• Aucun résultat trouvé

3. Cadre théorique : quels concepts et hypothèses de recherche

3.4 Notion de réseau selon Callon et Latour (ANT)

Mais nous avons noté également les limites de la théorie de la structuration dans le cours de notre étude. Elle ne nous permet pas en effet d’appréhender la manière dont s’opère l’articulation entre la structure et l’individu. En effet, nous pensons (à l’instar d’autres auteurs en communication) que cette articulation ne peut s’opérer que si l’on parvient à montrer comment l’individu, influencé par la structure, contribue aussi à façonner celle-ci. C’est dans ce sillage de compréhension du phénomène organisationnel et technologique que nous avons

mobilisé la théorie de l’acteur-réseau de Callon/ Latour afin de mieux intégrer la dimension micro dans le macro, et de mieux faire ressortir cette notion d’articulation avec le concept d’ « actant ». Il est donc fondamental pour notre propos le principe de symètrie Humain/ Non Humain, c’est-à-dire la capacité à rendre compte de la présence et des mouvements des non- humains au même titre que ceux des humains, comme l’appréhende Latour (2006) dans sa conception du réseau : « J’entends par là une chaîne d’actions où chaque participant est traité à tous égards comme un médiateur ».

En outre, la dynamique d’innovation qu’incarnent les technologies dans les organisations, justifie également notre mobilisation de la théorie de l’acteur-réseau, car nous pensons qu’elle nous fournit des outils de description extrêmment importants pour comprendre les processus d’innovations socio-techniques et les contrverses qui entourent souvent la technologie dans les organisations.

Ce qu’ils entendent par réseau, c’est : « une « proto-notion » qui permet de décrire toute

réalité comme un faisceau de relations entre des entités hétérogènes (actants c'est-à-dire Humains et Non-Humains) » (Callon 1999).

En effet, le réseau est ici une « méta-organisation » rassemblant des humains et des non- humains, et une organisation. Le réseau n’est pas quelque chose de tangible mais plutôt un faisceau de relations. Nous pouvons l’illustrer par les propos suivant :

« J’entends par là une chaîne d’actions où chaque participant est traité à tous égard comme un médiateur » (Latour 2006).

Des termes qui ont été repris par Doolin à travers ces propos

« The materially heterogeneous organizational arrangements they generate include talk, text, people, machines, technologies, architectures, naturally occurring entities and processes »

(Doolin 2003).

Nous mobilisons ici donc dans notre thèse la théorie de l’acteur réseau, afin d’explorer dans le cadre de notre étude le niveau micro mais aussi cette théorie va nous permettre de comprendre trois dimensions fondamentales qui touchent à notre objet de recherche : Réseaux- Organisation-Communication.

Nous allons utiliser les concepts : problématisation, intéressement, l’enrôlement mobilisation, bref le concept de traduction qui incarne ces quatre étapes (Latour, 1986) pour comprendre les problématiques de changement organisationnel induit par les technologies, en l’occurrence dans un hôpital.

En effet, Callon et Latour ancrent l’analyse de la notion de réseau et les processus d’innovation dans un cadre socio-technique. Ce cadre nous ouvre une perspective que les autres théories, notamment la théorie de la structuration, ne nous a pas dévoilé : ils ont une autre vision par exemple de la notion de réseau. Chez Callon et Latour, la notion il n’est pas entendu comme un réseau Internet, et n’a rien à voir avec la définition d’organisation en réseau, elle est donc différente du concept de réseau chez Castel et chez d’autres qui considèrent le réseau comme ce qui permet de transporter, de faire circuler ou d’échanger des informations comme le réseau téléphonique, le réseau câblé, le réseau mobile, les réseaux de télédiffusion satellitaire ou hertzien ou Internet et les organisations en réseau d’aujourd’hui. Ainsi nous défendons comme ces auteurs (Callon & Latour et Doolin) que l’organisation se décrit et se performe dans les mécanismes discursifs que nous considérons comme des stratégies d’arrangement et coordination des actions. Dans ce sens nous considérons l’organisation comme des processus dynamiques soutenus par les interactions de leurs membres (Groleau 2008). Ainsi l’ANT aide également à dépasser la notion d’organisation, toute faite, en nous montrant comment un phénomène macrosciologique peut-être présent dans les micro-épisodes (Latour 2006).

C’est dans le sillage de la théorie de l’acteur-réseau, que nous avons également mobilisé la théorie de la « cognition distribuée » et la « théorie de l’activité », qui offrent également un espace de recherche très riche centré sur l’activité.

Pour notre étude, d’autres approches, notamment celle du changement organisationnel est principale. Parler de changement, c’est souligner les tensions et les contradictions qui en résultent. Dans notre située dans le domaine de la santé, en particulier l’hôpital, marqué par les phénomènes de rationalisation des pratiques de travail en d’autres termes la normalisation des pratiques médicales domine (Castell et Merle, 2002). Les tensions qui peuvent en résulter dans le domaine clinique, soit dans les pratiques des soignants (médecins et personnel infirmier), sont très nombreuses, et sont facteurs de changement.

Ainsi, nous considérons que de telles transformations entraîneront des contradictions qui peuvent être liées à ceci:

« La façon dont l’informatisation des dossiers de soins, au plus près des pratiques médicales, peut contribuer à l’émergence de tensions qui ne sont pas de simples expressions d’une supposée « résistance intrinsèque au changement », mais qui manifestent des contradictions liées à ce qui fonde l’activité des professionnels concernés » (Groleau & Mayère, 2009. p 13).

Nous comprenons à travers ces propos que l’individu n’est pas réticent à priori au changement, mais qu’il faut que ce dernier soit adapté à son environnement de vie. C’est dans ce contexte, que nous comptons mobiliser la théorie de l’activité (Vygotsky 1997). Elle nous aide à comprendre le changement car elle est orientée vers sa compréhension justement. En effet, la spécificité de cette approche réside dans ce qu’il considère les contradictions comme partie intégrante de l’activité, liées à l’évolution de celle-ci. Nous pouvons illustrer ceci à travers les propos suivants :

« Les théoriciens de l’activité stipulent que l’inconfort découlant de ces tensions incite les individus à chercher des solutions pour résoudre ce type de contradiction » (Groleau &

Mayère, 2009. p 3). Elles poursuivent leur raisonnement en défendant l’idée la théorie de l’activité : « identifie les contradictions comme dimension intrinsèque des situations de

travail, et comme participant à leur dynamique d’évolution » (Groleau & Mayère, 2009. p 2).

Cette approche articule à la fois trois concepts importants : Technologie, contradiction et communication (Groleau & Mayère, 2007. p 149) et dont la communication joue un rôle central dans la mesure où elle met en relief un concept central qui est la « médiation » entre trois niveaux : le collectif (macro), les actions intermédiaires (méso) et celui des actions opérationnelles (micro).

Dans ce contexte, nous considérons la perspective de la théorie de l’activité très complète pour décrire la dynamique qui anime les professionnels dans la transformation de leurs pratiques. Voilà les raisons pour lesquelles nous voulons mobiliser cette approche, afin de comprendre et d’analyser en profondeur notre terrain d’étude.

Ainsi, il s’agira de relier la théorie de l’activité avec la théorie du changement proposé par JR Taylor et Van Every. Parce que d’un point de vue scientifique, nous nous intéressons aux processus, c'est-à-dire à la façon avec laquelle on arrive à formuler et à implanter la stratégie, plutôt qu’au contenu stratégique lui-même. Nous avons choisi d’aborder notre problématique en nous référent au modèle Texte/ conversation de J.R. Taylor. Ce modèle comprend deux dimensions importantes soit la conversation et le texte. Ce dernier s’inscrit au niveau macro et repose sur un projet dominant. Il est décrit comme étant une forme orale (exemple les discours managérial, politique, économique…) ou écrite (exemple un plan de communication stratégique). C’est un produit d’un processus d’abstraction, qui vise une signification partagée entre les acteurs. Cette problématique de changement organisationnel est utilisée également sous une autre perspective par l’Ecole de Montréal. Cette dernière tente de mettre en application un modèle qui articule : Changement-Organisation-Communication. Dans ce sens

nous considérons des modalités fondamentales doivent entrer en jeu. Nous faisons allusion notamment à la conversation.

La conversation est définie comme une interaction qui permet aux acteurs de dialoguer sur les divers changements dans le but d’actualiser l’organisation au quotidien. Elle se décrit sur une forme orale (exemple la discussion) ou écrite (exemple les e-mails). Elle se caractérise par une réalité fragmentée et éphémère située dans un contexte. C’est un produit d’un processus de concrétisation. Le rôle de la conversation est de coordonner le travail dans l’interaction. Donc la conversation s’inscrit dans un niveau micro pour mieux comprendre le changement.

Voici donc les cinq théories que nous avons choisies modestement pour tenter de comprendre notre objet de recherche.

Très peu d’études scientifiques

Le lien entre la pratique et les systèmes d’information dans les organisations n’a pas fait l’objet de nombreux travaux dans la littérature française. Ainsi nous avons pu identifier une étude menée par Licoppe (2008) qui explique sur le concept de pratique selon la perception française et anglo-saxon sur cette notion.

En 2000, Orlikowski établit la notion de pratique pour étudier deux aspects fondamentaux de la technologie qui sont principalement : la technologie en tant que artefact c'est-à-dire : « The technology as artifact (the bundle of material and symbol properties packaged in some

socially recognizable form, e.g., hardware, software, techniques) (p 408) ».

Elle considère que cet aspect qui relève d’une dimension technique occupe une place importante dans la mise en sur pied d’une technologie dans les pratiques de travail. Elle souligne que les gens ont été obnubilés par cet artefact technologique.

L’autre aspect de la technologie selon Orlikowski porte sur l’usage de la technologie. C’est ce qu’elle nomme « Technologies-in Practice ». Elle propose qu’on se concentre mieux sur cette dimension car selon elle : « technology-in- pratice is a kind of structure » (p 409). Pour elle c’est dans cette dimension que les gens peuvent remodeler la technologie en l’appropriant dans les pratiques de travail. Pour elle la technologie in practice prend en compte la conception de la technologie ce qui facilite la compréhension celle-ci. Mais aussi elle remodèle les normes (protocoles, plan stratégiques…). Pour l’usage doit être au centre de la conception de la technologie. Donc il faut situer d’abord l’outil dans les pratiques des acteurs autrement dit dans leur milieu naturel de vie.

La mise sur pied d’un système d’information implique la formation des personnes qui utilisent le système. En effet, la formation devient dans les organisations le seul moyen pour les novices à comprendre et à mieux travailler avec l’outil. Pour ce faire, la formation devient l’une des préoccupations majeures des acteurs qui décident l’implantation. Ainsi, en amont, les utilisateurs suivent des formations afin de mieux cerner l’outil dans les pratiques de travail. Dans certaines organisations par exemple au niveau de la santé les utilisateurs peuvent devenir des relais auprès de leurs collègues qui ont des difficultés à comprendre le fonctionnement. Mais aussi les experts du système d’information peuvent suivre les utilisateurs dans le temps afin d’assurer la pertinence de l’outil dans leur milieu de travail. Nous définissons les concepts importants de notre étude à savoir : système d’information, la notion de pratique et d’usage et les termes tels : organisation et acteur.

En outre nous mobilisons la théorie de la cognition distribuée. Cette approche ne prédomine pas dans notre étude mais nous avons voulu la mobiliser pour expliquer certains phénomènes liés aux technologies dans les organisations. Nous considérons que dans le domaine de la santé, la cognition distribuée peut-être définie de la manière suivante :

«La cognition distribuée fait des fonctions et des capacités cognitives une propriété

caractéristique de collectifs hétérogènes, faits de personnes et d’artefacts » Hutchins (1995),

Il nous aidera sur notre objet d’étude, en lien avec l’activité quotidienne des soignants. Dans cette optique nous mobilisons la cognition distribuée au niveau micro, pour mieux éclairer le travail collectif des soignants en interaction avec les outils.

De plus, nous avons décidé de mobiliser cette approche du fait qu’elle nous permet également d’aborder notre étude au niveau macro. En effet, la cognition distribuée ne se limite pas au niveau des collectifs c’est-à-dire l’interaction entre les personnes et les artefacts, mais également c’est une approche qui appréhende la structuration de la technologie en relation avec les besoins des futurs utilisateurs. Nous pouvons justifier ceci par les propos suivants :

« Il est important de noter que la distribution ne constitue pas simplement une manière de décrire l’activité, mais que ce paradigme est rendu explicite et délibérément incorporé dans les artefacts par leurs concepteurs. Les concepteurs cherchent à guider et faciliter un bon usage des dispositifs en y incorporant des opportunités d’action aisément perceptibles et reconnaissables comme telles. Les objets bien conçus signalent de manière claire et évidente par la forme des repères qu’ils incorporent» (Licoppe, 2008). Ainsi, nous mettons en lien ces

propos avec ceux d’Orlikwoski qui se situe également au niveau de la structuration de la technologie c’est-à –dire le niveau macro et qui pense que :

« La technologie est construite par ses concepteurs mais aussi par ses usagers » (Groleau,

2000).

En effet, ces deux théories mettent en lumière sur la flexibilité de la technologie et de son utilisation facile qui repose sur le fait que l’usage de celle-ci est une notion fondamentale dans la conception de l’outil et que les concepteurs doivent se concentrer sur cette notion. Autrement des formes d’imbrication entre conception et exécution (Licoppe ,2008).

En nous fondant sur les travaux réalisés par chaque auteur, nous avons décidé de mobiliser ces trois théories (la théorie de structuration, la théorie de l’acteur réseau et la théorie de l’activité). Dans la théorie de la structuration, les auteurs ont montré que la technologie est une dimension sociale que la productivité de la technologie réside dans la technologie en pratique plutôt que dans l’artefact technologique.

Concernant la théorie de l’acteur réseau, elle considère que le réseau est une chaîne de relation et que le changement organisationnel repose sur un processus. Quant à la théorie de l’activité telle que nous venons de le souligner aide nous à comprendre les contradictions des discours dans l’activité.

Ainsi de leur côté, les résultats laissent entendre que les changements technologiques reposent sur des processus qui se heurtent souvent à des contradictions. Quant à nous, nous avons fait ressortir l’importance des processus compte tenu des résultats de tous les travaux de ces auteurs, nous croyons qu’il serait intéressant de déterminer les enjeux en termes de communication qui accompagnent le changement technologique.