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L’entrée dans le monde des MAC et du cancer

PARTIE I : Contextualisation, cadre théorique et méthodologie

CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL ET MÉTHODOLOGIQUE

2.5 La réalité du terrain ethnographique

2.5.1 L’entrée dans le monde des MAC et du cancer

Lorsque nous avons débuté notre collecte de données, nous étions emplis d’un certain enthousiasme à l’idée de découvrir un monde dans lequel des thérapeutes œuvrant dans le champ des MAC semblaient ouverts à l’idée de partager leur point de vue sur le cancer, sur la façon dont ils apportaient une plus-value au quotidien des soignés qu’ils côtoyaient et sur les enjeux de leur reconnaissance par le système de santé québécois. Comme nous habitions dans un quartier de Montréal bien connu pour sa diversité de cliniques MAC, souvent affichées comme des cliniques de médecines « naturelles » et « globales », nos présupposés étaient d’autant plus alimentés par l’idée que, par leur visibilité, ces cliniques allaient montrer un intérêt à notre étude.

2.5.1.1 Premières difficultés ethnographiques

Le premier enjeu de notre terrain ethnographique reposait sur l’importance de rencontrer des thérapeutes MAC. Après plus d’un mois passé à tenter d’entrer en contact avec une dizaine de cliniques MAC tant de manière directe (visites et affichage d’appel à participation) qu’indirecte (messages téléphoniques et électroniques), notre enthousiasme a progressivement décliné. Malgré nos relances, peu de réponses favorables nous ont été accordées. En effet, après d’un mois de démarchage, un seule clinique d’acupuncture et une clinique de santé intégrative, située elle à l’extérieur de Montréal, ont accepté de nous recevoir. Les autres ne nous ont pas donné pas de réponses ou n’ont pas souhaité nous ouvrir leur porte.

Le désintérêt manifeste des thérapeutes MAC du privé par rapport à notre recherche a suscité des questionnements qu’il nous semble primordial de clarifier. C’est grâce à plusieurs échanges informels avec des professionnels de recherche et des médecins de notre propre réseau de connaissances que nous avons pu interroger les raisons de cette accessibilité limitée. Nos interlocuteurs nous ont ainsi expliqué que la réticence des thérapeutes MAC à participer à une recherche dans un domaine flou pour tout profane, soit l’anthropologie médicale, était liée à la crainte d’être instrumentalisé et dénoncé au Collège des médecins. Une peur qui, selon eux, était majorée par la thématique sensible

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du cancer et entretenue par la partialité des rares articles de presse traitant de la question des MAC au Québec dans un registre sémantique proche de la « chasse aux sorcières ». Ce que nous avions lu à ce sujet corroborait cette idée : pour les médias populaires (Journal de Montréal, La Presse), les MAC semblaient perçues comme des formes de soins dangereuses16. Pour nos interlocuteurs, ces différents facteurs étaient susceptibles

d’expliquer la réticence des thérapeutes MAC à parler de leur pratique, (surtout dans le cadre du cancer) à un inconnu, qui plus est non praticien et non atteint d’une maladie particulière. De plus, et contrairement à notre présupposé de départ, si la visibilité des cliniques de « médecines naturelles » dans l’espace public semblait traduire une volonté d’élargir l’offre de soins disponible, ces dernières semblaient aussi se définir comme des espaces commerciaux. Leur légitimité semblait toujours compromise par le monde médiatique et, de surcroît, par le Collège des Médecins du Québec qui refuseraient toujours de considérer ces cliniques MAC comme des lieux de soins. En parallèle de notre découverte du monde des MAC, nous avons pénétré celui du cancer, vaste champ du monde médical, non exempt de tensions. Le second enjeu de notre terrain ethnographique consistait donc à rencontrer des personnes atteintes d’un cancer et ayant recours à des MAC. Pour cela, nous avons identifié deux cadres propices à ces rencontres : les départements d’oncologie et les cliniques de MAC. S’est alors posée la question du « comment ? ».

Au cours de nos recherches, nous avons d’abord appris qu’au sein des départements d’oncologie, les rencontres dans le cadre d’une recherche ethnographique avec les soignés étaient soumises à l’approbation, préalable et incontournable, des comités d’éthique des hôpitaux. Nous nous sommes donc procuré les formulaires requis et avons découvert que les délais d’étude et d’acceptation des comités internes risquaient de retarder notre collecte de données de plusieurs mois. En outre, nous n’avions aucune garantie de réaliser des entrevues avec la population ciblée. Après quelques semaines de réflexions, d’hésitations, de discussions et de lectures, nous avons décidé d’abandonner les processus de négociation avec les comités d’éthique hospitaliers. En effet, notre objectif n’était pas de mener une ethnographie clinique mais de rendre compte des usages

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profanes des MAC et de leur existence au sein d’espaces pluriels. C’est dans ce contexte que le biais le plus prégnant de cette recherche s’est imposé : nous n’avons pu rencontrer qu’un seul oncologue, lequel était déjà convaincu par l’intérêt de certaines MAC en complément de l’oncologie. Ce professionnel était d’ailleurs réputé pour avoir mis en place une fondation offrant des services complémentaires pour les personnes touchées par le cancer au sein d’un département de radio-oncologie. Cette rencontre a néanmoins été déterminante dans la façon dont nous avons ensuite ajusté notre terrain ethnographique.

2.5.1.2 Une rencontre décisive

Rencontrer ce spécialiste a marqué un tournant dans notre recherche et a eu un impact sur notre terrain ethnographique. Après un échange par courriel, cet oncologue nous a reçu dans son bureau situé au sein du département de radio-oncologie du plus ancien hôpital de Montréal. Il nous a expliqué que les MAC étaient encore très mal perçues par le monde de l’oncologie. Lui-même a été accusé de complaisance avec « des médecines sans preuves » à la suite de la publication d’un ouvrage dans lequel il proposait d’introduire différentes formes de soins non offerts par l’hôpital, en complément des traitements radio-oncologiques, parmi lesquels la méditation, le chant, le yoga ou l’hypnose. Malgré tout, il a décidé de déployer ces offres de soins au sein de son département de radio-oncologie en créant une fondation. Celle-ci lui permettant, toujours à l’heure actuelle, de faire appel à des thérapeutes MAC venant animer des ateliers hebdomadaires destinés aux soignés au sein du département de radio-oncologie dans lequel il exerçait. La découverte des fondations dans le champ du cancer nous a alors conduit à élargir notre perspective de recrutement et notre problématique de recherche. Le nouvel enjeu de notre terrain ethnographique consistait désormais à entrer en contact avec ce type de structures afin de rencontrer à la fois des soignés touchés par un cancer et utilisateurs de MAC et, des praticiens MAC. Toutefois, l’idée de travailler sur la fondation créée par ce professionnel a été abandonnée en raison du risque d’instrumentaliser les soignés suivis par ce même radio-oncologue. Nous nous sommes donc tournés vers d’autres structures.

Après ce premier mois de tâtonnements, nous avons donc réorienté en partie notre enquête sur les fondations œuvrant auprès des personnes touchées par un cancer et

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proposant des services de soutien comme l’art-thérapie, la kinésiologie, la massothérapie, la relaxation et le yoga. Nous avons alors lancé un appel à participation aux quatre plus grandes fondations du Québec situées à Montréal. L’accueil de notre demande s’est avéré très positif, certainement parce qu’aucune recherche qualitative sur les services qu’ils proposaient n’avait été menée. Un mois après nos vaines investigations auprès des cliniques MAC, nous avons finalement démarré notre enquête au sein de ces espaces thérapeutiques, si peu évoqués dans les travaux que nous avions lus jusqu’alors sur le pluralisme médical.

2.5.1.3 L’effet boule de neige

Le canal des fondations offrant des services de soutien aux personnes touchées par un cancer nous a permis de rencontrer la moitié des soignés présents dans notre étude. Les autres personnes ont été majoritairement abordées grâce à l’effet boule de neige, soit du bouche-à-oreille et par le biais des annonces que nous avions affichées dans différentes cliniques MAC. Le rapport de confiance instauré au sein de ces fondations nous ont enfin offert l’opportunité de nous entretenir avec les directions de trois d’entre elles. Suite à ces rencontres, nos interlocuteurs nous ont mis en contact avec deux acteurs-clé du débat relatif aux enjeux de la cohabitation des MAC au sein du milieu hospitalier, soit le directeur scientifique d’un département d’oncologie pulmonaire et la directrice scientifique d’un service axé sur le traitement des cancers du sein. Notre intérêt pour l’étude des cliniques, où une multitude de praticiens MAC proposent des soins pour les personnes touchées par un cancer, est toutefois resté présent. Après quelques relances, nous avons finalement réussi à nous entretenir avec une dizaine d’entre eux. Finalement, cette recherche est riche de trente-huit entrevues réalisées auprès des divers acteurs gravitant autour de la nébuleuse des MAC et du monde du cancer. Notre population à l’étude est ainsi constituée de :

1) vingt personnes atteintes de différents types de cancer et usant de multiples MAC; 2) onze praticiens MAC (offrant des MAC à tout type de public dont des personnes atteintes de toutes formes de cancer) travaillant au sein de différents milieux (cliniques et fondations);

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3) deux professionnels de la santé ayant travaillé ou travaillant encore dans le milieu biomédical et pratiquant une MAC;

4) un cadre de direction pour chacune des trois fondations (soit trois cadres) et deux directeurs scientifiques responsables de la recherche sur les MAC dans le cadre de l’oncologie.

Nous avons également eu l’opportunité de participer à des congrès sur le cancer. Ces évènements ont été l’occasion d’élargir le cadre de notre terrain ethnographique en allant à la rencontre d’acteurs moins directement reliés à notre problématique. Dans ce cadre, nous avons pu nous entretenir entre autres, avec des bénévoles et des journalistes. Tous ces échanges, le plus souvent informels, ont nourri notre réflexion sur les enjeux entourant la relation entre cancer et MAC au Québec.

En définitive, notre terrain ethnographique a duré quatorze mois au cours desquels nous avons pu mesurer la diversité des espaces étudiés (trois fondations, plusieurs cabinets de thérapeutes MAC, une clinique de santé intégrative, deux hôpitaux). Cette période a également été nourrie de dizaines d’heures de participation à des ateliers d’art-thérapie, de nombreuses discussions informelles avec des praticiens MAC et de quelques observations dans les couloirs des départements d’oncologie de deux centres hospitaliers. Notre collecte de données s’est achevée au début de l’hiver 2016.