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3. Cadre théorique : quels concepts et hypothèses de recherche

3.3 Usage des TIC chez Orlikowski

Dans cette partie, nous envisageons de définir les concepts importants liés à notre objet de recherche, et de développer les modèles et les approches théoriques liés à notre étude. Dans une analyse de ces approches en communication organisationnelle, notamment les approches fonctionnaliste, systémique, critique, qui ont beaucoup contribué à l’avancement et la compréhension de la communication organisationnelle. Nous reconnaissons le rôle qu’ont joué ces approches dans la compréhension des problématiques que soulève l’informatisation des organisations. Nous considérons que ces approches mettent l’accent pour la plupart, sur les critères rationnels et objectifs de l’organisation.

Par ailleurs, la perspective positiviste offre une vision réductrice de l’organisation. Quant à la perspective critique elle traite de domination, à d’aliénation. Ces approches ont tendance à considérer l’organisation en tant entité, prédéfinie où la communication est un instrument de transmission de message.

Pour nous, les perspectives sont différentes. La place des interactions, les formes relationnelles c'est-à-dire les conversations, les discours ne doivent pas être négligés.

En communication organisationnelle, nous considérons que par rapport à notre objet d’étude sur les systèmes d’information, il est nécessaire de faire appel à d’autres perspectives afin de mieux comprendre les spécificités de l’implantation de ces objets dans les organisations. En effet, nous ne voulons pas analyser les systèmes d’information, en partant du grand pour comprendre le petit. Autrement dit, même si nous prenons en compte les aspects structurels de l’organisation ou macrosocilogique de l’organisation, notre analyse veut d’explorer au mieux le niveau microsociologique que nous considérons fondamental, pour comprendre ce phénomène qui touche les organisations d’aujourd’hui.

Pour cela, notre positionnement théorique sera fondé sur l’approche dite constitutive . Une approche qui explore l’hypothèse selon laquelle la communication est constitutive de l’organisation (Cooren, Robichaud 2010). La communication est ainsi le fondement même de l’organisation et tout collectif en général, est central pour l’approche constitutive. Le rôle de celle-ci est de rendre compte intrinsèquement les interactions dans les organisations, et plus précisément celles des microacteurs, c'est-à-dire les pratiques de travail effectives. L’approche constitutive montre ainsi que les effets « organisants » sont principalement le résultat d’une coproduction en situation d’interactions (Cooren et Robichaud 2010). Elle nous montre comment la communication peut s’avérer utile dans l’analyse de processus organisants et insiste sur l’autre facette de la communication, c’est-à-dire sur son rôle « d’organiser » plutôt que d’être simplement un outil de transmission de l’information. L’accent est mis sur la dimension humaine dans les activités de l’organisation.

Nous abordons ici une étape fondamentale de notre recherche. En effet, nous avons présenté précédemment les différentes théories dans une perspective pluridisciplinaire pour tenter de comprendre leur place dans les organisations et les problématiques qu’elles soulèvent.

Nous avons pu identifier les forces et les faiblesses de chacune des théories présentées plus haut. Bien que les théories se complètent, il nous semble important dans une recherche scientifique de les confronter, ce que nous avons essayé de faire.

Cependant il devient crucial aussi dans une démarche scientifique de se positionner et de bien clarifier les théories mobilisées.

Nous avons signalé que notre positionnement s’inscrivait dans une perspective socio- constructiviste. C'est-à-dire une approche qui tend vers une tentative de réconcilier le micro et le macro. Ainsi, l’appel à la théorie de la structuration de Giddens devient en partie nécessaire à la compréhension de notre objet d’étude, du fait qu’elle s’interesse au processus dynamique et tente de dépasser le dualisme entre l’objet sociétal et la subjectivité individuelle. C’est ainsi que nous avons mobilisé les travaux d’Orlikwoski (2000), incontournable pour appréhender

les technologies dans les organisations, en mettant en évidence le concept de technologie en pratique, vidé de tout déterminisme technologique ou artefact technologique.

Ainsi, nous voulons appuyer notre positionnement autour de deux théories principales :

La théorie de la structuration (Giddens, Orlikowski etc.) et la théorie de l’acteur réseau (Callon &Latour). Mais aussi nous allons également mobilisé, la cognition distribuée et enfin les travaux de l’Ecole de Montréal.

Il s’agit d’aborder notre objet de recherche au niveau macro. Dans l’implantation des technologies, ce niveau est important, selon la « perspective structurationniste » qui met l’accent sur les organisations en cours d’informatisation. Cette approche suggère que toutes les modalités qui ont trait à l’informatisation des organisations doivent se faire en amont afin de permettre un bon déroulement de celle-ci : mettre les usagers en amont du projet. Il s’agit donc d’impliquer les acteurs dès l’élaboration du projet : « en tenant compte de la dynamique

historique ainsi qu’en créant des ponts entre le niveau micro et le macro de celle-ci »

(Groleau & Mayére, 2007). Ceci permet une imbrication entre objectivisme et subjectivisme, menant vers un dépassement de cette dualité qui s’oppose dans les études qui concernent les organisations.

Orlikowski suggère qu’on mette l’accent sur l’usage de la technologie plutôt que sur la technologie elle-même. Elle définit la notion d’usage comme étant : « interaction entre la technologie et les utilisateurs dans les pratiques de travail au quotidien ». Elle considère que la dimension interactionnelle est absente dans les études portant sur les technologies, Or, c’est pour elle un point crucial qu’il faut intégrer dans les études afin de montrer comment les gens interagissent avec les outils dans le travail. Rappelons que Orlikwoski avait réifié la technologie en la considérant comme une entité qui donne une forme matérielle au structurel (Orlikowski 1992). Cependant quatre ans après, l’auteur s’inspire des approches situées et distribuées qui adoptent une nouvelle vision de la technologie dans les organisations. Elle définit cette fois la technologie ainsi :

« La conceptualisation de la technologie que nous allons proposer est d’examiner la technologie ni comme une entité matérielle, ni comme une construction sociale mais plutôt comme un ensemble de contraintes et d’habiletés mise en œuvre dans l’action par l’appropriation de ses caractéristiques » (Groleau & Mayère 2007 P. 146).

Ainsi, nous voudrions éclairer ces termes qui sont également des concepts très important dans les problématiques qui concernent ce domaine. En effet, nous faisons une distinction entre la

notion de pratique et la notion d’activité. On assiste à un couple pratique/ activité dans le champ français et practice/ activity dans le champ anglo-saxon.

Selon Licoppe (2008) :

« La notion de « pratique », qui semblerait la traduction la plus naturelle en français de « practice » est assez lourdement conntée en France par les travaux marxistes et sociologie critique ».

Suite à une telle interprétation, en France la notion de pratique signifie l’activité. Par ailleurs dans la littérature anglo-saxon, le terme pratique est définie ainsi

[« practice » vise les « distributions d’activités humaines incorporées et « médiées » (mediated) matériellement organisées surtout autour d’une compréhension pratique partagée »] (Schatzky et al. 2001).

Dans ce contexte, nous assimilons la notion de pratique comme un apprentissage qui se fait dans l’effort de faire fonctionner un système. Nous pensons également comme Engeström qui définit l’apprentissage comme une reconfiguration qui se fait sur ce qui n’est pas encore connu ou crée. Dans ce sens nous considérons le système d’information comme objet méconnu dans l’activité des acteurs que ces derniers tentent de comprendre par des méthodes d’apprentissages et d’interdépendance entre eux-mêmes et l’outil.

Le virage mené par Orlikwoski (2000) s’inscrit dans le prolongement de Giddens (1984), qui s’intéresse à la production et la reproduction du système social, conceptuellement avec les être humains, quotidiennement engagés dans un flot de multiples activités. Dans ce sens, nous croyons comme Orlikwoski que la technologie peut être définie également comme étant :

« Un construit social qui est à la fois le produit et le médium de l’action humaine. La technologie résulte certes du travail de ses concepteurs, mais elle est aussi appropriée par des individus qui déterminent l’usage » (Orlikwoski traduit par Groleau 2008).

Ainsi, nous percevons que ce virage d’Orlikwoski s’inscrit désormais dans la dynamique de la théorie de la structuration, qui est de saisir la construction sociale des organisations en tenant compte de leur dynamique historique, ainsi qu’en créant des ponts entre les niveaux micro et macro (Poole & Mc Phee 1983). Une telle tentative de réconcilier le micro et le macro pour comprendre les phénomènes liés à l’informatisation des organisations compte pour nous.

Dans ce sens, Giddens, père fondateur de la théorie de la structuration, pense qu’il existe une dialectique entre l’objectivisme et le subjectivisme. Il définit l’objectivisme de la manière suivante :

« Par objectivisme, je désigne cette manière de concevoir la théorie sociale selon laquelle l’objet social (la « société ») a en quelque sorte la priorité sur l’acteur individuel et dans lequel les institutions sociales sont considérées comme l’enjeu central de l’analyse sociologique » (Giddens, 1987).

Nous comprenons à travers ces propos que l’objectivisme selon Giddens détermine le comportement de l’individu. Ainsi l’accent est mis sur le macro-sociologique et non le micro. Dans ce sens l’organisation est vue comme étant une réalité objective. Un contenant dans lequel se déroulent les activités humaines.

Concernant le subjectivisme, il le définit ainsi :

« Quant au subjectivisme, il désigne le point de vue opposé : l’acteur humain y est considéré comme le foyer principal de l’analyse sociologique » (Giddens, 1987).

Nous retenons de ces propos que l’individu tend à émerger, il interprète lui-même les messages de la structure. Le message n’est plus univoque mais il peut avoir plusieurs sens. Dans ce sens Giddens présente la structure comme quelque chose qui :

« Représente un ensemble de contraintes pour l’action humaine : elle restreint la liberté d’action, mais elle ne fait pas partie intégrante des conduite humaine ».

De là nous comprenons que le comportement de l’individu peut ne pas totalement intégrer la structure. Il a sa propre vision des choses, une négociation du sens opère entre un message incompréhensif ou entre deux interlocuteurs.

Dans ce cas, Giddens propose de ne pas dissocier l’objectivisme et le subjectivisme mais plutôt de lier la structure de l’action humaine. C’est ce procédé qui a permis en effet l’élaboration de la théorie de la structuration :

« J’ai d’abord remplacé le concept de « structure », trop polysémique, par une distinction entre le « structurel », qui renvoie à un principe de base, et des « ensembles structurels », qui en sont des manifestations spatio-temporellement situées. A partir de là, j’ai développé l’idée de « dualité du structurel », selon laquelle les propriétés structurelles des sytsèmes sociaux sont à la fois des conditions et des résultats des activités accomplies par les agents qui font partie de ces systèmes » (Giddens, 1987).

Ainsi, tel que le soulignent (Groleau &Mayère, 2007), les propriétés structurelles dont parle Giddens, sont à la fois le médium et le résultat de l’action humaine. Dans ce contexte, elles définissent la théorie de la structuration à leur tour

« La structuration peut alors être définie comme le processus par lequel les propriétés structurelles sont produites et reproduites dans le temps et dans l’espace à travers la dualité du structurel » (Groleau &Mayère, 2007).

En effet, tel qu’elles le soulignent, la dualité du structurel est un concept important dans la théorie de la structuration. Pour Giddens, le structurel n’est pas externe à l’individu, mais plutôt interne. Il repose sur des pratiques sociales qui désignent le processus de structuration. Elles sont pour Giddens des points d’articulation entre les acteurs et les structures. Cette articulation entre acteurs et structures (systèmes sociaux, organisations, groupes, mouvements, sociaux, sociétés), se produit dans les interactions.

C’est dans sens que Giddens (1984) parle de « pratiques sociales pour désigner le processus de structuration. Les pratiques sociales sont pour Giddens des points d’articulation entre les acteurs et les structures ».

Définition d’acteur : Giddens définit l’acteur comme étant : « être acteur (agent)

pour Giddens consiste, avant tout, à mettre en œuvre une « capacité à accomplir des choses », en particulier d’influencer les comportements d’autres acteurs, mais aussi transformer les circonstances, les contextes dans lesquels se déroulent les interactions. L’acteur le définit également par sa réflexivité : exerce un contrôle réflexif sur ses conduites » (Giddens, 1990).

Selon Orlikwoski (2000), qui poursuit la démarche de Giddens, les interactions avec la technologie, sont le lieu où émergent les propriétés structurelles. Donc pour elle, la collaboration entre la structure et la technologie repose sur une interaction entre les gens. C’est dans les interactions que la technologie prend forme. Donc pour elle, il n’y a pas de déterminisme technologique mais l’humain va s’approprier de cette technologie, et en s’appropriant cette technologie il va la modeler. Orlikwoski met en garde contre les discours dominants qui entourent les technologies, tels que quand on implante une technologie on va forcément augmenter la productivité. En effet, pour elle, la productivité n’est pas dans la technologie mais elle est dans la façon dont on implante cette technologie. Ce faisant, elle met en place un concept central qui est la notion de « practice » (pratique) qui signifie en effet, la manière dont les gens utilisent la pratique. Cette notion va permettre de se dégager d’une

vision déterministe de la technologie, car l’utilisation que fait la pensée déterministe produira le résultat attendu. Pour elle il faut sortir de cette pensée déterministe, et aborder les usages. L’intérêt donc c’est de voir quels sont les nouveaux usages qui vont émerger dans la mise en place d’une technologie.

Toujours selon Orlikwoski, lorsqu’on met en place une technologie de l’information et de la communication, les individus l’utilisent de façon différente, car les pratiques quotidiennes sont différentes. Ce qui intéresse les gestionnaires, c’est le travail collaboratif qui pourrait être source de productivité et de compétitivité. Selon Orlikwoski, ceux-ci sont préoccupés par « l’artefact technologique » et ne sont pas intéressés par l’usage, c’est-à-dire « technologie-in practice » (en français la technologie en pratique).

Ainsi, en lien avec notre objet d’étude que sont les systèmes d’information, nous considérons qu’au-delà même de l’implantation des SI dans une pratique quelconque de travail, ce sont des personnes, des groupes et des populations dont il s’agit. La prise en compte de cette dimension sociale, montre à quel point les projets technologiques doivent impérativement être soumis à des débats en amont entre les personnes qui les utilisent. Ce système mobilise, entre les différents acteurs locaux, régionaux, nationaux, selon l’envergure des projets, et avant de procéder à leur implantation. Ils doivent échanger.

Ainsi, nous considérons que mobiliser cette théorie qui articule à la fois Technologie- Organisation –Communication, nous aide à mieux cerner notre objet, et à penser autrement les choix technologiques, en nous centrant sur l’humain en tant qu’expert dans son domaine.

Dans ce même esprit, sous un autre versant théorique qui est la « théorie de l’acteur réseau » (ANT) de (Callon et Latour), ces derniers nous montrent comment un phénomène pourrait être dépassé en mobilisant cette théorie.