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Chapitre 1 Stratégie de modernisation

1.2.2 Trop ou pas assez d’informations?

L’objectif de l’implantation des technologies de santé est de mieux développer l’information médicale. Nous allons plutôt étudier quelle est la portée de l’information dans l’activité médicale. Dans une perspective plus large, l’information de la santé incarne une dimension rassurante, tel qu’il est souligné dans ces propos :

« Une tendance naturelle et fréquente en situation de crise est de rechercher à rassurer. Il est fréquent que l’on craigne les données, les modèles, les informations, que l’on pense « inutilement inquiétants » quand ils ne sont pas validés. C’est toujours une erreur » (Lucien

Abenhaim, 2005, p 31). Il poursuit :

« L’information peut et doit donc parfois faire peur, elle vise à fournir en cas de crise des données sur les risques et donc à entraîner des comportements et actions correcteurs. Ne pas fournir d’information –ou pire, bien sûr, en cacher sous prétexte de « rassurer »- est une faute non seulement éthique, mais encore systématiquement contre-productive. Car l’information finira tôt ou tard par « sortir », entraînant une perte de confiance définitive dans ceux l’auront minimisée » (p, 31).

Donc l’information est bien une préoccupation majeure porteuse d’amélioration pour le domaine de la santé tant au niveau externe qu’à l’interne.

Au niveau externe l’objectif est de mettre en relation les personnes de l’organisation et les personnes de l’extérieur susceptibles d’être concernées. Il s’agit notamment du rapprochement

entre la médecine interne et la médecine de ville, plus précisément, cela renvoie au rapport entre les spécialistes et généralistes, pour une bonne gestion de l’information qu’ils participent.

Les technologies permettent-elles d’asseoir une base de développement de l’information entre les membres de l’organisation et au-delà ?

Au niveau de notre cas d’étude La Sagesse, nous avons retenu que des solutions ont été mises en place pour résoudre certains problèmes structurels. Voyons cela avec la démarche de la clinique la Sagesse et en lien avec l’EFS. Notre étude nous révèle que l’information reste le lien direct entre ces deux structures, et cette nouvelle forme de collaboration reste très appréciée par les acteurs.

C’est exactement ce que nous confirme une infirmière :

« Il y’a un partage d’information ce qui y’avait pas avant. Avant on renvoyer des papiers à l’EFS mais là c’est un lien direct. L’EFS sait à tout moment où sont passées les poches de sang qu’ils nous ont données et je trouve ça vraiment bien ».

« Des impressions positives parce que c’est un outil simple, fiable, qui nous met en relation directe avec l’EFS qui passe par cursus; ça fait un lien informatique entre l’EFS et la clinique et ça c’est positif pour moi. Et aussi voilà on est passé du stade papier au stade informatique pour la saisie de tous les dossiers et je trouve ça très bien. C’est un outil fonctionnel, adapté »

Nous soulignons ici la clarté sur la méthode qui est saluée, et met en relation deux structures de santé qui auparavant n’existait pas. Notons également une méthode qui se veut efficiente dans la façon de transmettre l’information.

Au niveau interne également, les SI sont censés être porteurs d’amélioration de la circulation de l’information. C’est dans la même dynamique que nous pensons également sur la situation de l’information au niveau interne donc, c’est –à –dire entre les acteurs de santé, mais aussi entre les professionnels eux-mêmes. En effet, dans le cas de la clinique, la mise en place des logiciels s’opère pour l’instant par services de soin, et non entre deux services. Nous faisons reposer cet argument sur le fait que notre étude avait comme objectif d’éclairer sur les

logiques d’implantation de deux logiciels (en l’occurrence CURSUS 3 et Hôpital Manager (HM)).

S’agissant de CURSUS 3, tel que nous l’avons déjà souligné, ce logiciel concerne uniquement la partie anesthésiste composée de onze médecins anesthésistes et de onze infirmières anesthésistes qui l’utilisent. Dans notre étude, nous avons tenté de comprendre la dimension externe de l’outil le rôle de lien qu’il joue entre la clinique et l’EFS. L’autre aspect de l’outil repose sur la gestion interne, qui concerne vingt-deux utilisateurs. Le rôle de CURSUS 3 dans le travail des anesthésistes est important. Nous proposons ce témoignage apporté par une infirmière anesthésiste :

« On utilise CURSUS 3 dans les blocs opératoires et je trouve l’échange d’information très fiable ».

Avec CURSUS 3 l’outil présente des potentiels, en externe avec le lien entre l’établissement de soins et l’établissement du sang (EFS) mais le rôle interne qu’il joue entre les professionnels qui pensent l’échange de l’information. Le logiciel est aussi fiable

A partir de là, que penser des théories qui ont tendance à remettre en cause l’apport de la technologie dans les organisations. Nous pensons notamment à Boltanski et Chiapello (1999) qui parlent d’un monde connexionniste où la forme dominante devient celle du réseau. Ainsi dans ce sens il convient de s’interroger sur cette forme de domination que nous suggèrent ces auteurs. Notre question est la suivante : comment peut-on percevoir le réseau comme une domination?

D’après les éléments de nos études de terrain il est difficile de répondre à cette question car pour les personnes qui utilisent CURSUS 3, devenu un moyen essentiel dans la transmission de l’information. Cet outil très adapté à leur pratique, car il répond à leurs attentes et à celles de l’EFS. Ainsi leurs impressions sur le logiciel restent très positives. Ainsi, que penser des discours des nouvelles formes de domination, du nouveau taylorisme etc.? Ce qu’on nous a fait comprendre avec le logiciel CURSUS 3 nous met en position très inconfortable de pour mobiliser la pensée de ces auteurs dans notre travail. Suite aux révélations des professionnels de santé qui connaissent leurs pratiques et qui utilisent le système, et qui louent la fiabilité de l’outil en ce qui concerne l’information médicale, pouvons-nous parler à présent de : « domination positive »?

Au plan théorique, nous voyons bien que dix ans après, ces auteurs qui considéraient le développement du travail en réseau comme une domination, ont rebondi sur leur posture et ont apporté une nouvelle vision théorique. Nous pensons notamment à la nouvelle sociologie, qui remet en question aujourd’hui la sociologie critique, qui peine toujours à être opérant dans problématiques sociales, et plus particulièrement celles de l’organisation. Dans ce sens nous ne pouvons qu’être optimiste avec l’entrée en jeu de la nouvelle sociologie qui tente de jouer un rôle fondamental pour renouveler l’approche critique de l’information. Elle veut retrouver une position légitime au plan épistémologique et aborder les problématiques sociales du monde autrement. Dés lors il convient de repenser la critique, elle-même considérée comme inefficace et inadéquat Quelques auteurs qui s’inscrivent dans cette approche critique en Science de l’Information de la Communication font une analyse profonde de ces deux postures épistémologiques que sont la sociologie critique classique, et la nouvelle sociologie critique Ainsi Romain Huët 2012 a tenté d’analyser ce qui opposait ces deux postures :

« Pour la sociologie critique classique, les individus ordinaires ne savent pas ce qu’ils font alors que pour la nouvelle sociologie critique, les gens ordinaires savent nécessairement ce qu’ils sont en train de faire quand bien même cette connaissance est approximative. Pour les premiers, l’analyse porte en premier lieu sur les déterminants sociaux, économiques et politiques, c’est-à-dire sur les causes structurelles des situations qui échappent aux consciences individuelles. Cela nécessite d’opérer une « rupture épistémologique » avec le sens commun pour « dévoiler » ce qui configurent les expériences que les individus se font du monde. Ils s’appuieront alors volontiers sur les catégories classiques de la critique comme celles « d’idéologie », « d’aliénation » ou encore de la « réification » laissant de côté les idées que les personnes concernées peuvent se faire des problèmes auxquels ils sont confrontés. Pour les seconds, au contraire, il s’agit de considérer que l’opération critique ne peut se passer des individus concernés. Elle prend acte que les individus savent ce qu’ils font si bien que le chercheur a essentiellement un travail de recomposition et de traduction à opérer pour donner à ces multiples contestations ordinaires une forme entendable et acceptable dans les espaces de transformation sociale » (Huët 2012, p.15).

Arrêtons nous un peu sur cette citation afin d’étayer les propos de R. Huët qui éclaire deux postures qui s’opposent. La nouvelle sociologie semble pour lui une base à l’approche critique. Dans notre travail, notre positionnement théorique est lié à l’approche socio- constructiviste. Nous choisissons ici de la mettre en lien avec la nouvelle sociocritique.

Après une analyse portant sur CURSUS 3, nous prolongeons notre analyse sur l’échange d’informations à travers un autre logiciel de la clinique, le logiciel HM, en nous interrogeant sur les qualités informationnelles.

HM est un logiciel mis en place depuis 2007 à la clinique la Sagesse de Rennes. Cependant, il a commencé à devenir véritable opérationnel en 2011 dans les services de la clinique. Il assure désormais les prescriptions de soin et ses principaux utilisateurs sont les médecins chirurgiens, les infirmières et Aides-soignants des services de chirurgie (A, B, C). Il est tout à fait important de se demander pourquoi HM était inopérant depuis sa mise en place, et de voir pourquoi il a mis du temps pour être fonctionnel dans la clinique. Selon les personnes que nous avons interrogées, elles ont révélé deux choses :

Premièrement, HM remplace un logiciel ancien nommé ACTIPIDOS qui ne répond plus aux attentes de la clinique sur le plan des soins. Une démarche qui montre qu’il existe une nécessité d’améliorer un système. Et que cette logique d’amélioration repose sur un système déjà existant, et qu’enfin le changement de logiciel pourrait être mal vu par les anciens utilisateurs d’ACTIPIDOS.

Deuxièmement, HM touche un métier qui est très sensible à la clinique qui est le métier de la Chirurgie. Il vient bouleverser les habitudes des chirurgiens qui prescrivaient sur papier. Ainsi à la demande des infirmières, pour des raisons déontologiques, la clinique a décidé de l’élargir aux prescriptions de soins. Nous notons alors dans la phase qui précède l’élargissement, la contradiction entre deux types d’utilisateurs susceptibles de l’utiliser. Nous notons encore un autre acteur à part qui est la direction, qui représente la tutelle et qui décide et départage les deux types de professionnels de santé. Au final, l’outil a été mis en place malgré l’opposition des chirurgiens.

Ainsi donc, si nous poursuivons notre raisonnement sur la phase de mise en place de l’outil, il résulte de ce climat de contradiction entre acteurs professionnels, une solution apportée par la direction qui au final décide d’élargir HM aux prescriptions de soins. Alors, nous suivons la logique de la sociologie critique classique, la décision de la direction pourrait être assimilée à une domination car les médecins chirurgiens n’étaient pas d’accord. Or, aujourd’hui, après un an d’utilisation voilà ce que nous révèle le terrain. (Propos donnés par une aide-soignante) :

« On a un seul outil. C’est qu’on a tout. Quand on est dans la chambre, ma collègue infirmière qui est avec moi va voir les médicaments, Moi l’aide soignant j’ai les soins à faire donc tout y est on a tout sur un seul poste je dirai sur le patient je n’ai pas trop d’outils quoi. Moi je trouve tout dans le même endroit. Pour l’information : je ne vais pas aller dans une recherche dans un autre cahier un classeur, ou un autre lieu, j’ai tout. Pour le patient je vais tout avoir Et je peux tout avoir et je peux tout trouver le passé du patient si je vais rechercher sur deux jours avant, trois jours avant et je n’étais pas là, je trouve tout et c’est vraiment c’est des choses que j’apprécie au moins c’est une qualité ».

Ainsi nous avons préféré mettre en exergue les propos de l’aide soignante pour tenter de répondre à la question posée précédemment, qui est si l’organisation était un champ spécifique. Nous pensons que le choix dans ce travail de proposer le témoignage de l’aide- soignant n’est pas fortuit, En effet dans les services chirurgicaux nous distinguons tel que le nomme Bourdieu trois « champs » qui doivent collaborer pour réaliser un travail optimal. Or tel que nous l’avons souligné plus haut, ces différents « Champs » étaient en opposition en ce qui concerne l’implantation de l’outil. Suite à une prise de décision émanant d’un autre « champ », une solution a été trouvée et celle-ci semble être favorable aussi bien dans les « champs » (infirmières et aides-soignantes), que dans le « champ » des médecins qui étaient contre l’idée du changement. Ainsi cette situation vient soutenir notre postulat selon lequel : l’approche critique devrait réfléchir sur d’autres catégories que celle « de domination positive » ou de « pouvoir positif ». Partant de notre terrain, nous pensons que même s’il y’a un pouvoir de la tutelle sur les médecins chirurgiens, l’opérabilité de l’outil dans l’outil reste quand même très appréciée au sein des pratiques. Et cette situation installe, selon nous, un climat de confiance entre les professionnels de santé.

C’est dans cette perspective que nous pouvons assimiler notre positionnement théorique à celui de la nouvelle sociologie critique qu’incarne, Pierre Bourdieu, car nous pensons comme lui que :

« Les champs apparaissent ainsi comme des lieux de concurrence et de lutte, habités par des dominants et des dominés. Chaque champ est « l’institutionnalisation d’un point de vue dans les choses et dans les habitus » (1997, p.144)

« L’habitus est le « générateur », « l’organisateur » des pratiques et des représentations des individus. Il est intimement lié au champ et intervient de manière récurrente dans les pratiques des agents qu’il façonne » (Bourdieu 2006, p19).

Mais toutefois, nous repensons Bourdieu, en redéfinissant le mot domination et en l’attribuant une nouvelle signification plus appropriée qui serait peut-être la notion de « participation » qui évoque une démarche plus inclusive. En ce sens nous pensons que la nouvelle sociologie critique qui fonde sur des concepts tels que le concept d’émancipation, reste très proche de notre conception.

Notre but est de donner du sens aux interactions, dans une démarche d’émancipation :

« Le clivage de posture entre la « sociologie critique » et la « nouvelle sociologie » peut encore résider. Au fond, que le chercheur se positionne comme un porte parole qui cherche à convaincre les subalternes à percevoir leur situation comme une question d’injustice sociale ou qu’ils se considèrent comme des professionnels à même de déceler ce qui est caché et ce qui écrase les individus dans une posture de dévoilement, l’enjeu reste d’offrir des ressources à la contestation sociale. Pour cela, il faut continuer à mettre au jour le contenu émancipatoire des potentialités étouffées contenues dans les pratiques sociales. C’est peut être ainsi que l’utilité sociale de ce champ d’étude pourrait être posée : non pour répondre à des demandes sociales provenant d’organisations déjà puissantes et oppressives, mais plutôt pour définir les situations problématiques en termes d’intercommunication sociale lorsqu’elle est enrayés ou bloqués. La critique des communications et des organisations peut passer certes par la mise au jour des dispositifs aliénants, déréalisant, ou mortifère. Plus positivement, elle peut aussi s’acquitter de la tâche de mettre en lumière les règles qui limitent l’acceptabilité des revendications et de leur expression » (Huët, 2012, p.16)

Nous pensons qu’avec la nouvelle sociologie critique, nous ne pouvons plus parler de clivage entre les autres paradigmes en communication notamment avec le paradigme socio- constructiviste.

Notre étude sur les technologies de la santé, est l’occasion éclairer sur l’utilité des technologies dans la circulation des informations pour les professionnels, qui reçoivent des informations sans se déplacer et travaillent en harmonie entre eux. En se référant des éléments de notre terrain, nous avons proposé de l’idée de « domination » et de « pouvoir », telle que proposée par certains (Foucault 1977, Boltanski et Chiapello et autres).

C’est ainsi, nous pensons que même les technologies incarnent une logique de pouvoir, l’intérêt que les utilisateurs leur doivent permettre de relativiser cette notion de pouvoir excessif qu’elles sont censées. Contenir en elles.

Le partage d’information, l’échange d’information, nous nous conduisent à présent vers le concept de rationalisation pour penser la coordination.