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Chapitre 1 Stratégie de modernisation

1.2.3 Rationalisation est-elle facteur de meilleure coordination ?

L’une des grandes impasses des études portant sur la rationalisation des pratiques de santé vient de ce qu’elles regardent ce phénomène quasi-exclusivement « du dehors ». On s’intéresse essentiellement à ses dimensions institutionnelles, et à ses implications politiques et économiques.

La rationalisation semble être une priorité dans les pratiques cliniques de santé. Contrairement à ce que l’on a tendance à croire à propos de ce phénomène. Que se passe-t-il dans l’organisation ?

Penser la rationalisation de ce secteur, oblige dans un premier temps à être attentif aux systèmes de croyances. En effet, les dimensions institutionnelles, économiques, technologiques, et les approches certains acteurs qui décident des problématiques de santé, perdent souvent de vue une dimension aussi évidente que fondamentale, à savoir que les utilisateurs ont des croyances sur leurs manières de voir leurs pratiques. Et comme chez tous les professionnels de santé la sécurité pour eux est une priorité, c’est-à-dire quelque chose de significatif. Cette dimension « croyance » doit donc être pleinement étudiée et restituée si nous voulons valablement saisir ce qu’est la rationalisation. Or trop souvent, l’analyse technologique, politique, économique, managériale la réduit à n’être qu’un vernis au service d’intérêts techniques, à des plans de réductions des dépenses et des coûts dans la santé.

Notre terrain nous révèle en effet ce type d’incompréhensions. La crainte d’un professionnel de santé est de perdre son temps de travail à cause, de la rationalisation. En effet, selon le gestionnaire, ce professionnel pense qu’il risquerait de perdre des heures de travail si son activité reposait sur ce phénomène de rationalisation. Ceci l’amène à vouloir ainsi refuser cette nouvelle logique de travail. Lisons les propos d’un gestionnaire de la Sagesse:

« Mais effectivement moi on peut demande de rationaliser le travail tout simplement déjà pour on va dire ressortir tout ce qui touche en fait on va dire informatique basique pour que ce soit évité, je travaille beaucoup sur les interfaces en ce moments, pour qu’il n’est pas de ressaisie mais effectivement j’enlève tout ce temps de ressaisie pour que les personnes puissent travailler dans leurs spécialités mais c’est peu éventuellement faire peur. J’ai eu un projet actuellement sur la commande des repas dans les chambres aujourd’hui en fait j’ai fait le constat que tous les patients étaient ressaisi dans cette application donc 130 repas à la journée donc 130 patients ressaisis aucun intérêt d’un point vue informatique et que moi je peux envoyer on va dire par flux les patients du SIH (système d’information hospitalier). La personne dans un premier temps m’a entendu, mais dit oh c’est super et dans un deuxième elle à une autre réflexion en se disant « mais ça veut dire qu’on va m’enlever du temps » et je vais pas pouvoir justifier mon temps il va falloir que je fasse quelque chose d’autres pendant ce temps et peut- être que j’ai demandé on va dire à avoir d’autres personnes dans mon service et que finalement je vais pas obtenir ces personnes parce qu’on va m’enlever du temps informatique. Là en fait côté direction ils vont entendre la rationalisation, ils vont dire oui c’est très bien, ce temps d’informatique va diminuer et côté service ça va faire peur car on va se dire moi et là hier je me suis heurter on va dire à une difficulté donc sur le coup quand j’ai vu la résistance, j’ai posé la question à l’hôtesse en disant mais « tu veux rester à l’âge de pierre ? Tu préfère en fait saisir on va dire pendant des heures tes 130 patients alors que tu pourras les avoir sans aucune action, mais pour quelle raison ? Qu’est ce qui te motive à saisir des patients alors qu’il y’a aucun intérêt en fait. Ce n’est pas du travail d’hôtesse, sa valeur ajouté c’est voir le patient, de voir son régime alimentaire, ce n’est pas de ressaisir les patients, mais elle voyait en fait une diminution de sa charge et ça lui faisait peur ».

Nous soulignons dans ce témoignage deux visions dans un même système, qui montrent une incompatibilité inter-objective entre les différents acteurs. L’incohérence même de cette rationalisation est soulevée ici. Et le non respect des croyances des utilisateurs pose problème. En ce sens, il convient pour les responsables de retrouver l’origine de cette incohérence, qui pourrait remettre en cause la compatibilité inter-objective entre les différents membres. En d’autres termes, quels sont les facteurs qui vont participer à assurer une compréhension plus large de cette logique de rationalisation ?

D’une part, la direction perçoit l’intérêt et le sens de cette rationalisation en la mettant en place de plus en plus par une politique allant dans ce sens. Et d’autre part, les professionnels aussi ont une conception de ce phénomène comme une manière de réduction de leur temps de travail, autrement dit un phénomène qui tend vers une suppression de postes. Dans ce sens nous notons une divergence de perception par rapport à la rationalisation, qui risque de contraindre la mise en place et la bonne marche de cette pratique.

Prenons l’exemple d’une professionnelle de santé qui ne perçoit pas l’intérêt de ce phénomène et semble très angoissée et pas du tout motivée vis-à-vis de ce changement organisationnel. C’est à travers les propos de la responsable de gestion que nous avons su et compris l’attitude de cette professionnelle de santé. Voici ce qu’elle nous révèle :

« Rationalisation : c’est vrai que quel part en fait, parce que moi je me positionne côté informatique et c’est vrai que l’informatique quelle part permet de rationaliser là où en fait on va dire on arrive pas à rationaliser parce que chacun travaille on va dire à ça façon, on s’est que l’informatique va permettre de rationaliser un peu les pratiques et donc voilà et c’est vrai qu’il faut que j’aborde certains sujets et il faut que je m’attende à certains projets et parfois on peut avoir des mouvements de recule en disant attention on va toucher encore à nos habitudes et attention et ça fait un peu peur parce qu’on a peur du changement ».

Dans notre terrain, nous avons constaté que, bien que le phénomène de rationalisation soit mis en œuvre par la direction, et ouvert à tous les services de la clinique, il existe des personnes qui, il me semble, ne sont pas au courant ou ne connaissent même pas cette notion et son intérêt dans la réorganisation des soins. Il semblerait que même si l’organisation est ouverte à une pratique pour transformer ses façons de faire, elle doive respecter certaines modalités qui permettraient d’assurer la convergence entre les acteurs. Or notre terrain nous révèle tout le contraire en ce qui concerne cette rationalisation, et par exemple le professionnel qui assure la gestion des repas, pense que la suppression de la saisie entraînerait une diminution de son temps de travail. Cette incompréhension s’explique du fait que cette professionnelle de santé a été mise devant le fait accompli, ne pouvant pas comprendre le pourquoi, et restant dans la peur de ce changement. Lisons les propos de la responsable :

« Là en fait côté direction ils vont entendre la rationalisation, ils vont dire oui c’est très bien, ce temps d’informatique va diminuer et côté service ça va faire peur, là hier je me suis heurter on va dire à une difficulté donc sur le coup quand j’ai vu la résistance, j’ai posé la question à l’hôtesse en disant mais « tu veux rester à l’âge de pierre ? Tu préfère en fait

saisir on va dire pendant des heures tes 130 patients alors que tu pourras les avoir sans aucune action, mais pour quelle raison ? Qu’est ce qui te motive à saisir des patients alors qu’il y’a aucun intérêt en fait. C’est pas du travail d’hôtesse, sa valeur ajouté c’est voir le patient, de voir son régime alimentaire, ce n’est pas de ressaisir les patients, mais elle voyait en fait une diminution de sa charge et ça lui faisait peur et de l’autre côté la direction voyait une rationalisation au niveau des services et ça les intéressait. Mais c’est vrai qu’il faut faire attention quand on amène un projet. Les gens ont peurs du changement mais c’est aussi une valeur ajouté de leur spécialité. Et effectivement ce que je lui ai répondu (hôtesse) mais tu vas passer plus de temps avec un patient, tu vas travailler plus sur les menus des patients, ta valeur ajouté ce n’est pas de saisir en informatique, l’informatique doit t’aider doit être un support mais pas une contrainte en fait. Donc effectivement rationaliser ce n’est pas toujours facile et ce n’est pas toujours accepter ».

A travers ces propos pour les choix de coordination à opérer en organisations, nous soulignons deux visions du changement technologique : une conception d’un changement très structurel indispensable à l’organisation et une conception d’un changement conjoncturel. Selon le gestionnaire le changement conjoncturel risque même de créer de la résistance d’un utilisateur. Les questions principales que nous posons dans ce cas sont les suivantes : l’utilisateur est-il réticent ou est-il face à une méconnaissance du potentiel de la technologie ? Doit-on repérer sur les croyances des utilisateurs pour réformer un système ? Qu’entend-on réellement par rationalisation en terme de coordination organisationnelle ?

Sur le terrain, en l’occurrence la clinique La Sagesse, la rationalisation a été l’occasion de réorganiser les soins par une informatisation des prescriptions. Cette dématérialisation des soins devait toutefois être appuyée par des moyens techniques capables de constituer un levier de redéfinition des services de soins pour faciliter les exigences organisationnelles des prescriptions de soins. C’est ainsi que le projet d’HM a été lancé depuis 2010 dans la partie chirurgie composée de trois services. Avec les solutions mises en place dans le cadre de l’informatisation des soins, il fallait imaginer non seulement une organisation nouvelle des services de soins, mais aussi un levier de redéfinition stratégique de ceux-ci. Donc il fallait maintenir les objectifs des soins, la sécurité, et réduire les erreurs de prescriptions, assurer leur cohérence.

C’est exactement ce que nous révèle une infirmière de la Chirurgie qui donne ses impressions sur HM, qui a remis quelque peu en cause son travail :

« HM je le trouve pas très pratique, il nous demande quand même beaucoup de temps. Après ce que j’apprécie c’est d’avoir des prescriptions qui sont lisibles puis qu’elles sont informatisées donc lisibles pour nous contrairement à l’écriture du médecin qui toujours n’est pas lisible. Le médecin prescrit directement sur hm donc nous forcément on a un œil hein avertit et on peut dire ce qu’on connait si effectivement il y’a une erreur. Après c’est lui qui prescrit et c’est quand même plus nous qui retranscrivons avec ce risque d’erreur qui peut coûter cher à une infirmière quoi. Et ce n’est jamais très confortable en fait d’avoir peur de faire une erreur ou autre. Donc je pense que le fait d’une prescription lisible écrite par un médecin, moi je pense que c’est bien, ça vraiment c’est bien ».

Donc l’implantation d’HM est à comprendre dans ce contexte de renforcement de la sécurité qui est non seulement celle du patient, mais également celle des soignants, qui le jugent comme une alternative visant à une protection dans le travail. Car n’oublions pas qu’à l’image d’HM, les technologies dans le milieu de la santé en France s’inscrivent dans une volonté de résoudre la crise sanitaire suite à l’événement du « sang contaminé » qui remonte aux les années 80.

C’est ainsi que l’État jouait un rôle fondamental dans le cadre de la rationalisation et de la réorganisation du système de soins, à telle enseigne qu’il est devenu l’acteur principal du changement tel qu’il est souligné par Jean-Guy Lacroix :

« Dans cette révolution structurelle, l’État est appelé à jouer un rôle central. Comme élément

d’impulsion, comme usager modèle et comme chef de file dans les sphères qui relèvent directement de lui, telles que l’éducation ou la santé. [...] Il doit finalement apporter son soutien aux idées novatrices et à l’expérimentation dans la nouvelle économie » (Lacroix,

2001).

En France, le rôle de l’Etat s’est principalement illustré par la mise en place de nombreuses règles, de certifications, de lois et des décrets, bref des normes qui viennent alourdir le travail médical selon certains professionnels de santé, et qui jouent un rôle d’impulsion également dans la mise en place d’une technologie dans la santé.