• Aucun résultat trouvé

Chapitre IV : référentiels, des outils institutionnels

4.5 Usage des référentiels

Si les référentiels, dans la diversité de leurs formes et de leurs objets, posent de nombreuses questions de conception, ce qui guide souvent les concepteurs, c’est l’usage qu’ils imaginent pour ce document. Nous allons donc détailler ici les différents usages, en lien avec chaque catégorie de référentiel.

En effet, depuis les travaux coordonnés par Maillard en ce qui concerne les référentiels des diplômes professionnels de l’éducation nationale, on connaît l’influence réciproque de la « norme et de l’usage » (2001, 2005, 2008, op. cit.) dans ce domaine.

Dans le secteur de la formation, le premier usage d’un référentiel de diplôme est informatif. C’est un des enjeux qui a conduit à la création d’un répertoire (RNCP) afin d’offrir aux candidats potentiels une vision d’ensemble d’un paysage complexe. Chaque certificateur informe, à travers les référentiels de ses diplômes, les différents acteurs concernés, de la cible professionnelle visée, des contenus certifiés, du niveau de la certification (sauf pour les CQP qui ne sont pas classés par niveau). On peut remarquer cependant que la complexité de certains référentiels ne favorise pas cette fonction, c’est d’ailleurs pourquoi de nombreux outils d’information et d’orientation, plus simples, sont produits à cet usage.

L’autre usage majeur que joue le référentiel est prescripteur. Destinée aux enseignants et formateurs, aux jurys, aux élèves, aux tuteurs de stages, aux maîtres d’apprentissage, cette fonction porte sur les savoirs généraux et professionnels dont la maîtrise est certifiée par la possession du diplôme. Cette question se pose différemment pour les titres AFPA, qui ne visent que des compétences professionnelles ou pour les diplômes de la santé dont le degré de prescription est plus important et détaille le processus de formation.

Pour autant, quel que soit le degré de précision du référentiel, celui-ci ne peut être vu que comme un artefact dont l’appropriation instrumentale (Rabardel, 2005, op. cit.) par les professionnels en charge de sa mise en œuvre laisse supposer un écart. Et, en effet, tout autant que dans la phase de fabrication, les conceptions divergentes sont à l’œuvre dans l’appropriation et la mise en œuvre du référentiel. Mayen indique, par exemple, comme l’appropriation d’un référentiel par une équipe

pédagogique est un processus long (Mayen, Métral, & Tourmen, 2010, op. cit.). Prot montre, quant à lui, que le référentiel est un support pour les débats entre membres de jury (Prot, 2003b, op. cit. ; Prot, & Henry, 2005).

Ainsi donc, les référentiels font l’objet de reconception à tous les échelons de sa mise en œuvre. Au niveau du certificateur, l’écriture de la fiche du RNCP est, par exemple, une phase où le cadre de la fiche du répertoire oblige à faire évoluer le référentiel. Au niveau de la mise en œuvre pédagogique, le travail des équipes pédagogiques, en vue de construire le référentiel de formation (ou équivalent), s’appuie sur le référentiel, mais de nombreux autres outils sont construits (préconisations pédagogiques, grilles d’évaluation, etc.) qui, parfois, se substituent au référentiel « officiel ».

On remarque que les référentiels des diplômes connaissent parfois des difficultés de diffusion auprès des utilisateurs finaux que sont les enseignants et les élèves. Ainsi, certains enseignants confessent ne pas consulter le référentiel du diplôme dont ils ont la charge. Cette difficulté peut avoir deux origines : soit le référentiel est, dans sa forme, peu utilisable, car trop complexe, trop exhaustif… trop abstrait, cette abstraction étant, par ailleurs, jugée nécessaire (Maillard, 2003 ; Clot, Prot, & Werthe, 2002), soit le référentiel est jugé, en particulier dans sa partie descriptive initiale, inauthentique, trop artificiel, trop déconnecté du réel des activités professionnelles des métiers visés pour être utile.

Dans le domaine du management, les référentiels servent essentiellement à l’évaluation. Les managers outillent les entretiens individuels annuels ou les entretiens d’embauche avec des référentiels de compétences. L’enjeu est alors de mesurer l’écart, entre ce qui est indiqué dans le référentiel, et ce que l’on peut mesurer de la « valeur » professionnelle de l’agent. Le référentiel sera d’autant plus utile au manager qu’il formera un tout cohérent avec sa manière de comprendre le travail. Si, par exemple, le manager réduit le travail à la réalisation des tâches effectives de l’agent, un référentiel trop axé sur les compétences risque de « l’encombrer ».

Le référentiel, construit social qui tente de rendre compte d’une réalité dynamique, connaît, dans ses usages, des appropriations parfois transformatrices par les différents acteurs concernés. Pourtant, si ces usages amènent des écarts à la prescription qu’il contient, le référentiel joue un rôle important pour permettre aux

enseignants ou formateurs, aux jurys, aux apprenants, de disposer d’une norme, quitte à la transgresser (Le Blanc, 2004).

* *

*

S’intéresser aux référentiels conduit à découvrir, peu à peu, des enjeux qui constituent une sorte de stratification. Ce qu’offre en premier l’étude des référentiels au regard, est de l’ordre de la technique, de la méthodologie. Pour outiller efficacement une formation professionnelle ou une politique managériale, il convient de concevoir des outils prenant une forme adaptée. Cette question est déjà complexe, mais elle en cache une autre encore plus difficile. Celle-ci pourrait se formuler comme « le rapport du référentiel avec le travail ». On a pu voir que ce rapport n’est jamais direct et que des choix politiques autant que techniques définissent ce rapport. Cette dimension politique constitue d’ailleurs la troisième strate de l’étude des référentiels. Selon sa stratégie de développement, un certificateur ne concevra pas des référentiels identiques. Le référentiel est bien un outil politique pour le certificateur, comme il peut constituer un levier identitaire pour une profession ou une branche professionnelle.

L’étude de ces documents conduit ensuite à questionner le référentiel, non plus par rapport à ses enjeux sociaux, mais comme objet scientifique. Quelles positions prennent les différentes approches d’analyse du travail vis à vis de ces instruments ? Comment approcher le réel de l’activité dans toutes ses dimensions, le transcrire dans un référentiel et, dans cette phase de généralisation, conserver pour autant une part de sa singularité dynamique ?

Cette quête, quasi paradoxale, sera présentée dans la suite de ce travail. Elle repose sur une méthodologie développementale dont nous avons présenté les grandes caractéristiques et dont la principale, celle de tenter de mobiliser l’activité afin d’en saisir des traits caractéristiques, devient aussi le moyen de construire des référentiels dynamiques et un objet scientifique propre.

Partie 2 : terrains, analyse et premiers