• Aucun résultat trouvé

2.4 L’art de la mémoire

2.4.6 Le « Théâtre de la Mémoire » de Giulio Camillo et ses références à l’ère numérique

Le système mentionné plus haut, qui connut un grand succès à l’époque où il fut présenté, était largement basé sur des idées métaphysiques théocratiques, chose assez habituelle à cette époque, où la pensée scientifique n’était pas encore entièrement détachée de la pensée théologique ; pourtant l’idée dans son ensemble présente une série de caractéristiques qui sont retravaillées aujourd’hui car la technologie a la capacité de les exploiter.

Il s’agit de l’effort pour que la mémoire soit présentée comme note Bertrand Schefer, comme « une image complète du monde dans laquelle il est possible de

représenter, par un nombre fini de combinaison d’images, la somme de toutes les choses, idées et concepts, c’est-à-dire la totalité du monde connaissable53 ».

C’est exactement cette procédure qu’essaient de réaliser les encyclopédies multimédia actuelles et les timelines (lignes du temps) avancées.

Une partie de cette idée est utilisée aussi pour notre proposition dans l’effort de résoudre le problème suivant : comment dans l’espace restreint de l’écran d’un ordinateur peut être présenté par l’image un ensemble d’idées interconnectées. Dans notre proposition, la différence est que cette image n’a pas de limite et est basée sur la ligne du temps.

Comme le soutient Bertrand Schefer en se référant à encore une personne qui a travaillé sur les mécanismes de mémoire, Pic de la Mirandole, il s’agit d’un sujet qui est, si on laisse de côté les buts pratiques, proprement philosophique :

Cette reprise en images de la formule attribuée à Pico de la Mirandole, de omni re scibïli, « de tout ce que l’on peut connaître », procède, au-delà de son caractère purement encyclopédique, d’une démarche véritablement philosophique.

En effet, le projet de Camillo consiste, selon ses propres mots, à produire une « âme construite », c’est-à-dire un plan visible de l’âme humaine lisible dans la restitution qu’il opère du déploiement de la machine du monde. Le plan suit ainsi un processus génétique d’engendrement et retrace, de façon quasi démiurgique, la progressive incarnation de l’homme dans l’univers et son ultime accomplissement dans les œuvres de l’art sous la figure de Prométhée.

2.4.6.1 Les limites du « Théâtre de la Mémoire »

Afin de conclure la présentation de Théâtre de la Mémoire, nous devons signaler les observations suivantes :

1. Le système de Camillo, comme tous les systèmes similaires de la même période qui étaient basés sur l’Art de la Mémoire, n’incluent pas la notion du

« temps ». Il s’agit d’un système immobile dans le temps.

53 Sceffer, Bertrand, « Les Lieux de l’image », Ibid.

2. Tout est stable et immuable dans le Théâtre. L’étendue de l’espace, les proportions (le nombre sacré 7), les quantités des objets. Cela arrive car tout a une origine théocratique inaltérable.

3. A l’intérieur de la machine les rôles sont inversés : l’usager-spectateur n’est plus assis aux gradins mais à la scène du théâtre. Il ne regarde pas un spectacle, mais c’est le spectacle qui le regarde. Il est donc lui-même l’acteur qui agit dans la scène du théâtre avec les « objets-spectateurs » qui constituent l’ensemble du monde existant, qu’il est invité à mémoriser (dont il est invité de garder le souvenir).

Progressivement commence à exister un chemin qui combine la cartographie qu’utilisa Camillo dans son mécanisme qui donne une signification à la place spécifique de chaque objet avec le texte. Cette combinaison crée la logique de la généalogie de la connaissance, qui jouera par la suite un rôle important.

2.4.6.2 Des premiers mécanismes de combinaisons pour le traitement de la connaissance. Les cercles concentriques de Raymond Lulle et de Giordano Bruno

Une idée beaucoup plus avancée en ce qui concerne le mécanisme est la proposition de l’espagnol Raymond Lulle, faite bien avant le Théâtre de Camillo et peu après la proposition de Thomas d’Aquin.

Lulle inclut dans le mécanisme artificiel de mémoire deux éléments innovateurs pour le XIIIe siècle, qui jouent un rôle important aujourd’hui : la notion du mouvement et des combinaisons précaires, et le transfert des notions à travers la notation alphabétique.

Frances Yates note à ce sujet : « Lulle introduit le mouvement dans la mémoire. Les figures de son Art, sur lesquelles ses concepts sont représentés par les lettres de l’alphabet, ne sont pas statiques, elles tournent sur un axe. Une des figures est faite de cercles concentriques, sur lesquelles se trouvent les lettres renvoyant aux concepts : quand ces roues tournent, on obtient des combinaisons de concepts. Dans une autre figure rotative, des triangles inscrites dans un cercle rassemblant les concepts apparentés54 (…) La plus célèbre de toutes les figures de Lulle est sa

54 Yates, Frances Amelia, L'Art de la mémoire, Ibid, p. 191

figure combinatoire. Le cercle extérieur, sur lequel son inscrites des lettres B à K, est fixe ; à l’intérieure se déplacent des cercles qui portent la même inscription et qui lui sont concentriques. Quand les cercles se déplacent, on peut lire différentes combinaisons des lettres B à K. C’est la fameux Ars combinatoria sous la forme la plus simple55 » Mais en ce temps là il n’existait pas la technologie appropriée pour soutenir son idée.

Le système de Lulle sera évolué pendant la Renaissance par Giordano Bruno (1548-1600 ). Giordano Bruno utilise, lui aussi, les cercles homocentriques, avec 30 lettres et autres symboles (un nombre que Giordano Bruno, comme note Frances Yates, considère comme symbolique), afin de construire son propre système mécanique de mémoire artificielle, un système qui combine des éléments religieux avec l’astrologie et la magie, une sorte de « magico-mécaniques », selon Yates ; or le transfert de cette conception magique en termes mathématiques n’a été réalisé qu’a notre époque56, puisque ce n’est qu’aujourd’hui seulement que nous pouvons l’examiner via un processus mathématique.

Outline

Documents relatifs