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Étudier le pluralisme médical à partir du cancer

PARTIE I : Contextualisation, cadre théorique et méthodologie

CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL ET MÉTHODOLOGIQUE

2.2 Étudier le pluralisme médical à partir du cancer

Dans leurs travaux respectifs, Rossi (1997) et Schmitz (2006) reconsidèrent la place des MAC dans l’environnement des individus afin de comprendre l’impact social de l’usage des MAC dans les rapports sociaux et symboliques qui préexistent entre oncologues, équipes professionnelles, familles et soignés. Schmitz (2006) nous rappelle d’ailleurs que beaucoup d’études socio-anthropologiques s’attachent à identifier, classer et expliquer les recours au pluralisme médical, dans le monde occidental, comme nous pouvons le lire dans les travaux d’Eisenberg et de Cassileth à la fin des années 1990. Cependant, à travers un florilège de travaux qui viennent répondre à une surdescription ou à une

13 Fait social total : dans son Essai sur le don (1923-1924), Marcel Mauss montra que la pratique des dons

– échanges n’était pas à saisir à travers le prisme exclusif des institutions (religieuses, économiques) mais plutôt comme un ensemble de pratiques qui englobait toutes les dimensions de la vie sociale. En

appréhendant ces échanges comme des faits sociaux totaux, Mauss montra que chaque échange était imbriqué à la fois dans les sphères juridiques, religieuses, économiques, esthétiques et morphologiques d’une société. En effet, ces prestations s’observaient à tous les niveaux (quel que soit le rôle social et symbolique des individus), mais aussi entre communautés et en leur sein. Ces pratiques témoignaient donc de la complexité des réalités sociales existante chez tout groupe humain.

C’est en s’inspirant du regard de Mauss que Leslie (1974) appréhenda le pluralisme médical non pas comme le simple résultat d’une multitude de formes de soins au sein d’un paysage thérapeutique donné mais bien comme un fait social total (Mauss, 1923-1924), puisqu’il était la preuve d’une déconstruction et d’une reconstruction du social par des individus-acteurs et que tous les systèmes médicaux intègraient des traditions et des formes de pratiques diverses dans des organisations sociales complexes. Autrement dit, le pluralisme médical s’articule à des conceptions du monde, des catégories de rationalité, des normes et des valeurs propres à chaque époque. En ce sens, le pluralisme médical ne cesse de se redéfinir au gré des changements sociaux et politiques, favorisant de nouveaux rapports entre les médecines, les soignés et l’État.

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surinterprétation de pratiques thérapeutiques, Schmitz (2006), Baer (2011) et Rossi (2011) nous invitent à nous centrer sur ce qu’induisent ces pratiques et sur ce qu’elles génèrent en termes d’apports à la fois sociaux, symboliques, réflexifs, mais également en termes de compréhension des enjeux latents ou informels qui les entourent.

Le pluralisme médical est en mouvement permanent. Il se structure souvent à partir d’un besoin de répondre à une quête de bien être ou à un besoin de soulager une souffrance chronique (Broom, 2009). La recherche sur un type de pluralisme ne serait donc plus envisageable à partir de catégories limitées mais plutôt à partir de réalités vécues par les individus. Ce phénomène social ne peut donc plus être appréhendé exclusivement par des études folkloristes ou des pratiques spécifiques, tel que nous pouvons le constater dans la plupart des travaux qui s’intéressent à une forme de thérapie, de médecine ou d’approche de soins hétérodoxes. Pourtant, il faut reconnaître que l’étude de l’homéopathie, de l’acupuncture, du chamanisme ou de la naturopathie constitue des sources de savoirs qui nous éclairent à plusieurs égards : leurs systèmes de sens, leurs formes d’application, leurs constructions sociales, culturelles et (éminemment) historiques, la façon dont elles sont appréhendées et vécues par les utilisateurs et les praticiens, les tensions politiques, épistémologiques et socioculturelles qui les traversent et leurs relations avec d’autres systèmes médicaux dans des contextes locaux distincts, sont des plus éclairants. Les angles phénoménologique, historique, politique, sociologique et anthropologique représentent ainsi autant de lunettes d’interprétation d’un phénomène social donné que de positionnements analytiques qu’il serait impensable d’ignorer.

L’enjeu de cette recherche s’inscrit ainsi dans une tentative de compréhension microsociale et macrosociale du pluralisme médical dans le cadre du cancer au Québec. C’est la raison pour laquelle nous sommes partis de l’expérience des personnes touchées par un cancer, de leur orientation vers certaines MAC plutôt que d’autres, des moyens dont ils usent, des espaces dans lesquels ces pratiques sont employées et enfin des modes d’articulations avec la biomédecine qui en découlent. Nous étudions donc le phénomène du pluralisme médical québécois non pas à partir de l’étude exclusive d’une MAC mais plutôt à partir des actions des individus qui ont recours à une pluralité d’approches

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complémentaires au sein d’espaces pluriels (cliniques de MAC, fondations ou domicile). Ce choix de travailler « à partir » des actions des soignés et des thérapeutes MAC qui les dispensent nous permet de situer les logiques sociales à l’œuvre dans les conditions de leur mise en action et leurs impacts sur les soignés. De plus, le récent travail de Jain (2013) sur l’analyse sociale et culturelle du cancer aux États-Unis met en évidence le caractère totalisant de l’entité cancer. Reprenant à son compte le travail de Mauss sur le phénomène du don/contre-don, analysé comme un fait social total, l’auteur nous amène à considérer que le cancer est, lui aussi, à situer d’un point de vue à la fois individuel et collectif. En cela, le cancer nous parle de la société dans laquelle il se déploie et constitue, avec la question du pluralisme médical, une double lunette à travers laquelle nous pouvons mieux comprendre l’imaginaire collectif et les pratiques individuelles qui entourent ces deux phénomènes.