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Des usages pour soulager le corps et le mental : l’hybridité des pratiques

PARTIE II : Le cancer et les MAC, l’entrée dans d’autres mondes

CHAPITRE 5 : A QUELS BESOINS RÉPONDENT LES MAC ?

5.3 Des usages pour soulager le corps et le mental : l’hybridité des pratiques

les douleurs physiques ont pu diminuer grâce au recours au Mezierisme. Souffrant d’effets secondaires importants, Marie a ainsi décidé de cesser la prise de médicaments et de suppléments vitaminiques tout en changeant progressivement son alimentation : « En chimio, tu es loin d'être rationnelle quand t'as ça dans le corps. T‟es loin, au point

de pas te dire "hey, si je faisais une petite méditation! ". C'est à partir des moments où je voulais mourir, où j'hyper-ventilais, où j'appelais l'hôpital et que je leur disais que je voulais qu'ils m'enlèvent le poison, que j'ai commencé à faire des trucs de relaxation et tout... Puis, tu essaies de te détendre et tu te mets à vomir... Il faut que tu te rendes à quatre pattes à la toilette... Tu ne peux pas te détendre... Quand j'avais les pilules pour arrêter de vomir que je vomissais de suite, c'est là que je me suis souvenue que quand j'étais enceinte je prenais du céleri pour ne pas vomir... Du coup, je m'y suis remise. Je ne sais pas si c'est psychologique mais, en tout cas, ça m'a fait du bien... C‟est là que j'ai arrêté de prendre toutes ces pilules contre les douleurs et contre les effets secondaires... C'est là que j'ai commencé à remanger des fruits pour avoir les vitamines dont j'avais besoin au lieu de les prendre en pilule. Puis, je travaillais à relaxer mon corps, à essayer de détendre les muscles, les articulations. Je fais beaucoup de relaxation. J'essaie de me faire faire des massages au niveau des pieds et des points de réflexologie. Tu sais, à un moment donné, quand tu prends de la morphine, bien ok... Et bien, au lieu de prendre des pilules anti-constipantes, je me massais les pieds au niveau des intestins. Bon, si je

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bloque à un moment donné, je prendrais les pilules ou de la gélatine pour mieux éliminer. » (Marie).

Les techniques que Marie utilisait lors de sa carrière de danseuse, puis lors de sa grossesse, ont alors refait surface lorsqu’elle s’est retrouvée confrontée à une souffrance physique ayant un impact sur sa vie familiale et sociale. Comme les soignés, ancrés dans un niveau d’adhésion et d’usage de MAC relativement fort avant le cancer, son habitus clinique lui a permis de se réapproprier des techniques de soulagement apprises dans le passé. Mais c’est également comme moyen de substitution à certains médicaments qu’elle pratiquait certaines techniques de relaxation pour tenter de diminuer certains effets secondaires des traitements.

Pour Mireille, le recours à l’homéopathie, au yoga, à l’ostéopathie et parfois à la naturopathie (suppléments alimentaires), a eu pour fonction de contrer les effets secondaires de la chimiothérapie. Ces usages lui ont ainsi permis d’éviter de prendre les médicaments recommandés par son oncologue et destinés à limiter les effets secondaires. Par ce choix idéologique, voire militant, Mireille nous a expliqué que dans sa conception des soins, les traitements relatifs à l’oncologie (chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie) étaient utiles pour « lutter contre le cancer ». Les MAC, quant à elles, lui permettaient, au contraire de « lutter pour sa santé ». De ce fait, la gestion de sa santé et de son cancer étaient conçues selon une lecture dichotomique. Les actions produites par ces deux formes d’interventions, allopathique et holistique, s’inscrivaient dans une logique de sens que Mireille développait à travers une complémentarité de soins : traitement allopathique du cancer, traitement holistique des effets secondaires.

Pour sa part, Carole rencontrait toujours sa magnétiseuse avant chaque séance de chimiothérapie. Cette dernière lui faisait une séance de protection énergétique censée être effective pendant un mois. La deuxième semaine suivant chaque séance de chimiothérapie, Carole retournait consulter cette thérapeute afin qu’elle lui « enlève le

feu de la chimiothérapie ». Parallèlement, et de manière préventive, Carole suivait les

recommandations de son homéopathe qui tâchait également de la voir la veille ou l’avant- veille de chaque séance de chimiothérapie. D’après Carole, ces applications énergétiques avaient des effets positifs sur son corps puisqu’elle n’a eu que très peu d’effets

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secondaires liés aux séances de chimiothérapie. Pragmatique voire sarcastique face à ces pratiques, elle nous a confié à plusieurs reprises ne pas trop comprendre ce qu’il se passait dans son corps pendant ces séances, supposant même que c’était peut-être juste l’effet placebo qui agissait.

Ce discours, teinté d’une logique rationaliste, a été partagé par plusieurs soignées dont Catherine. En effet, elle se rendait chez un acupuncteur avant chaque séance de chimiothérapie mais elle précisait qu’elle ne savait pas si la diminution des effets secondaires liés à la chimiothérapie était réellement due à l’unique impact de l’acupuncture sur son corps. Mais de toute évidence, cette recherche de causalité lui importait peu, pourvu qu’elle éprouve une diminution de sa fatigue et de ses nausées. Dans le cas de Dorothée, le recours à la kinésiologie, offerte dans la fondation A, l’aidait à mieux supporter physiquement les traitements prévus par l’oncologue :

« Je lui suis très redevable (au kinésiologue). Quand je viens ici, je lui explique mon

cheminement, il me demande quand est-ce que je vais être opérée et il me dit que je peux faire des exercices pour préparer la zone [d’opération]. Il m'en a prescrit, imprimé et on en a fait en bas dans sa salle. Finalement, avant l'opération j'étais déjà dans le processus de reconditionnement et ça m'a beaucoup aidée. Je suis revenue un mois après l'opération comme il me l'avait dit. Et, comme il me l'avait dit, je suis allée demander à l'oncologue si je pouvais reprendre mes activités de conditionnement. Il a dit que c‟était bon. » (Dorothée).

Pour Catherine, Marie-Ève, Valérie et Gaëtane, la massothérapie a aussi contribué à détendre leur corps. Lorsqu’elles se faisaient masser, le soulagement physique entraînait un soulagement émotionnel. Marie-Ève, une soignée pourtant peu encline aux MAC, a reconnu que les séances de massothérapie l’avaient beaucoup aidée en termes de soulagement psychoaffectif :

« J'ai un peu mal à la tête... mais (…) j'ai tellement eu mal dans le dos que j'ai besoin

d'avoir vraiment mal pour dire que j'ai mal. J'aime ça la massothérapie parce qu'avec ma prothèse discale je suis restée avec des problèmes. Ça m'aide vraiment à décrocher... La masso, tu vois, je lâche, et à un moment donné ça coule... Je suis partie, j'ai pleuré.

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C'était génial… Je crois que c'est la première fois de ma vie que j'ai décroché. » (Marie-

Ève).

Comme la plupart des ouvrages spécialisés sur les MAC dans le cancer l’indiquent, les approches corps-esprit, telles que la massothérapie lorsqu’elle est pratiquée dans un contexte favorable au relâchement et même à la confidence, constituent un moyen de détente efficient pour ceux qui en font l’expérience. La permission de se laisser manipuler par une thérapeute de confiance dans un environnement affectivement sécurisant permettait la création d’un espace de dialogue privé, intime. Les soignés et Dany, la massothérapeute, pouvaient échanger sur toutes formes d’inquiétude sans que personne d’autre ne le sache. Les impacts indirects de certaines MAC et la proximité des échanges avec certains thérapeutes nous rappellent, qu’au-delà des simples aspects techniques, ce sont les qualités relationnelles des thérapeutes MAC qui constituent des sources de soulagement. Ces caractéristiques récemment analysées par Rossi (2011) confirment l’idée que les MAC agissent aussi à travers une parole performative. Ainsi, les soignés qui usaient de la massothérapie le faisaient d’abord dans une démarche de soulagement de la douleur physique mais un soulagement psychologique en émergeait dans un second temps. Finalement, si plusieurs soignés cherchaient des façons de calmer les effets délétères de la chimiothérapie à travers différentes techniques de soins, les MAC pouvaient aussi agir sur des dimensions d’ordre psychoaffectif. En effet, plusieurs soignés ont constaté qu’en usant de ces multiples formes de soutien, les MAC avaient également un effet sur leur état psychologique, indépendamment d’une adhésion quelconque à un système de sens relatif à une approche. Bien que leurs effets soient difficilement mesurables, parce que dépendants d’une interprétation subjective de l’expérience corporelle, ces quelques exemples renforcent l’idée que les MAC ne peuvent pas être appréhendées comme l’on étudierait les effets d’une molécule pharmacologique sur un symptôme (Barry, 2005). L’environnement dans lequel s’expriment ces approches et l’individualité des techniques employées n’en sont que plus importantes (Rossi, 2011; Benoist, 1996; Brodwin, 1996).

De plus, les conséquences des traitements sur leur corps et sur leur équilibre psychologique n’ont pas amené les soignés de cette étude à recourir à des approches

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offertes dans les services hospitaliers, comme la psycho-oncologie23. Parce que ces

consultations s’offraient dans les lieux où les traitements étaient reçus et que de fortes représentations négatives circulaient à l’égard du terme « psy », l’idée d’être stigmatisé comme quelqu’un ayant un problème de santé mentale venait alourdir une identité déjà fracturée par la maladie. Précisons d’ailleurs que sur les vingt soignés de notre échantillon, seulement une soignée (Lili) a eu recours à un service de psycho-oncologie. Pour prévenir ou limiter les effets iatrogènes des traitements, se prémunir de toute souffrance ou pour participer à une optimisation des traitements allopathiques, chacun développe ses propres stratégies de soulagement. En rattachant le travail de Giddens (1991) et de Peretti-Watel (2003) à notre terrain, nous voyons la fabrication d’une tentative de diminution du risque. Les soignés cherchaient ainsi à déployer d’autres formes de gestion de l’incertitude et de la peur, générées à la fois par la maladie et les traitements (Broom et Tovey, 2008; Balneaves, Weeks et Seely, 2007).

Dans le cas de Mireille, l’attente des résultats de sa biopsie a été très anxiogène. Pendant ces trois mois d’attente, elle a donc utilisé l’acupuncture, à moindre coût, en réactivant un un système référentiel qui lui a permis de solliciter une amie acupunctrice pour plusieurs séances. Catherine, Lili et Paul ont également usé de l’acupuncture entre chaque séance de chimiothérapie :

« Tu sais, nous autres on va en acupuncture. J'adore. Avant [les traitements], j'en ai fait

et après. Là je n‟y vais pas, mais après les traitements oui. J'y suis allé avant mon opération pour me remonter. Il me mettait toutes sortes d'affaires et de l'électricité. »

(Paul).

Plusieurs soignés ont également usé de techniques de relaxation (via la visualisation ou la méditation) pendant leurs séances de chimiothérapie et de radiothérapie :

« Tu es dans une espèce de machine et tu ne peux pas bouger pendant un certain temps.

C'est un peu stressant. Donc, ça [la visualisation] m'a vraiment aidée à me calmer. Puis

23 Selon le CHU de Québec, l’oncologie psychosociale (ou psycho-oncologie) est une spécialité qui

s’intéresse à la compréhension et au traitement des aspects sociaux, psychologiques, émotionnels et spirituels associés au cancer. Elle fait partie intégrante des services médicaux auxquels ont droit les personnes atteintes et leurs proches.

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ils te passent des radios à l'intérieur du vagin et il ne faut vraiment pas bouger parce que sinon le rayon il peut vraiment te... Alors là, le fait de respirer comme ça m'a permis d'être très calme et de ne pas bouger... Donc, on peut dire que ça aide aussi à notre guérison parce que si j'avais été plus nerveuse j'aurais pu bouger. » (Catherine).

« Pendant la chimio, je visualisais un peu, mais j'étais quand même accompagnée. Par

contre, pendant la radio oui ! Ça dure 3 minutes mais avec la préparation c'est 20 minutes. Comme ils mettaient la radio, je leur demandais d'éteindre pour faire de la visualisation... Donc j'en faisais à chaque fois... Je visualisais qu'il y avait de bons rayons qui agissaient. » (Mireille).

De leur côté, Marcel et Gilles ont aussi eu recours à des techniques de visualisation afin d’optimiser l’effet des traitements.

« Même pendant ma chimio, mon amie m'avait fait une petite cassette pour orienter la

chimio, pour qu'elle s'attaque aux cellules cancéreuses, qu‟elle ne touche pas trop les cellules saines… Parce que c'est dévastateur la chimio. » (Gilles).

« Actuellement, j'ai un système de concentration pour activer mes cellules souches dans

le but d'éliminer ce qui ne va pas dans mon corps... puis…réparer mon dos, réparer tout ce qui marche pas... C'est ce que j'utilise actuellement...

Thomas : Tous les jours ?

Marcel : Je fais 1/4 d'heure tous les jours. Je baisse la lumière, puis je visualise mon

corps en énergie, puis…c'est ça... je parcours mon corps avec mon sang, avec la moelle de mes os. Je visualise partout parce que je sais que ce sont des cellules intelligentes : même si j'en oublie parfois, elles, elles le font... partout pareil. C'est ce que je fais actuellement en attendant de faire le jeûne…

Thomas: Est ce que tu fais ça avant d'aller en radio ?

Marcel : Je fais ça la nuit... je me réveille la nuit puis... je me mets dans un genre de

transe. (…). Je vais aller dans ce sens-là parce que ça ressemble beaucoup à ce que je vis quand je fais le jeûne en fin de compte... Je crois à ça... Je crois à ça parce que l'énergie que le corps dégage, que tu reçois, l'énergie négative, positive, tu peux en faire du positif avec des cellules souches, tu peux reconstruire tes cellules...Dans mon image à

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moi, un cancer c'est des cellules mortes ou en voie de disparition qui ont eu un impact sur le corps. Fait que, par la concentration, j'ordonne à ces cellules-là de disparaître et j'ordonne aux cellules souches de régénérer les parties du corps qui sont défaillantes. Ça j'y crois... » (Marcel).

Le cancer, représenté comme un amas de cellules mortes ou comme une pollution de cellules saines, tout comme la perception négative des traitements chimiques sur le corps, permettaient à tous ces soignés de visualiser de façon performative un processus de nettoyage énergétique générant, de fait, une guérison symbolique, elle-même rattachée à un processus d’intention de soin. Ces nettoyages métaphoriques pouvaient donc être activés individuellement par le biais de la visualisation énergétique ou par des consultations chez des praticiens MAC (acupuncteur ou homéopathe énergétique). L’anticipation des traitements, en termes d’effets iatrogènes, a également été largement évoquée par d’autres soignés qui mobilisaient un ensemble de ressources adaptées à leur propre subjectivité (Adams et al., 2012; Broom et Tovey, 2008).

Par ailleurs, Hélène, comme la majorité des soignés, a précisé que c’est bien la combinaison de trois techniques qui l’a aidée à mieux vivre les effets secondaires des traitements :

« Ce sont vraiment la méthode ECHO (voir Lexique des MAC), la méditation pleine

conscience et le reiki qui m‟ont aidée à soulager les douleurs. (…) Par exemple, quand tu ne dors pas tu fais ta pleine conscience.» (Hélène).

Carolina usait d’une conduite hybride mêlant art-thérapie et méthode ECHO. Avec l’art- thérapie, elle parvenait à se représenter son système immunitaire, ce qui l’aidait à donner un sens à ce qu’elle traversait afin d’activer ce qu’elle nommait « son processus de

guérison » :

« Quand je suis toute seule j'applique l‟art-thérapie avec la méthode ECHO puis aux

cellules, je leur donne l'ordre de sortir...» (Carolina).

Cette tendance à l’hybridité permettait à plusieurs soignés de s’inscrire dans un processus de complémentarité grâce auquel ils pouvaient finalement redonner du sens à leur

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maladie, mais surtout développer une forme d’engagement dans leurs processus thérapeutiques. En agissant à plusieurs niveaux et selon des procédés pluriels, chacun pouvait combiner des techniques de soins qui répondaient à leur « maladie-socialisée ». Ces processus individualisables avaient pour effet de mieux supporter les traitements et leurs effets pluriels. Finalement, en construisant leurs propres techniques de soins tirées de MAC extrêmement variées, les soignés s’inscrivaient dans une démarche préventive en tentant de diminuer un risque supplémentaire de douleur. En anticipant ces effets, les soignés se situaient dans une démarche proactive de soins à travers des logiques pragmatiques et symboliques orientées selon leurs exigences, leurs rapports à l’incertitude et à la souffrance (Cohen, Rossi et al, 2010; Adams et al., 2012).

5.4 Des usages pour répondre à la liminalité : la création artistique comme