharge de la comparaison des données à travers un Art central, mais il l’accepte à travers le regard personnel de l’artiste en combinaison avec le médium qu’il utilise. En effet il crée une analyse généalogique de la présentation vers la représentation, de l’art figuratif à la photographie et aux nouveaux média.

On considère que l’œuvre de Peter Weibel, ainsi que les textes de Roy Ascot49 sur les communautés virtuelles sont essentiels par rapport au réseau (du www aux circuits de surveillance), avec la différence entre action et art, et par rapport aux catalogues respectifs qu’il a procurés. Sont également importantes les expériences et constatations de Gert Lovink50, co-fondateur de la mailing liste

« nettime », par rapport au réseau, contrastant avec les interprétations de Castells51, ainsi qu’un courant de théoriciens qui sont préoccupés par l’identité et le rapport du corps dans le cyberespace. Or, plus le cyberespace s’assimile dans la vie quotidienne, plus cette position perd cette différenciation et le cyberespace est traité comme tous les espaces de l’environnement quotidien.

46 Moles, Abraham Art et ordinateur, Blusson, 1990

47 Popper, Frank, Art action et participation, Editeur Klincksieck, 1980

48Couchot, Edmond, La technologie dans l'art - de la photographie à la réalité virtuelle, Editions Chambon Jacqueline, 1998, Couchot, Edmond, Images. De l’optique au numérique, Hermes, 1988

49 Ascot, Roy, Tellematic Embrace, University of California Press, 2003

50 Lovink, Geert, My First Recession, Critical Internet. Culture in Transition, V2 Publishing, Roterdam, 2003

51 Castells, Manuel, L'ère de l'information - T1 La société en réseaux, Editions Fayard, Paris, 2001 (première édition : 1996)

Ce noyau central fut entouré par les études sur des espaces spécialisés, comme les études de J. Shaw52 et autres, pour un cinéma interactif hybride.

Finalement, on voit se développer deux champs de préoccupation et de recherche qui se complètent. L’un concerne l’évolution du réseau, de la nouvelle base qui est utilisée, ainsi que la manière dont la nouvelle technologie s’adapte à l’environnement. La deuxième concerne la nouvelle identification de l’homme dans l’espace technologique, le cyberespace53, ainsi que l’identification de chaque objet, en commençant par le texte préféré de Walter Benjamin sur l’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée54, qui aujourd’hui, selon Isabelle Lemarié55, est remplacée par le clonage.

Ce noyau d’interprétation d’un phénomène aussi complexe a constitué une sorte de point de départ pour un parcours de recherche particulier, pendant laquelle on a rencontré des ouvrages et des ères qui en apparence n’auraient pu avoir aucun lien avec l’objet de notre recherche. Pendant le parcours de la recherche, on va citer des ouvrages qui avaient comme commencement les processus qui précèdent la création artistique, comme le développement du savoir chez un grand nombre de chercheurs de ce contexte.

Le fait qu’une grande partie des chercheurs cités sont des artistes qui ont fait des études théoriques et ont ensuite enseigné à l’université montre le besoin aigu du milieu d’enregistrer pour créer des instruments théoriques d’interprétation, pour créer des règles d’expression, et pour définir le milieu. Pourtant l’activité qui a commencé à travers des groupes d’artistes et d’hommes scientifiques, des festivals, des centres culturels et des actions sur le net, caractérisées par un optimisme pour la création d’une utopie, est désormais en récession. Plein de festivals ont arrêté leurs activités, plein de centres ont fermé ou adopté des tactiques de lieux traditionnels, et finalement le traitement de l’art numérique, après les centres culturels et les festivals, se fait par les milieux qu’ils l’ont généré : surtout dans les lieux des recherches universitaires.

52 Shaw, Jeffrey, WEIBEL, Peter, The Cinematic Imaginary after film, ZKM, MIT Press, USA, Germany, 2002

53 Voir Hales, Katherine, N., How We Became PostHuman. Virtual Bodies in Cybernetics, Literature and Informatics, The University of Chicago press, Chicago et Londres, 1999

54 Benjamin, Walter, L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, Poésie et révolution, Paris, 1936

55 Rieusset-Lemarie, Isabelle, La société des Clones à l’ère de la reproduction multimédia, Actes Sud, 1999

1.2 Conditions de la recherche et solutions proposées pour la définition de

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