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Chapitre IV : référentiels, des outils institutionnels

4.2 Référentiel comme outil d’une société du management

« Comment décrire, analyser et hiérarchiser l’activité de travail ? Comment apprécier la contribution des hommes à l’activité des organisations dans lesquelles ils travaillent ? » (Brochier, 2008, p. 297). C’est pour apporter des réponses à ces questions que les acteurs du management, comme ceux de la gestion des ressources humaines (Ughetto, 2007, op. cit.) se sont emparés du référentiel. Leurs visées sont, pour certaines, convergentes avec celles exposées ci-dessus pour le secteur de l’enseignement et de la formation professionnels ; d’autres sont plus spécifiques comme par exemple la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Il ne s’agit pas ici d’exposer l’ensemble des usages que ces milieux font des référentiels puisque le sujet nous est, en partie, étranger. Nous cherchons plutôt à repérer quelles sont les questions posées par ces usages dont on peut gager qu’elles sont, en partie, transférables au domaine qui nous occupe.

Dans l’entreprise, la notion de compétence n’a émergé que dans les années quatre vingt80 en réponse aux questions évoquées ci-dessus et à l’accélération des évolutions technologiques (automatisation) et socio-économiques (mondialisation, tertiairisation, etc.). Cette introduction, « en opposition, voire en rupture avec la qualification » (Brochier, 2008, op. cit.) s’accompagne « du recours à un ensemble de procédures et d’outils susceptibles de rentrer dans ce cadre : utilisation de référentiels de compétences, pratique d’évaluation individuelle des salariés, liens établis entre évaluation et promotion ou formation, dépenses de formation élevées » (Monchatre, 2008, p.303). Pourtant, Monchatre précise que « la gestion des compétences semble davantage relever du discours que des pratiques » […] « les entreprises gèrent quotidiennement les compétences de leurs salariés et ceci sans nécessairement le traduire dans des outils ou dispositifs spécifiques » (ibid.). En fait, l’entreprise intègre le management des compétences dans son organisation, « sans réformes spectaculaires de l’organisation du travail » (ibid., p.305), de manière discrète pourrait-on dire.

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On peut noter au passage la concordance temporelle entre émergence de la notion de compétence dans le monde du travail et usage des référentiels pour décrire les diplômes professionnels au ministère de l’Education nationale.

Même discret, ce type de management a cependant un effet majeur, puisqu’il « consiste à demander davantage de polyvalence aux salariés » […] « se créent ainsi les conditions d’une prescription des comportements davantage que des tâches » (ibid.).

Parmi les outils du management des compétences, les référentiels de compétences sont les plus en vogue. Souvent élaborés avec l’aide de consultants, ces référentiels visent à désigner les compétences requises par chaque emploi, afin de recruter, former, affecter et évaluer au mieux les personnels (Jouvenot, & Parlier, 2005). On peut d’ailleurs noter la proximité de certains objectifs « adéquationnistes » avec ceux défendus par la psychotechnique, cinquante ans avant (Huteau, 1999, op. cit.). Le management par la compétence et la conception de référentiels de compétences sont un même mouvement conceptuel, mais dont la mise en œuvre se heurte à de nombreuses difficultés. Par exemple, « comment écrire à la fois sur le travail et sur les compétences individuelles ? L’idée, que la notion de compétence peut aisément passer du travail à l’individu, est largement admise. Elle conduit à un découpage de la compétence en trois dimensions (savoirs, savoir-faire et "savoir-être") » (Cadet, & Combes, 2008, pp. 310-311). Ces auteurs pointent ensuite trois difficultés pour toute rédaction d’un référentiel de compétences.

La première consiste à rendre compte, dans le référentiel, de ce qu’est un « savoir-être ». Pour le décrire, « on en vient vite à dérouler des qualités générales, particulièrement difficiles à qualifier et à évaluer, voire des qualités morales » (ibid.). A un certain degré de généralité, ces compétences comportementales, « sorte d’amalgame syncrétique entre vie privée et vie professionnelle » (Clot, 2010, p.144) peuvent devenir l’enjeu d’une forme de théâtralisation des comportements professionnels où se « surjoue » l’implication, la volonté de coopération, etc. La deuxième difficulté, déjà évoquée pour ce qui concerne les référentiels de diplômes, est la référence au travail réel. Selon ces auteurs, « le travail "réel" est par définition impossible à faire figurer de manière exhaustive dans un référentiel » (Cadet, & Combes, 2008, op. cit.). Ainsi, se pose la question du degré de détails avec lequel on rend compte de la représentation de ce travail. Ce que les concepteurs de référentiels nomment « la maille » avec laquelle ils vont décrire ce réel, pose toujours question. Trop de détails rendent le résultat inutilisable, car trop complexe, mais « monter » en généralité a aussi des limites, en particulier celle de construire une

référence « passe-partout » qui n’a plus d’authenticité ni d’efficacité dans aucune situation. La troisième difficulté évoquée dans le même article porte sur les usages divergents que les manageurs opérationnels et les gestionnaires de ressources humaines peuvent faire de ces référentiels. On se retrouve ici devant le dilemme assez classique d’une vision à double face de la compétence : quelle compétence décrire dans les référentiels ? La compétence requise par le poste (qui importe au manager opérationnel) ou la compétence acquise (qui intéresse les services des ressources humaines) ? Dans ce panorama, non exhaustif, des difficultés, on peut aussi pointer la question de la dimension collective de la compétence au travail. S’il est avéré que nous ne travaillons pas seuls et que la réussite pour affronter les obstacles du travail réel passe par des ressources sociales, les référentiels de diplômes, comme de compétences en entreprise, peinent à en rendre compte, sans doute parce que ce constat est parfaitement orthogonal avec l’objet même de ces référentiels : distinguer les individus81.

L’usage des référentiels que fait l’entreprise est en lien direct avec le management des compétences. Selon la définition qu’on se fait de la notion de compétence et selon la place que l’on accorde au travail réel dans cette définition, le référentiel sera formalisé de manière sensiblement différente. On peut noter que les questions qui animent les gestionnaires des ressources humaines et les managers opérationnels, en ce qui concerne les référentiels, sont effectivement assez proches de celles posées par les concepteurs de diplômes et que l’on pourrait résumer en une formule : comment décrire l’action de l’homme au travail ?

Voyons maintenant comment, au plan technique, les principaux certificateurs s’acquittent de cette tâche dans la fabrication des référentiels de leurs diplômes.

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Ceci confirme que les référentiels de certification appartiennent plus à la catégorie des référentiels d’évaluation qu’à celle des instruments descriptifs.

4.3 Méthodes de conception de référentiels : quelques