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Référentialisation du métier de masseur-kinésithérapeute : histoire et aléas

Partie 1 : Conditions d’intervention et cadre de recherche21

1.6 Référentialisation du métier de masseur-kinésithérapeute : histoire et aléas

Quand on s’intéresse à la profession de masseur-kinésithérapeute et dans un même temps, à la question des référentiels, la première démarche consiste à chercher, par plusieurs voies (ouvrages de référence, littérature grise, entretien avec des professionnels experts du secteur, etc.), LE référentiel du métier de masseur-kinésithérapeute. A notre grande surprise, nous avons obtenu très vite, de très nombreux référentiels de « ce qu’est le métier ». Plusieurs caractéristiques, cependant, réunissaient la plupart d’entre eux. Emanant de divers organismes (instituts de formation, syndicats professionnels, groupes divers), chacun de ces référentiels prétendait à une authenticité déniée aux autres et donc postulait à être la « référence » à laquelle chaque professionnel devait se rallier.

Notre propos n’est évidemment pas ici de prendre position dans les très nombreux débats internes qui animent cette profession. Nous pouvons, en revanche, émettre une hypothèse de bon sens. La multiplication des références diminue d’autant le rôle respectif de chacun des référentiels produits. On peut même dire que la plupart de ces référentiels ne font pas référence, au-delà du cercle de leurs concepteurs. En complément, on peut aussi postuler que cette inflation de référentiels est un indicateur d’une forme d’émiettement de la profession, d’un dérèglement du genre professionnel (Clot, & Faïta, 2000) qui ne trouve que trop rarement à s’exprimer et dégénère en conflits interpersonnels stériles (Scheller, 2002).

L’autre caractéristique commune à la plupart de ces référentiels est leur orientation vers les « compétences requises », comme nous avons nommé plus haut les attentes d’un référentiel prescripteur de « bonnes pratiques ». Rares sont les référentiels proposés qui tentent d’intégrer la part de création subjective que l’homme investit dans son travail. C’est le cas des analyses descriptives, produites dans le cadre des travaux coordonnés par Orly, en didactique professionnelle, dont nous évoquons l’importance pour nos propres interventions (Olry, Lang, & Foissart-Monnet, 2005, 2006 ; Olry, 2007).

une recherche de légitimité acquise par une objectivation de son efficacité thérapeutique et un rapprochement au modèle médical. Gaubert (2006), dans sa thèse en sociologie, au titre évocateur « structuration du corps des masseurs-kinésithérapeutes, définition sociale de leur compétence et imposition scolaire de la domination médicale » indique même que, ce qui définit la profession, c’est « le sens des limites », entendu que l’action de ce professionnel s’arrête là, où commence celle du médecin. Ce modèle est aussi celui d’un enseignement très « classique », qui à l’origine associait le mandarinat et l’adoubement. N’est du métier que celui qui est passé par l’épreuve du concours et d’un cursus de formation normé34, dans une institution précise et qui a obtenu le parchemin l’autorisant à exercer. Dubar et Tripier (1998) pourraient, de cette description, tirer la conclusion que cette profession est « constituée ». On comprend bien alors comment elle conçoit le diplôme (d’Etat) comme une continuité de la formation et un « laissez-passer » vers l’exercice professionnel35. Ce modèle est celui qui prévaut à tous les niveaux du « microcosme » de la kinésithérapie, du professionnel en activité en passant par le formateur, de l’étudiant au tuteur de stage, du médecin expert chargé de légitimer les actions de cette profession « paramédicale », au responsable ministériel.

Au niveau institutionnel, le ministère de la Santé, en charge d’organiser les conditions de formation et de certification des professionnels de santé, est partagé entre une tradition « métier », et une volonté de mettre en œuvre une « réforme majeure, afin de valoriser les métiers paramédicaux et de renforcer les nouvelles formes de coopération entre professionnels de santé » (Roselyne Bachelot, 2007, ministre de la Santé). Pour les décideurs, ce qui semble constituer l’axe politique majeur actuel, est la coopération entre les professionnels de santé. On peut, à ce niveau, adopter deux types d’analyses distinctes de cette politique de renforcement des coopérations interprofessionnelles : soit y voir un moyen d’amélioration des soins, en particulier en développant les synergies entre les différents soignants. On peut aussi l’entendre comme un « calcul » strictement gestionnaire dans lequel la

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Le diplôme d’Etat de masseur-kinésithérapeute, comme d’autres diplômes du secteur de la santé, déroge à la règle de l’accessibilité par la voie de la VAE en s’appuyant sur les dispositions de la DIRECTIVE 2005/36/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.

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Cette caractéristique est d’ailleurs renforcée par le fait qu’une partie de la formation des masseurs-kinésithérapeutes est assurée par des professionnels, cadres, qui viennent de manière ponctuelle ou plus régulière, « transmettre » aux futurs collègues, les savoirs du métier.

polyvalence favorise la continuité du service, même quand des postes de soignants sont non pourvus ou supprimés36.

En tout état de cause, cette réforme de la formation et des certifications des professionnels de santé concerne tous les métiers. La mise en place de la VAE, imposée par la loi de modernisation sociale, même si elle ne concerne pas tous les diplômes de santé, a joué un rôle déclencheur de cette réforme, puisque aucun diplôme de ce secteur ne possédait de référentiels d’activités ou de certification, contraires à leur culture, sur lesquels appuyer la démarche. Certains diplômes qui dérogent à la mise en place de la VAE sont, malgré tout, influencés par ce nouveau mode d’accès à la certification, appliqué à d’autres diplômes, au moins, parce que certains des concepteurs ont travaillé sur des diplômes qui intègrent la VAE et également sur certains qui la réfutent. On peut d’ailleurs préciser, qu’avec la promulgation de la loi de 2002, déroger à l’obligation de mise en place de la VAE nécessite de construire une argumentation qui influence, « en creux », la conception de ces diplômes.

Dans le secteur, le diplôme d’Etat d’infirmier est celui qui, au plan méthodologique, fait référence. Sa rénovation – une des premières du champ - s’est achevée récemment et a donné lieu à la publication de l’arrêté du 31 juillet 2009. Ce dernier comporte soixante-neuf articles, en trois titres, traitant respectivement de « l’accès à la formation », des « dispenses de scolarité » et de « formation et certification ». Ses annexes constituent un référentiel particulièrement détaillé, qui comprend un référentiel d’activités (qui précise et développe les neuf activités37 constitutives du métier), un référentiel de compétences (dont les dix compétences ne sont pas toutes en correspondance directe avec une activité). Est ensuite présenté un référentiel de formation de plusieurs dizaines de pages qui traite des horaires, des contenus, des modalités d’évaluation des unités d’enseignement38, des outils de suivis des stages…

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Ce qui est évidemment une question vive alors même que la fonction publique hospitalière, comme les autres fonctions publiques, mène une politique de diminution continue de ses effectifs depuis plusieurs années.

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Qui dans d’autres secteurs seraient qualifiées de fonctions ou de missions selon la position adoptée.

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Chaque compétence s'obtient de façon cumulée : 1° Par la validation de la totalité des unités d'enseignement en relation avec la compétence ; 2° Par l'acquisition de l'ensemble des éléments de la compétence évalués lors des stages ; 3° Par la vali dation des actes, activités et techniques de soins

Le diplôme d’Etat de masseur-kinésithérapeute qui concerne particulièrement les professionnels associés à nos interventions est, lui, en cours de rénovation. Depuis plusieurs années, « des groupes de réingénierie »39 du diplôme sont réunis au ministère de la Santé sans avoir abouti jusqu’à présent. A l’heure actuelle, la description du diplôme et l’exercice de la profession font l’objet d’une série d’arrêtés, dans lesquels ce qui est le plus détaillé concerne les modalités d’accès aux formations, conduisant au diplôme et le déroulement du cursus de formation. D’ailleurs, une analyse comparative des fiches d’inscription au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) des deux diplômes d’Etat40 (infirmier et masseur-kinésithérapeute) permet d’observer une nette différence. Le premier possède une fiche très détaillée dans les rubriques « Résumé du référentiel d'emploi ou éléments de compétence acquis » et « Secteurs d'activité ou types d'emplois accessibles par le détenteur de ce diplôme, ce titre ou ce certificat ». La rubrique « modalités d’accès à la certification » est plus succinctement renseignée. Pour le diplôme de masseur-kinésithérapeute, c’est exactement l’inverse.

Pour ce secteur de la santé, on comprend que malgré une réforme lourde, les diplômes qui sont, ou seront demain la norme dans ce secteur, tentent de concilier deux objectifs quasi contradictoires : se rapprocher du modèle de la compétence en adoptant une méthodologie de certification professionnelle, proche de celle de l’éducation nationale et, dans un même mouvement, conserver pour le ministère un rôle prescripteur très fort sur les conditions d’organisation de la formation, en direction des organismes de formation. C’est pourquoi le référentiel de formation est si détaillé, ainsi que l’organisation des épreuves de sélection dans le corps des arrêtés (pour le diplôme d’Etat d’infirmier en tout cas). On peut aussi ajouter à ces contradictions, la nécessité pour ces diplômes, à se conformer au modèle des diplômes de l’enseignement supérieur, dans le cadre de la mise en place du LMD « santé ». Ceci explique, par exemple, la juxtaposition des processus de formation et d’évaluation, dans des parties communes du référentiel de formation.

évalués soit en stage, soit en institut de formation.

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L’utilisation par le ministère de la Santé du terme de réingénierie est significatif d’une volonté de débattre des « techniques » de formation et de pédagogie et non de métier et encore moins de qualification (et donc de classification en particulier dans la fonction publique hospitalière).

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Inscrit de droit, et dont la fiche est rédigée directement par le certificateur, ainsi que la mise en ligne sur le site du répertoire, grâce à des codes d’accès distribués aux différents certificateurs « de droit ».

On peut dire que majoritairement, la rupture formation/certification, formellement acquise dans ce secteur, reste conceptuellement difficile à admettre et encore plus difficile à considérer comme une occasion de repenser la formation au regard des évolutions majeures des métiers de santé. Cette difficulté s’observe dans le refus d’envisager la certification de certains de ces diplômes par la voie de la VAE. Ceci illustre le rôle « politique » que peuvent jouer le diplôme et son référentiel. En effet, le diplôme n’est pas qu’un outil technique, en rapport à la formation. C’est aussi un instrument stratégique qui catalyse de nombreuses questions, celles des rapports aux savoirs, du positionnement du métier face aux autres professions proches. Le diplôme joue aussi un rôle identitaire pour ses titulaires. Du côté de l’insertion, le diplôme et sa forme, anticipent les besoins du marché du travail et ses évolutions. Le fait, par exemple, d’être une profession réglementée, fait des masseurs-kinésithérapeutes une catégorie « protégée » où le rapport entre le nombre de diplômes délivrés, sésame à l’exercice professionnel, et les besoins, est tranché en amont, comme pour la plupart des professions de santé, plutôt que géré par le marché, en aval.

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Après ce bref tour d’horizon historique, règlementaire, conceptuel concernant la notion de référentiel, qui a permis d’en découvrir la relative jeunesse, mais aussi la polysémie, ainsi que la variété de ses usages sociaux, nous voudrions maintenant aborder les référentiels du point de vue de la question théorique, que pose leur conception.

Différentes approches en analyse du travail, tentent de concevoir des référentiels, ou de rendre intelligibles les processus de normalisation de l’activité. Nous proposons donc, de réaliser un inventaire de quelques unes des plus marquantes, afin d’en mettre au jour les principaux atouts. Ce sera aussi l’occasion, de montrer les convergences et divergences théoriques ou pratiques, qu’elles entretiennent entre elles. Cela permettra aussi de situer nos choix, dans le paysage scientifique de la question.

Chapitre II : analyser le travail pour construire un