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Chapitre IV : référentiels, des outils institutionnels

4.3 Méthodes de conception de référentiels : quelques exemples chez les

A l’éducation nationale, premier ministère certificateur à avoir adopté une conception de ses diplômes par référentiels, un diplôme professionnel (du niveau V au niveau III) est construit par un système emboîté comprenant : un référentiel d’activités professionnelles (RAP) qui « décrit les activités et les tâches que sera appelé à exercer le titulaire du diplôme » (Guide d’élaboration des diplômes professionnels, 2004, p.9), puis un référentiel de certification qui liste « les compétences professionnelles et les savoirs qui y sont associés » (ibid., p.17), complété d’un règlement d’examen, à statut hybride puisqu’à caractère réglementaire82, mais ne faisant pas partie du référentiel. Si cette méthodologie ne prévoit pas la structuration d’un référentiel de formation, elle fournit cependant des « éléments relatifs à l’organisation de la formation », en particulier les grilles horaires disciplinaires, pour les BTS (Huchette, 2011, op. cit.) et des éléments de cadrage de la période de formation en milieu professionnel.

Les différentes parties du référentiel de diplômes sont construites dans des groupes de travail missionnés, dès lors qu’un diplôme doit être créé ou rénové, par l’une des quatorze commissions professionnelles consultatives (CPC) relatives chacune à un secteur professionnel. Ces groupes sont pilotés par un « chef de projet » qui appartient au corps d’inspection (inspecteur général de l’éducation nationale ou inspecteur territorial). Il comprend le responsable de la CPC, qui appartient à la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) et a la charge de coordonner, en lien avec le chef de projet, l’avancement des travaux. Dans ces groupes de travail paritaires, des professionnels des secteurs concernés sont associés (Caillaud, Labruyère, Labarrade, Guarrigues, Gosseaume, Grumeau, & al., 2011), ainsi que des enseignants spécialistes. Dans certains secteurs, la composition du groupe reste stable pendant tout le processus de construction du référentiel du diplôme. Dans d’autres secteurs, les professionnels ne sont associés qu’à la rédaction du référentiel d’activités professionnelles (ibid.). La diversité des

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C’est-à-dire annexé à l’arrêté de création de la spécialité de diplôme et publié au bulletin officiel de l’éducation nationale.

pratiques renvoie à la pluralité des acteurs, ainsi qu’au « guide méthodologique, en fait très peu prescripteur » (Maillard, 2003, p. 67, op. cit.).

Le référentiel d’activités professionnelles cherche donc à décrire les activités et les tâches que sera appelé à exercer le titulaire du diplôme. Le guide d’élaboration des diplômes professionnels précise que « le RAP s’appuie sur une analyse des situations de travail correspondant à la cible du diplôme. Cette analyse peut83 résulter d’enquêtes de terrain, de consultation de salariés et de leur encadrement, d’études, de documents… » (p. 9). Cette formule témoigne de la difficulté et de l’embarras du prescripteur. Elle explique, en partie, la dimension « peu prescriptive » rappelée par Maillard, de ce guide.

Sur la base de cette description, plus ou moins inspirée par la taxonomie de Bloom84, avec une volonté de standardisation, les concepteurs construisent ensuite un référentiel de certification qui décrit donc les compétences, dont la possession est attestée par le diplôme, ainsi que des savoirs associés dont le guide témoigne du statut ambigu85. Dans le texte de 2003 déjà cité, Maillard indique que « Le RAP sert de fondation au référentiel de certification. Cette dépendance de la structure du diplôme à l’égard des activités professionnelles est quelquefois interprétée comme une mise sous tutelle productiviste du diplôme. […] Mais cette lecture des liens entre les deux référentiels s’accommode mal de la construction réelle des diplômes, qui procède par échanges, débats, itérations » (p. 66).

Les diplômes délivrés sous l’autorité de l’enseignement supérieur couvrent les niveaux III à I. Ils comprennent les BTS (qui sont cependant construits au niveau de la DGESCO avec la méthodologie des diplômes professionnels de l’éducation nationale), les diplômes universitaires technologiques (DUT), ceux d’ingénieurs ainsi que les licences, masters et doctorats. Les licences peuvent être générales ou

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C’est nous qui soulignons.

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La taxonomie de Bloom est un modèle pédagogique proposant une classification des niveaux d'acquisition des connaissances. Elle organise l'information de façon hiérarchique, de la simple restitution de faits jusqu'à la manipulation complexe des concepts, qui est souvent mise en œuvre par les facultés cognitives dites supérieures. L'usage de taxonomies se retrouve entre autres dans la pédagogie par objectifs. Elle comprend six niveaux, chaque niveau supérieur englobant les niveaux précédents : Connaissance, Compréhension, Application, Analyse, Synthèse, Évaluation.

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Le guide, en page 24, précise que « Bien qu’il ne s’agisse pas d’un programme de formation puisque tous les diplômes sont accessibles par différentes voies (apprentissage, formation continue, VAE), les savoirs décrits dans le référentiel constituent la base à partir de laquelle les formateurs définirons leurs progressions pédagogiques ».

professionnelles. Les masters sont soit « recherche », soit « professionnels ». Contrairement aux diplômes décrits précédemment, sous l’autorité académique des recteurs, les DUT comme les licences, masters et doctorats sont délivrés au niveau de chaque université. C’est d’ailleurs pourquoi le rapport 2010 de la commission nationale des certifications professionnelles mentionne, que sur les 6037 fiches inscrites de droit au répertoire national des certifications professionnelles, 4187 relèvent de l’enseignement supérieur. Si plus des deux tiers des certifications professionnelles inscrites de droit à ce répertoire sont des diplômes de l’enseignement supérieur, c’est aussi parce que deux diplômes, visant des cibles professionnelles proches et avec des contenus proches, doivent cependant apparaître comme deux certifications distinctes au niveau du répertoire, car relevant de deux autorités de délivrance différentes.

Pour autant, malgré l’autonomie des universités qui se renforce, la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) conduit une politique d’harmonisation et de pilotage. Concernant les DUT, des « programmes pédagogiques nationaux » sont édités. Ils précisent les contenus et le déroulement des études qui est semestrialisé et s’intègre désormais dans le dispositif d’attribution des crédits européens ou E.C.T.S86 (European Credit Transfert System). Cette délivrance de crédits en DUT vise, en particulier, à permettre aux étudiants une poursuite d’études en troisième année de licence.

Les licences et masters professionnels sont construits sur la base de maquettes nationales qui sont ensuite déclinées localement. L’action d’harmonisation de la DGESIP se concrétise par l’habilitation quadriennale de ces formations dont les maquettes sont soumises à l’avis du CNESER. Désormais organisés en semestres, ces diplômes reposent sur une description de la formation, assimilable à un référentiel de formation, qui prévoit en particulier les unités d’enseignement, auxquelles sont attachées l’attribution de crédits européens, ainsi que les modalités

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Chaque semestre d'études est affecté de 30 crédits ou E.C.T.S. (European Credit Transfert System), communs à de nombreux pays européens : en licence, 6 semestres validés soit au total 180 crédits ; en master 4 semestres validés soit au total 300 crédits. Chaque enseignement du semestre reçoit un nombre de crédits proportionnel au temps que l'étudiant doit y consacrer et qui inclut le travail personnel. Dans le cadre de leur contrat pédagogique, les étudiants peuvent acquérir des crédits dans des établissements d'enseignement supérieur à l'étranger. Les crédits sont également transférables d'un parcours à l'autre (sous réserve d'acceptation de l'équipe pédagogique).

de stage. L’ensemble de l’organisation de la formation, comme de l’évaluation, relève d’une compétence locale, sous contrôle national.

Par exemple, l’article 6 de l’arrêté du 25 avril 2002 relatif au master dispose que : « La formation dispensée comprend des enseignements théoriques, méthodologiques et appliqués et, lorsqu'elle l'exige, un ou plusieurs stages. Elle comprend également une initiation à la recherche et, notamment, la rédaction d'un mémoire ou d'autres travaux d'études personnels. L'organisation de la formation ainsi que les modalités de contrôle des connaissances et des aptitudes figurent dans la demande d'habilitation ».

Le lien avec le milieu professionnel, tel qu’il est organisé dans les CPC, n’existe pas pour ces diplômes de l’enseignement supérieur. Le CNESER, pour des raisons de composition, mais aussi de charge de travail lors des campagnes d’habilitation, ne peut jouer ce rôle. Ainsi, le travail de mise en cohérence du diplôme, y compris dans son appellation « professionnelle », avec le milieu de travail auquel il est destiné, ne peut se faire que localement. De nombreuses équipes pédagogiques tissent des liens avec les entreprises, les commissions paritaires nationales emploi formation (CPNEF) des branches et leurs observatoires régionaux. Les stages des étudiants sont aussi de bonnes occasions de nouer des contacts. Cependant, il n’existe pas de référentiel à vocation nationale visant à décrire la cible professionnelle de telle ou telle spécialité de diplôme.

Le seul « exercice » se rapprochant de cette description est la rédaction de la fiche du répertoire national des certifications professionnelles qui, comme nous l’avons déjà décrit, impose une forme de référentialisation des dispositifs de formation. Si nous qualifions ce terme « d’exercice », c’est que son côté formel n’échappe à personne. Si les responsables des équipes pédagogiques qui sont chargés de cette rédaction, plus ou moins armés au plan méthodologique, tentent de trouver du sens au document, l’absence de dialogue social préalable, ne permet pas d’indiquer que cette fiche est, pleinement, un référentiel, produit d’un compromis social.

Au ministère chargé de la jeunesse et des sports, qui conçoit et délivre les diplômes de l’encadrement du sport et de l’animation (du niveau IV au niveau I), une réforme complète, au tournant des années 2000, a visé, précisément, à référentialiser les certifications. En effet, jusqu’à une période récente, les diplômes

(brevets d’Etat d’éducateurs sportifs pour le sport et brevet d’Etat d’animateur technicien d’éducation populaire pour l’animation) étaient construits sous la forme de programmes de formation et parfois même, dans le champ sportif, sous la forme d’épreuves d’examen, le contenu de formation étant à déduire des attendus des épreuves.

Nous ne pouvons ici décrire l’ensemble des raisons qui ont poussé ce certificateur à transformer radicalement son dispositif de formation et de certification. Retenons simplement une volonté « d’entrer de plain-pied dans la formation professionnelle » (Savy, 2006, op. cit.). La création d’une CPC en 1999, puis la conception d’une méthodologie spécifique au champ a permis de concevoir des diplômes professionnels de niveaux IV (BPJEPS), III (DEJEPS) et II (DESJEPS) qui comprennent un référentiel en deux parties : un référentiel professionnel qui comporte une présentation du secteur professionnel, un descriptif du métier et une fiche descriptive des activités, puis un référentiel de certification qui présente, sous forme de liste, les objectifs terminaux et intermédiaires des unités capitalisables constitutives du diplôme. A ce niveau, il n’est fait référence à aucun savoir associé.

Dans cette méthodologie, le référentiel de formation est exclu et renvoyé à la responsabilité des équipes pédagogiques. De même, l’organisation des épreuves d’évaluation certificatives n’est pas prévue dans le texte.

Concernant la conception du référentiel professionnel, il est précédé, comme pour les diplômes de l’éducation nationale, d’une étude ou d’une analyse des situations professionnelles visées par le diplôme. Cependant, aucune doctrine n’est clairement définie dans ce domaine et les exigences sont variables d’un secteur à l’autre.

Cette méthodologie inspirée du système des unités capitalisables développé au ministère de l’agriculture87, a été adaptée au champ. Elle a inspiré et servi de base à la conception des certificats de qualification professionnelle délivrés par la branche du sport.

Au ministère de la Santé, dernier exemple présenté ici, la situation est

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Le pilotage de cette « rénovation » a été l’œuvre d’un ancien responsable de la direction générale de l’enseignement rurale (DGER) recruté en 1997 par le ministère de la Jeunesse et des sports pour cette mission.

particulièrement complexe puisque les diplômes de ce champ sont, initialement, ancrés dans une tradition de « programme de formation », avec des concours d’entrée, une organisation stricte des cursus, des stages, des examens. Cependant, deux mouvements en partie contradictoires semblent impacter aujourd’hui ces certifications médicales et paramédicales. Le premier phénomène est l’intégration de ces formations au système universitaire LMD avec, en particulier, la création d’une première année de licence, intitulée « santé ». Le point central de cette réforme est la réunion des quatre filières médecine, pharmacie, dentaire et sage-femme en première année, avec un programme entièrement commun pour le premier semestre, puis l’ajout de modules spécifiques propres à chaque filière au deuxième semestre. Dans ce schéma, les étudiants peuvent présenter un ou plusieurs concours s’ils le souhaitent, mais seules deux inscriptions en première année de licence « santé » sont possibles. Les masseurs-kinésithérapeutes et ergothérapeutes sont également intégrés à ce dispositif.

Cette réforme renforce, au niveau méthodologique, la place centrale des programmes de formation et, en particulier, la description des savoirs formels dont la maîtrise doit être certifiée.

A l’opposé de ce premier principe, les diverses réformes de la formation professionnelle, la création du répertoire national de la certification professionnelle, mais aussi les politiques européennes, poussent les concepteurs de diplômes de ce secteur à orienter leur travail vers des diplômes plus professionnels, construits sous forme de référentiels descriptifs des métiers visés.

A ce jour, il est difficile de mesurer quels choix méthodologiques sont retenus, car des indices contradictoires induisent des lectures contrastées. Par exemple, le diplôme d’Etat d’infirmier a été profondément rénové par l’arrêté du 31 juillet 2009. Cette réforme a conduit les concepteurs à rédiger un véritable référentiel descriptif, intitulé « référentiel d’activités » puis un « référentiel de compétences » qui comprend une déclinaison sous forme de liste de chaque compétence, puis des critères d’évaluation et des indicateurs. Est enfin présenté un référentiel de formation dont nous avons déjà signalé l’extrême détail.

Ce lourd travail d’ingénierie, réalisé pour le métier d’infirmier, se répète pour les masseurs-kinésithérapeutes actuellement. On peut y voir une volonté de moderniser les diplômes et, dans un même mouvement, de préciser sa

« professionnalité ». Dans un même temps, on peut cependant constater que ces diplômes ne sont pas accessibles par la VAE. Considérée comme une profession réglementée par la directive numéro 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, ces diplômes requièrent une formation obligatoire.

Une profession réglementée est un métier que l’on ne peut exercer sans posséder un diplôme ad hoc. Ce classement particulier est motivé par des raisons de sécurité, qui permettent d’ailleurs à chaque pays d’Europe de faire jouer le principe de subsidiarité, c’est-à-dire de conservation du pouvoir décisionnaire dans un domaine souverain. La sécurité reste de la compétence de chaque pays.

On ne portera aucun jugement sur le fond, mais il est important de constater que d’autres professions réglementées, comme celles de l’encadrement sportif, n’ont pas, en France, choisi de s’abriter derrière cette directive et mettent en place, aujourd’hui, des accès à leurs diplômes par la VAE (Bouvard, 2008, op. cit.). Ainsi, le champ de la santé reste sur une position plus défensive dans ce domaine.