• Aucun résultat trouvé

PARTIE II : Le cancer et les MAC, l’entrée dans d’autres mondes

CHAPITRE 5 : A QUELS BESOINS RÉPONDENT LES MAC ?

5.5 Des usages réactivant un processus de réflexivité : la pluralité des ressources

5.5.3 Le support psychologique

Pour finir, Hélène, Gaëtane et Gilles trouvaient, dans la psychanalyse ou la « psychothérapie non conventionnelle » (biologie totale et EMDR), des réponses sur l’origine de leur cancer. Chercher dans son passé l’étiologie de la maladie nous renvoie à une lecture endogène du cancer évoquée par plusieurs soignés (voir chapitre 3). Ces derniers ont tous entrepris des consultations chez des professionnels usant de techniques distinctes. Le besoin de comprendre l’apparition du cancer motivait leurs démarches communes de s’inscrire dans une analyse cartésienne de la maladie. Ces trois soignés ont ainsi pu trouver des moyens d’entreprendre une réflexivité adaptée à leur niveau de compréhension du cancer, et relative à leur propre système d’interprétation causale.

156

Pour ces dix soignés ayant eu recours à ces outils en complément des MAC employées, un processus d’individualisation, c’est-à-dire un agencement d’adhésion à leur système de sens, s’est matérialisé dans des pratiques hétéroclites adaptées à la nature de leur pathologie. Le lien entre l’usage de MAC et ces pratiques hétéroclites s’est manifesté selon deux conditions, sans pour autant être obligatoires et homogènes. Premièrement, une condition qui est déterminée par le registre d’adhésion à une lecture endogène de la maladie ainsi qu’à un habitus actif en une lecture énergétique, psychothérapeutique, religieuse ou ésotérique de la vie bien avant l’apparition du cancer. Deuxièmement, une condition déterminée par l’importance accordée à la question du salut, où la part d’intériorité, d’incorporation de la maladie et de quête de sens vient agir comme un fil conducteur dans une quotidienneté éprouvée et éprouvante. La pratique de la prière ou de la visualisation était intégrée dans un mode de vie et pouvait être associée à d’autres MAC comme lorsque Carolina évoquait son « Frère Simon » dans ces visualisations. De plus, le recours à la biologie totale, à l’EMDR ou à la psychanalyse, uniquement administrées lors de visites chez des professionnels, étaient toutes complétées par des MAC, art-thérapie notamment, qui matérialisaient un processus de réflexivité dû à ces consultations chez des psychothérapeutes.

Finalement, c’est la conception même de la maladie et du corps qui est ramenée à une symbolique faisant ressurgir la place du spirituel (Begot, 2010; Salamonsen, Kruse et Ericksen, 2012). La foi et la déconstruction de son propre passé, via le langage psychanalytique, viendraient combler une quête de compréhension par le jeu du symbole afin d’apporter des réponses à une souffrance identitaire (Rossi, 2011). Là encore, pour beaucoup de soignés, ce sont les effets collatéraux tant des MAC que des traitements oncologiques qui laissent entrevoir des résonnances socialisatrices (fréquentation de l’église, de psychothérapeutes, de thérapeutes MAC), que Giddens (1991) avait théorisé comme une réflexivité sociale en constante révision. En ayant recours à des textes sacrés ou à des doctrines spirituelles, en rentrant en contact avec des entités de l’au-delà ou en ayant une connexion avec une ou des puissance(s) supérieure(s), les soignés rétablissaient aussi un lien entre le naturel et l’humain (Cohen, Rossi et al., 2010).

157

De tels recours permettent de redonner un sens spécifique à la souffrance. En les combinant avec des MAC choisies pour leurs fonctions pragmatiques, les soignés s’inscrivent en quelque sorte dans une forme d’exorcisme de leurs propres peurs, de leurs propres limites et de leur propre mort. Kirmayer (1993) a montré que les symboles ne soignaient pas nécessairement puisque c’est d’abord le contexte social de la croyance, associé aux symboles, qui vient s’incorporer à travers une attente de guérison. Suite à notre expérience dans l’atelier d’art-thérapie et grâce aux multiples témoignages recueillis, nous partageons cette perspective. En effet, comprendre les symboles, en tant que système de sens, associés à la pratique de telle ou telle MAC, semblerait moins important que de saisir les possibilités de soins imaginées par les individus à partir de ces mêmes symboles. En observant les pratiques répertoriées ici, il devient de plus en plus évident que c’est avant tout la façon dont les soignés réinterprètent les symboles qui vient agir sur leurs corps telle une « carte de sens » (Kirmayer, 1993). Siahpush (1999) estime que l’une des raisons pour lesquelles des individus se tournent vers des MAC résulte d’un désir d’autonomisation vis-à-vis du monde médical. Toutefois, nous pensons que, selon l’état pathologique des individus, des types de maladies et des trajectoires de vie des soignés, ce constat doit être précisé puisque nous voyons dans ces pratiques un besoin de compléter, parfois de contrôler et surtout de donner du sens aux trajectoires thérapeutiques, tout aussi particulières que les profils rencontrés.

5.6 Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons tenté de comprendre à quoi répondaient les usages de MAC. En tentant d’affronter des problématiques individuelles, souvent de l’ordre de l’intime, il apparait que les soignés comparent, confrontent et essaient des MAC selon leur propre système de référence, leur vulnérabilité, mais aussi selon leur rapport à la technologie médicale. Le recours au concept de liminalité nous aide alors à mieux situer l’expérience subjective d’un individu, notamment à partir de trois phases, décrites par Little et al. (1998), vécues par les soignés de notre étude. Selon ces auteurs, la première phase,

cancer patientness (Little et al., 1998), renvoie à l’étape du diagnostic de cancer dans

laquelle le doute, l’incertitude et la peur contaminent le sujet qui est pris dans un tourbillon de pensées. La seconde phase, communicate alienation (Little et al., 1998),

158

concerne l’état variable d’aliénation du cercle social, notamment familial. À ce sujet, plusieurs soignés ont confié qu’ils préféraient préserver leur entourage et/ou qu’ils avaient choisi de développer des stratégies de communication pour mieux les atteindre. D’autres, au contraire, nous ont fait part de la difficulté à rompre le silence, le tabou ou l’excès d’optimisme dont faisaient preuve certains proches. Enfin, la troisième phase,

boundedness (Little et al., 1998), peut se caractériser par une période d’entre-deux où les

souffrances sociales, psychiques et physiques, conditionnent une période de perte de sens voire d’identité. La peur de la récidive ou des résultats, tels qu’évoqués par l’ensemble des soignés rencontrés, constitue, selon nous, un sentiment orientant des conduites sociales et symboliques vers des MAC agissant comme des soutiens individualisables. L’ensemble des façons de recourir, d’accéder et d’adapter ces pratiques nous amène à réfléchir à ce qu’induisent les conduites observées. Dans notre analyse, il apparait que le vécu et l’interprétation symbolique de la maladie, du corps et des traitements s’expriment aussi à partir du rapport à la douleur, et produisent inévitablement une souffrance sociale qui n’est pas directement liée à l’adhésion à un système de sens tiré d’une pratique complémentaire. Atténuer les effets secondaires, renforcer l’efficacité des traitements ou agir sur l’étiologie du cancer viennent répondre à des besoins spécifiques, qui se traduisent parfois en quête de sens, parfois en quête de soins. Par l’usage de MAC, domestiquées ou non, ces recours aident à structurer des parcours thérapeutiques. Enfin, c’est le réseau de relations humaines qui permet aussi de pallier une expérience de détresse. Pour une partie des soignés de cette étude, l’apparition, pendant ou après la maladie, d’une quête existentielle et spirituelle, également considérée comme une forme d’émergence du sujet, s’est largement déployée pendant la maladie. Pour plusieurs, ce n’est donc pas le recours aux MAC en fonction de cette émergence de l’être ontologique qui a déterminé de tels usages, mais l’inverse. En effet, c’est la pratique de certaines MAC combinées à l’expérience du cancer qui a eu cet effet réflexif et qui a poussé certains d’entre eux à renouer avec des pratiques spirituelles ou à poursuivre ces dernières tout au long de leur parcours de soins. Cette réflexivité a parfois poussé des soignés à changer littéralement de mode de vie, à modifier leurs priorités ou à oser ce qu’ils n’avaient jamais tenté expérimenter, certains qualifiant même leur expérience avec le cancer de « véritable chance ».

159

Dans le prochain chapitre, nous allons nous intéresser aux discours des thérapeutes MAC et à l’ensemble des acteurs œuvrant dans le champ des fondations et de la recherche clinique, afin d’élargir notre compréhension des MAC, non plus à partir de l’expérience des soignés mais à partir de la question de leur reconnaissance par l’institution médicale québécoise. En changeant de lunettes, il nous importe d’appréhender le pluralisme médical au Québec d’un point de vue macro et méso-social afin de situer les enjeux structurels et épistémologiques qui limitent la reconnaissance de leurs usages par des profanes, pourtant considérés, par ces derniers, comme de véritables sources de soutiens. La question des espaces dans lesquels se déploient les MAC est notamment soulevée pour appuyer cette question.

160