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Chapitre IV : référentiels, des outils institutionnels

4.4 Référentiel et modularisation : une question mal posée

Parmi les termes en vogue à l’heure actuelle dans le domaine de l’enseignement et de la formation professionnelle, celui de « modularisation » est particulièrement récurrent. Il nous apparaît comme un condensé des errements et des imprécisions sémantiques qui semblent devenir des caractéristiques des politiques du champ.

Les promoteurs de cette modularisation associent celle-ci avec la notion d’individualisation des parcours de formation. On parle d’un nouvel accès à une formation « sur mesure » pour les professionnels, pour les adultes en reconversion, et maintenant pour les étudiants, y compris en formation initiale, en brevet de technicien supérieur, depuis que, suivant les préconisations du rapport du recteur Sarrazin, la ministre chargée de l’enseignement supérieur a demandé d’expérimenter, dans cinq spécialités de BTS, la mise en place de la modularisation.

Les cursus scolaires habituels proposent de préparer les diplômes suivant un programme essentiellement disciplinaire, où chaque élève doit, sauf exception, commencer et finir son parcours comme l’ensemble de la « classe ». La modularisation consiste, en rupture avec ce modèle, à déconstruire ce parcours disciplinaire et à le reconstruire en blocs, ou modules, cohérents avec un « objet » professionnel et comprenant des contenus à acquérir qui proviennent de différentes disciplines. L’enjeu consiste alors à décomposer ces modules en séquences de formation permettant de traiter l’ensemble du contenu du module. Au final, cette ingénierie de formation, souvent complexe, peut permettre à certaines conditions, d’individualiser les parcours de formation, par exemple en proposant un allégement de modules (Mengin, Passemard, & Rigaud, 2011, op. cit.) ou en organisant la succession des modules de façon différente en fonction des besoins de l’apprenant.

Cette modularisation est donc, dès l’origine, une manière d’organiser la formation pour la rendre, d’une part plus en rapport avec une cible professionnelle, puisque les modules sont objectivés et d’autre part plus facilement adaptable aux besoins de chaque apprenant. Si on peut être séduit par un tel dispositif, on peut aussi remarquer avec Perrenoud la logique économique qui sous-tend ces réformes : « " Aimer est le grand point, qu'importe la maîtresse ? Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ", écrivait Musset. Les obsédés de la modularisation des formations

sont moins romantiques. Le contenu du flacon et ses effets leur importent de moins en moins. À leurs yeux, l'important est que les flacons soient calibrés, de sorte qu'on puisse facilement les empiler, les déplacer, les compter, comme des containers remplis de " choses ". La gestion néo-libérale des formations conduit à traiter les connaissances et les compétences comme des choses. La logique progressiste des unités capitalisables trouve alors ses limites. Elle perd son sens lorsqu'on capitalise non plus des savoirs ou des compétences identifiables, mais des " crédits ", au nom de la mobilité, de la rationalité, de la comparabilité des acquis et du calcul des coûts » (2002).

Dans cet extrait, Perrenoud pointe également l’autre présupposé qu’emporte la modularisation avec elle, celui que les savoirs, quelle que soit leur nature, peuvent s’acquérir par accumulation, par capitalisation de leurs parties. Ainsi, dans ce modèle, c’est l’addition de séquences qui forme le module, c’est l’accumulation de modules qui construit la compétence visée, c’est la possession de l’ensemble des modules et donc des compétences qui permet d’atteindre le diplôme et d’attester ainsi que la personne est un professionnel compétent. Au plan conceptuel, ce schéma est discutable sur deux points. D’abord, il faut reconnaître que la modularisation fait, comme le modèle scolaire de formation, un pari quant au résultat des apprentissages des apprenants. En effet, si le modèle scolaire postule que c’est l’addition de savoirs plus ou moins séparés qui va permettre la formation cohérente de l’individu, charge à celui-ci de construire cette cohérence, le système modulaire confronte l’apprenant aux mêmes difficultés. Des savoirs, organisés de manière différente, mais également émiettés, devront lui servir de base à la construction de compétences professionnelles, dont on ne peut que présupposer le processus.

D’autre part, ce système modulaire, via la capitalisation, « glisse » subrepticement du processus de formation à la certification, sans l’affirmer clairement. Ce constat, en soi, n’est pas forcement important. Ce qui rend la question aiguë, c’est le fait que les processus de formation et de certification répondent, aujourd’hui, à des logiques distinctes, des cadres règlementaires différents, des responsabilités différentes assumées par des acteurs différents. Brouiller la frontière entre ces deux « objets » revient à dérégler le dispositif, souvent au détriment des plus exposés de ses acteurs, c’est-à-dire les apprenants.

Dans son rapport, le recteur Sarrazin traite des questions de formation et de certification des études supérieures courtes. Tout au long de ce rapport on peut observer des « glissements » sémantiques qui nous paraissent significatifs. Par exemple, en page douze, le rapport évoque : « Quatre modes d’accès aux diplômes de BTS ou de DUT coexistent : la formation initiale sous statut scolaire (FI scolaire), la formation initiale sous statut d’apprenti (FI apprentissage), la formation continue (FC), la validation d’acquis d’expérience (VAE) ». On peut observer que si les trois premiers modes relèvent du statut de l’apprenant, et donc se situent dans le champ de la formation, le quatrième mode est lié à la certification. Si le rapport avait voulu traiter de la certification, il aurait fallu lister les modes d’évaluation : épreuve ponctuelle, contrôle en cours de formation (CCF) et VAE…

Dans ce même rapport, il est indiqué : « Enfin est posée la question de la modularisation de la formation et parallèlement celle de la certification correspondante. En formation initiale sous statut scolaire, l’intérêt réside dans : l’acquisition progressive d’éléments de certification susceptibles de motiver des jeunes en risque de décrochage ; la possibilité de construire par modules, des formations plus personnalisées pour des groupes d’élèves d’origines différentes (bacheliers professionnels, bacheliers technologiques) selon la logique : parcours différents, formations différentes, compétences requises identiques, certifications identiques. En formation continue, une « modularisation » des certifications serait assurément un atout. De même, elle permettrait aux candidats à la VAE qui n’auraient bénéficié que d’une validation partielle, de compléter leur formation pour l’obtention d’un diplôme. Il conviendrait cependant d’en analyser le coût, non négligeable, lié à la personnalisation des parcours et à la nécessité de former les enseignants pour faire évoluer leurs pratiques, en particulier à partir de l’expérience des IUT et des quelques expériences en STS » (pp. 21-22).

Tout est dit. La modularisation, dont on ne sait plus si elle est une modularisation de la formation ou de la certification, est une réponse quasi « magique » à la multiplication des enjeux soulevés par la formation professionnelle aujourd’hui : gestion de l’hétérogénéité des élèves, intégration des candidats partiellement certifiés, lutte contre le décrochage, etc.

Pourtant, nous ne pouvons pas ne pas constater, que si la construction de dispositif visant à adapter la formation aux apprenants est difficile mais positive,

l’émiettement d’un diplôme professionnel en unités à certifier séparément peut rapidement nuire à la cohérence du diplôme et par là même, à sa fonction de signal de qualification professionnelle sur le marché du travail.

L’inquiétude est d’autant plus grande face à cette question que l’on observe aujourd’hui un zèle particulier de certains promoteurs de diplômes, en particulier de BTS, pour modulariser ceux-ci, au delà des prescriptions ministérielles. Comme toute ingénierie de diplôme, la construction par modules présente des intérêts indéniables, mais aussi des risques majeurs. Ne pas observer ceux-ci avec précision, les masquer par des usages sémantiques « flottants », conduit à laisser entendre que la forme d’un diplôme est plus importante que son sens social.