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Chapitre IV : référentiels, des outils institutionnels

4.1 Référentiels et certifications professionnelles

C’est dans les années quatre-vingts que les premiers référentiels sont apparus à l’éducation nationale afin « de mieux articuler les diplômes professionnels à l’exercice des activités de travail » […] « C’est une petite révolution par rapport au mode de fonctionnement antérieur, axé sur les disciplines et les programmes » (Cadet, & Combes, 2008, p.309). Et, en effet, il y a sans doute plus qu’un « ajustement technique », pour adopter un mode de production des diplômes sous la forme de référentiels, pour une institution fondamentalement construite sur la valorisation de savoirs organisés en disciplines. Penser « référentiel », pour les enseignants, les inspecteurs, les différents acteurs de l’enseignement professionnel, c’est accepter l’idée que les savoirs disciplinaires sont plutôt des moyens au service de la construction de la compétence professionnelle73, qu’une fin en soi.

Peut-on pour autant dire que cette révolution a bien eu lieu ? Sur le plan formel, c’est incontestable. Trente ans après, les diplômes professionnels de l’éducation nationale font tous, sans exception, l’objet d’un référentiel d’activités professionnelles et d’un référentiel de certification. Ces référentiels sont construits en rapport avec des professionnels, employeurs et salariés, qui apportent leur vision plus proche du métier exercé et influencent donc la production finale. Même s’ils sont utilisés de manière variable (Maillard, 2001, op. cit.), les référentiels sont aujourd’hui des outils connus des enseignants (Huchette, 2011, op. cit.).

Pourtant, on peut tout de même indiquer que cette « révolution » reste, en partie, à faire. Dans les cursus de formation préparant à ces diplômes (CAP, BEP, Bac Pro), le programme est découpé de manière disciplinaire. Après la construction du référentiel d’un nouveau diplôme, la distribution des horaires hebdomadaires par disciplines, générales d’un côté et professionnelles de l’autre se fait sous l’égide du corps d’inspection74. Les enseignants de lycée professionnel sont recrutés, contrairement à leurs homologues d’autres pays (pour la Suisse, voir Albornoz, &

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Et même de la compétence « non professionnelle » si l’on en croit l’usage qui est aujourd’hui en voie de généralisation dans les différentes filières de l’école, de la maternelle à l’université.

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Les textes des diplômes professionnels de niveaux V et IV de l’éducation nationale prévoient un cadrage global des horaires avec une souplesse dans la mise en œuvre. Pour les BTS, qui relèvent, pour sa mise en œuvre, de la réglementation du ministère de l’Enseignement supérieur, les grilles horaires sont annexées aux référentiels et sont donc fixes.

Dupuis, 2008), sur des profils disciplinaires (anglais, mathématiques), pour ceux qui enseignent une discipline générale, par grand domaine technique pour les autres enseignants (section coiffure, section bâtiments option peinture-revêtement, section vente...). Les occasions les plus propices à l’objectivation des savoirs pour l’élève, la période de formation en milieu professionnel (PFMP), prévue dans tous les diplômes professionnels de l’éducation nationale, sont aussi l'opportunité de dépassement, pour les enseignants, des barrières disciplinaires. Cependant cette occasion de penser le cursus de l’élève avec une orientation professionnelle n’est pas simple et se limite souvent, dans les faits, à organiser les conditions d’une évaluation objective du rapport de stage (Huchette, 2011, op. cit.). Les enseignements interdisciplinaires sont aussi l’occasion de dépasser ces barrières disciplinaires (par exemple le traitement des sciences appliquées lors de l’enseignement pratique en formation de cuisine ; l’éducation à la santé des élèves en formation bâtiment par un projet associant enseignements professionnels et celui de l’éducation physique et sportive ; l’éducation civique, juridique et sociale encadrée par des enseignements d’histoire-géographie et de droit en baccalauréat professionnel secrétariat).

Si le mode de construction des diplômes professionnels en référentiels se généralise progressivement, comme se généralise dans le même temps l’usage du terme de compétence, il faut attendre la loi de 1992 créant la validation des acquis professionnels, puis de la loi de modernisation sociale de 2002 pour que s’impose le concept de certification professionnelle et, avec l’adoption de la VAE, la dissociation formation/certification (Maillard, 2007). En effet, avec cette nouvelle voie d’accès, la certification n’est plus totalement liée à son processus habituellement préparatoire, la formation. D’ailleurs, l’Europe, dont nous avons détaillé les différentes orientations dans le domaine de la formation, renforce cette séparation entre la certification qui est un indicateur de qualification et le processus formatif qui, s’il peut être formel, peut aussi être informel (apprentissage résultant d'activités quotidiennes liées au travail, à la famille, aux loisirs) ou non formel (apprentissage intentionnel et structuré mais ne donnant pas lieu à une validation formelle). C’est sur la base de cette conception de la dimension potentiellement apprenante de toutes les situations de vie qu’a également émergé le concept de « life long learning » soit « la formation tout au long de la vie ». Par cette annonce l’Europe promeut l’idée que la formation ne s’arrête pas à la fin de la scolarité. Il est question ici de retours multiples en

formation, à des fins d’adaptation aux exigences de l’emploi occupé, ou entre les périodes d’emploi. Le modèle d’une formation unique, préparatoire à une carrière linéaire est considéré comme obsolète. De nombreux débats ont d’ailleurs lieu entre les partenaires sociaux, employeurs et salariés, pour trouver un accord sur un nouveau modèle de relation salariale. Celui-ci vise à assurer la flexibilité de l’usage de la main-d’œuvre pour l’employeur, comme la sécurisation du parcours et des transitions professionnelles pour le salarié. On désigne ce modèle par le néologisme de « flexsécurité » dans lequel la formation joue un rôle central75 (Caillaud, & Zimmerman, 2011). Ce modèle repose sur l’idéologie d’une instabilité des emplois sur laquelle les politiques n’auraient pas de prise. Des voix divergentes dénoncent cette évidence en rappelant le rôle d’un Etat social face à ces phénomènes. Par exemple, Ramaux (2006), conteste que la « flexsécurité » soit une vraie solution de lutte contre le chômage. « Les travaux qui plaident en faveur de la sécurité emploi-formation s’abstiennent le plus souvent de prendre partie dans la controverse qui oppose néo-classiques et hétérodoxes. […] Au-delà, et c’est évidemment ce qui importe, on peut s’interroger sur leur prétention à résoudre la question du chômage. Souvent elliptique sur l’explication théorique du chômage, les travaux qui plaident en faveur de la sécurité emploi-formation s’abstiennent de porter un jugement un tant soit peu approfondi sur la pertinence des politiques keynésiennes. Ils confortent cependant ainsi la thèse néo-classique selon laquelle elles seraient, au fond, quelque peu dépassées » (pp.141-142).

Cette nouvelle manière de penser, inspirée de systèmes scandinaves, accompagne cependant la structuration européenne (Dayan, & Kerbouc’h, 2008) et l’on peut noter sa cohérence avec les politiques européennes dans le domaine de la formation et de la certification qui mettent en avant la capitalisation (de crédits, d’expérience, etc.).

L’expression « tout au long de la vie » met également l’accent sur l’existence d’origines diverses aux apprentissages, y compris hors de l’école, qui masque parfois la dimension économique du projet. D’ailleurs, il est difficile de résister à l’attrait d’un système de la « deuxième chance » où les difficultés scolaires initiales d’un individu pourraient être compensées par un rattrapage ultérieur qui, de plus,

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Voir l'accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail (signé par quatre syndicats de salariés sur huit).

s’appuierait sur les acquis capitalisés par celui-ci tout au long de son parcours de vie. Cette vision idéalisée vient entrer en résonnance avec la part militante que toute formation porte en elle, même sans le savoir (voir partie 1.4).

Dans cette même conception, l’adoption d’un modèle de diplôme sous forme de référentiels ainsi que la distinction entre la certification et le processus de formation, s’expliquent également par des raisons économiques et politiques. En Europe, mais aussi en France dans certaines circonstances, s’opposent deux conceptions de la certification et de sa valeur en termes d’insertion sur le marché du travail (Moncel, Couppié, Giret, Planas, Sala, Lemistre, & al., 2009, op. cit.). On peut schématiser les deux positions en indiquant que le diplôme peut être, d’un côté, considéré comme une attestation d’aptitude à tenir un poste de travail défini et, à l’opposé, regardé comme un indicateur d’un niveau d’éducation, de socialisation et d’une aptitude à s’adapter efficacement à une classe de métiers.

D’un côté, le diplôme est une préparation à l’emploi, de l’autre une formation globale d’un individu, citoyen et professionnel. Dans un cas, chaque changement d’emploi entraîne une quasi obligation de retour en formation, dans l’autre, le bagage culturel acquis avec le diplôme initial permet à l’individu de s’adapter aux exigences de sa nouvelle situation et d’y faire face. Seule une réorientation radicale d’emploi l’oblige alors à se former à nouveau.

En France, contrairement à certains pays anglo-saxons, le diplôme revêt une valeur qui tient sans doute à son architecture et à la gouvernance des systèmes de formation initiale. « Sur ces deux dimensions, le système éducatif français se démarque par les traits suivants : le système éducatif assure l’essentiel de l’éducation et de la formation des jeunes […] ; L’état a un rôle central dans le développement du système éducatif et professionnel, les partenaires sociaux sont associés aux instances de pilotage des cursus et des certifications professionnelles ; la logique institutionnelle combine une logique industrielle de production standardisée et homogène des titres scolaires à une logique civique d’égalité des chances et de traitement équitable des individus garantie par l’Etat qui produit des formations standardisées et codifiées de façon homogène ; […] les formations professionnelles sont largement assurées par des établissements scolaires et incluent des enseignements généraux et théoriques non remis en cause par les réformes des années 80 et le développement de l’alternance école/entreprise »

(ibid., pp. 186-187). Ces éléments expliquent l’attachement français à des diplômes à « spectre » large, garantissant une adaptabilité de son titulaire. Pour cela, les diplômes professionnels, en particulier ceux qui concernent la formation initiale76, sont construits avec la double finalité de préparer à une insertion durable (c’est-à-dire dans plusieurs emplois successifs) et de permettre aussi la poursuite d’études, en particulier en veillant à l’accès et à la maîtrise de savoirs généraux minimums.

Si l’accès à ces savoirs s’organise plutôt dans le processus pédagogique de mise en œuvre du diplôme, la plus ou moins grande étendue de la cible professionnelle du diplôme se pense lors de la conception du référentiel, en particulier dans sa première phase. En effet, ce qui est décrit par le référentiel d’activités professionnelles (ou référentiel professionnel) peut être très spécifique à un emploi identifié (par exemple il existe un CAP « facteur d’orgues », un BEP « topographe » ou un titre AFPA de « chaudronnier-soudeur »), ou au contraire très « transversal » à divers métiers (bac pro « commerce », BTS « ventes et productions touristiques » ou encore un DESJEPS spécialité « performance sportive »). Malgré cette diversité, le modèle français de diplôme reste homogène quant à son ambition, de certifier des composantes professionnelles mais aussi conceptuelles, sur lesquelles peuvent s’appuyer les diplômés pour évoluer au-delà de la période d’insertion.

Ce modèle, tout autant décrié que plébiscité par les employeurs, reste un repère stable dans notre pays. Au rang des intérêts soulignés figure l’adaptabilité des diplômés, surtout lorsque leur cursus de formation a pu se prolonger. Par exemple, un diplômé de BTS sera jugé plus apte qu’un titulaire de baccalauréat professionnel ou de CAP lors d’un changement de mission ou d’emploi77. A l’inverse, cette valeur accordée au diplôme sera critiquée sur deux points : d’abord sur la non-spécialisation du diplômé, ce qui est contestable pour certains diplômes très orientés « métier » (Kirsch, Kogut-Kubiak, Floriani, Ménabréaz, Paddeu, Gauthier, & al., 2009) mais réel dans d’autres cas, où le souci de transversalité s’est fait au détriment

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A l’éducation nationale, ce sont les mêmes diplômes, avec les mêmes référentiels qui sont certifiés à l’issue d’une formation initiale ou continue (mais aussi par la VAE). D’autres certificateurs conçoivent des certifications réservées à la formation continue.

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De nombreuses études montrent que si l’écart salarial ou de poste de travail est faible, à l’insertion, entre un titulaire d’un bac pro et d’un BTS, la trajectoire de carrière diffère ensuite très fortement au profit du second (Balas, & Teissier-Soyer, 2009).

de la spécialisation dans l’écriture du référentiel. L’autre critique adressée à ce modèle est la durée de formation nécessaire à l’acquisition des savoirs. On peut, avec Maillard (2003, op. cit.), noter que ces critiques, parfois contradictoires, sont aussi, paradoxalement, des mises en valeur des enjeux sociaux qui se nouent autour des diplômes professionnels.

Dans cette période contemporaine, les postures se marquent et les deux « figures » du diplôme professionnel, plus tournées vers l’emploi ou plus orientées vers la formation de la personne se trouvent face à face. Il est important de souligner que cette radicalisation, en période de crise économique qui amplifie les phénomènes de chômage et de fragilité des moins formés, fait écho à une radicalité politique qui a conduit, en 2002, dans une optique plus volontariste que réaliste, à considérer tous les diplômes de l’enseignement supérieur comme « professionnels » et inscriptibles, de droit, au répertoire national des certifications professionnelles. Dix ans après, cette mesure fait toujours débat et brouille, à notre sens, la valeur réelle d’un diplôme professionnel. Cette situation offre, de bon droit, la possibilité à certains défenseurs d’un diplôme strictement adaptatif à un poste de travail, des arguments de défiance qui englobent tous les diplômes professionnels.

Les appels à un renforcement du pilotage des dispositifs de conception des diplômes par une « agence unique »78, les travaux européens sur EQF et ECVET, les demandes par les organisations professionnelles de renforcement des passerelles entre certifications (Mengin, Passemard, & Rigaud, 2011), les expérimentations d’une « modularisation » des cursus de formation de quelques spécialités de brevets de technicien supérieurs79 sont des éléments disparates d’une

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Lors des récents débats concernant la loi de novembre 2009 sur l’orientation et la formation tout au long de la vie (Merle, 2008), il a été débattu, puis non retenu finalement, de l’opportunité de confier à la Commission nationale de la certification professionnelle un rôle de ce type. Cependant, le rôle et les missions de la Commission ont évolué dans le sens d’un pilotage de l’action des certificateurs, par une instance extérieure. Ainsi, le législateur a étendu les missions de la CNCP dans les quatre domaines ci-après :

* Les certifications enregistrées de droit au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), en instaurant un avis public préalable à leur création.

* Les certificats de qualification professionnelle (CQP), en instaurant l’avis conforme de la Commission. Cette nouveauté implique que le ministre est tenu par l’avis de la CNCP.

* La CNCP a aussi été chargée de créer un inventaire des certifications et des habilitations correspondant à des compétences transversales exercées en situation professionnelle.

* Le législateur a également élargi les compétences de la CNCP, qui est à présent chargée de veiller à la cohérence des certifications professionnelles.

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même politique qui, pour des raisons diverses, tente de discuter le modèle d’un diplôme professionnel à double vocation, professionnel et propédeutique, spécifique à notre pays.

de la recherche : « Eléments de réflexion sur les formations technologiques supérieures courtes et tout particulièrement les sections de techniciens supérieurs », janvier 2010.