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L’accès aux MAC par Internet

PARTIE II : Le cancer et les MAC, l’entrée dans d’autres mondes

CHAPITRE 4 : LE MONDE DES MAC : DES NIVEAUX D’ADHÉSION ET DES

4.4 Adhésions partielles aux MAC, une question d’accès

4.4.3 L’accès aux MAC par Internet

De prime abord, on pourrait penser qu’Internet constitue une importante source d’information qui participe à initier l’élan de certains soignés vers la pratique de MAC. Les travaux sur son impact dans les usages sociaux propres aux MAC relativisent pourtant son influence chez une majorité de personnes « non initiées » ou n’étant pas dans une forte adhésion aux MAC (Tazi et al., 2013; Broom et Tovey, 2008). Pourtant, lors de notre terrain ethnographique, Internet a été plusieurs fois mentionné.

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Plusieurs soignées l’ont utilisé en début de thérapie pour trouver des informations sur l’impact des traitements et surtout sur le taux de survie. Parmi elles, quelques-unes ont noté que ces recherches sur la toile n’avaient pas ravivé l’espoir, déjà mis à mal par une interprétation de la maladie fortement imprégnée de peur et d’anxiété, mais qu’elles avaient plutôt renforcé leurs angoisses. En effet, seulement quelques soignées ont significativement utilisé Internet pour chercher de l’information (Josée et Mireille) ou pour développer un réseau social (Lili). Pour Lili et Mireille, familiarisées avec un vaste champ de pratiques complémentaires, Internet n’a fait que valider leurs convictions sur l’idée que l’usage de MAC venait compléter leurs traitements. En revanche, pour Josée, néophyte face aux MAC, Internet a pu constituer une source d’informations l’ayant amenée à chercher des formes de soutiens offertes dans des structures « de confiance », comme les fondations ou les organismes communautaires. Déçue par la séance d’information offerte par le service d’oncologie dans lequel elle allait débuter ses traitements, Josée a décidé d’aller chercher sur Internet de plus amples renseignements sur les services de soutien existants, sans tenir compte de la documentation remise lors de cette séance :

« La seule réunion que j'ai eue c'est la réunion préopératoire. Là, ils nous donnent un

paquet de feuilles à lire. Mais moi, j'ai connu la fondation par Internet. Quand j'ai su que j‟avais un cancer, les deux premières semaines je pleurais le matin et le soir. Quand on ne sait pas ce qui va arriver, on se demande : est-ce que je vais mourir ? Du coup, je me suis dit que je ne pouvais pas rester chez nous à capoter de même. J‟allais virer folle. Du coup, j'ai recherché un organisme communautaire puis j‟ai vu la fondation et j'ai appelé. Je suis allée les voir. Puis là ils faisaient du yoga. Ils ont pris mon nom et j'y suis allée... J'ai commencé à faire des cours-là. » (Josée).

Contrairement à Josée, Mireille avait un degré d’adhésion fort aux MAC avant son cancer du sein et possédait des connaissances sur les MAC en raison de son activité d’acupunctrice. Pourtant, comme Josée, son usage d’Internet visait non pas la recherche de cliniques alternatives mais l’exploration de l’éventail de services de soutien disponibles (ateliers, fondations ou organismes communautaires) : « J'ai utilisé Internet

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Comme Broom et Tovey (2008) l’ont souligné, pour la majorité de nos participants, Internet n’a pas été un outil les incitant à utiliser des MAC. Les cas évoqués nous permettent effectivement de constater que, malgré deux adhésions pratiquement opposées aux MAC, Internet n’a pas été utilisé pour renforcer un système référentiel lié aux MAC (Mireille) ni pour en développer un (Josée). Son utilisation a plutôt servi à compléter les informations jugées insuffisantes concernant les lieux offrant des services de soutien aux personnes en prise avec un cancer. Le système référentiel préexistant chez Mireille ne l’a pas amenée à chercher spécifiquement des thérapeutes MAC mais des ressources. Pour Josée, son système référentiel et l’opinion négative des MAC l’ont plutôt incitée à chercher des formes de soutien psycho-socio-affectif au sein de fondations. Rappelons que c’est surtout la rencontre avec Catherine, à l’hôpital, qui l’a amenée à essayer l’art- thérapie en plus du yoga, pratique avec laquelle elle était déjà familière.

Dans le cas de Lili, au contraire, l’usage d’Internet comme outil de recherche de thérapeutes complémentaires a été essentiel :

« Le prof d‟âyurveda, je l'ai trouvé sur Internet. C'est une sorte de regroupement de

professionnels mais tout autour de l'âyurveda : massages, yogas, naturopathie, avec des tampons qui sont imbibés d'huile… C'est vraiment cool. L'acupuncture, je l'ai trouvée sur Internet. J'ai tapé « acupuncture Montréal chimio » et je suis tombée sur lui. J'ai trouvé le logo beau ! Je l'ai rencontré. Il était sympa alors je suis restée. » (Lili).

Lili est la seule soignée à avoir rencontré des praticiens de MAC dans des cliniques par le biais d’Internet. C’est également la seule à avoir cherché des informations sur les traitements administrés pendant sa thérapie (chimiothérapie, hormonothérapie). Il faut préciser qu’avant son cancer, Lili utilisait des MAC pour résoudre des maux mineurs (mal de dos, etc.) et qu’elle a été soignée par l’homéopathie et la naturopathie pendant toute son enfance, pratiques qu’elle s’est appropriée en grandissant. Rappelons aussi que l’usage d’Internet par Lili était surtout destiné à l’écriture quasi-quotidienne d’un blog dans lequel elle partageait, avec humour, son expérience du cancer avec des milliers de personnes, proches-aidants ou malades.

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Par ailleurs, pour les treize autres soignés ayant une faible adhésion aux MAC, Internet ne les a pas incités à essayer des MAC non-domestiquées. Leur opinion sur les MAC, généralement perçues comme « des trucs bizarres », était largement entretenue par un discours médiatique véhiculant des histoires de charlatanisme et d’arnaques autour des prescripteurs de MAC. L'un des derniers articles de presse traitant des MAC au Québec s’inscrit d’ailleurs dans cette lecture : en évoquant la mort d'une femme ayant participé à un week-end de purification énergétique en tente de sudation, l'auteure de l'article dénonce le scandale des médecines douces au Québec en s'insurgeant contre le manque de contrôle des pratiques. Elle rappelle cyniquement le fait que les vétérinaires sont plus contrôlés que les praticiens en médecines douces, un scandale pour l'auteure (Ravary, 2016). Certainement influencés par de telles représentations, la quasi-totalité de ces soignés considèrent qu’Internet les a plutôt réfrénés à s’essayer à une MAC. À ce sujet, Goldstein (2003) indiquait que les navigations virtuelles n’incitent pas vraiment les soignés à expérimenter une MAC. Au contraire, les usagers auraient même plus tendance à s’en remettre aux points de vue de leurs oncologues quant à la pertinence de telles approches plutôt qu’à des forums prônant le recours à des thérapies miracles ou naturelles, et attaquant radicalement la biomédecine (Goldstein, 2003).