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Sur-urbanisation

2. Urbanisation mondiale : histoire et caractéristiques

2.3. L’urbanisation du tiers monde : modèles différents

2.3.1. Sur-urbanisation

La sur-urbanisation est définie par Kamerschen (1969) de la façon suivante : « Les

pays dans la première phase de l’industrialisation souffrent d’un déséquilibre aussi bien dans la taille que dans la distribution de leurs populations urbaines, ce qui implique essentiellement qu’ils ont un pourcentage de la population vivant dans les villes et les bourgs plus élevé que le niveau ‘justifié’ à leur phase du développement économique ». Cette définition indique les deux caractéristiques de la sur-urbanisation : la taille relative de la population urbaine, excessive, et la concentration de la population urbaine, excessive par rapport au niveau du revenu et du développement économique. Un troisième aspect de plus en plus marqué dans les pays sur-urbanisés est la segmentation du marché du travail urbain et l’importance significative du secteur informel dans les zones urbaines (Nakanishi, 1996, Kazuhiro, 2007). Si certains pays latino-américains sont qualifiés de « sur-urbanisés » comme certains pays sub-sahariens, les deux groupes de pays révèlent des caractéristiques différentes dans l’urbanisation. Le premier est marqué par la forte concentration de la population dans les grandes villes, et le deuxième par son urbanisation sans relation avec l’industrialisation et le développement économique.

Sur-urbanisation en Amérique latine : excessive primauté urbaine3

L’Amérique latine est aujourd’hui une région essentiellement urbaine, avec 77% de la population vivant dans les villes et les bourgs, un niveau comparable à celui des pays développés (voir Figure 1.4), bien que la disparité du revenu par tête entre les deux groupes de pays reste importante. Par exemple, en 2005, le niveau d’urbanisation du Mexique est de 76%, ce qui est proche de celui des Etats-Unis (80%), cependant, le PIB par tête mexicain représente seulement un sixième de celui des Etats-Unis. Un autre pays

3 Une mesure du degré de concentration urbaine, définie en général comme la part de la population de la plus grande ville dans la population nationale.

latino-américain, l’Argentine, possède 90% de la population vivant en ville, avec un niveau du PIB par tête équivalent à un dixième de celui des Etats-Unis. La population urbaine de la région est passée de 70 millions en 1950 à 434 millions en 2005, soit un taux de croissance annuel de 3,3% pendant toute la période (United Nations, 2006). La période entre 1950 et 1980 correspond à une phase de l’urbanisation rapide, avec un taux annuel de croissance de la population urbaine autour de 4%. Cette croissance explosive de la population urbaine a été alimentée par un exode rural considérable, ce qui était parallèle à une forte croissance économique pendant la même période, grâce aux politiques de substitution à l’importation composées des soutiens des nouvelles industries nationales et des barrières d’échanges importantes. Ensuite, les années 1980 ont vu la récession économique et un fort endettement dans les pays latino-américains. Cependant, le rythme de la croissance urbaine restait encore élevé, soit 3% par an. Et depuis les années 1990, l’économie de cette région a commencé à se redresser.

La sur-urbanisation dans les pays latino-américains réside plus particulièrement dans la concentration excessive de la population dans certaines des plus grandes villes. Les politiques du développement des nouvelles industries nationales, avant les années 1980, ont favorisé la concentration des industries dans certaines grandes villes, particulièrement dans les capitales nationales. Par conséquent, une forte proportion de la population urbaine de ces pays se concentre dans les capitales nationales. Par exemple, Buenos Aires accueil 36% de la population urbaine de l’Argentine, soit 32% de la population nationale ; au Mexique, 24% de la population urbaine, soit 18% de la population nationale se regroupe dans la ville de Mexico. Au Brésil, la population de deux plus grandes villes, São Paulo et Rio De Joneiro, représente 19% de la population urbaine et 16% de la population totale du pays (United Nations, 2006).

Sur-urbanisation en Afrique au sud du Sahara : urbanisation sans croissance

L’Afrique au sud du Sahara était longtemps une des régions les moins développées et les moins urbanisées, cependant elle a connu des taux de croissance urbaine relativement élevés depuis 1950 (4,7% en moyenne par an pendant la période 1950-2005). Par conséquent, la part urbaine dans la population a augmenté de 15% en 1950 à 35% en 2005. En terme absolu, la population urbaine s’est accrue de 20 millions en 1950 à 71 million en 1975, puis à 264 millions en 2005.

En Afrique au sud du Sahara, la sur-urbanisation est caractérisée par une urbanisation contemporaine qui doit peu à l’industrialisation et à la croissance économique. Si la majorité des pays dans les autres régions ont connu une urbanisation parallèle à la croissance du PIB par tête, les pays africains sont une exception. Entre 1970 et 1995, la moyenne de la population urbaine des pays africains augmentait de 4.3% par an, tandis que le PIB par tête décroissait de 0,7% par an, cette coexistence de la croissance urbaine et la décroissance du PIB par tête est unique dans l’histoire de l’urbanisation du monde.

L’urbanisation sans croissance économique de l’Afrique au sud du Sahara est due aux facteurs historiques et aux politiques économiques de la région. Le pacte colonial en Afrique jusqu’au début des années 1960 consistait à exploiter les ressources naturelles et les produits agricoles dans ces pays, ce qui a empêché le développement des industries modernes. Cette dépendance par rapport à l’exploitation des matières premières non transformées persiste après l’Indépendance, de sorte que l’économie de la région reste très sensible aux fluctuations du cours sur les marchés internationaux. Le tracé de l’urbanisation de la région a été beaucoup influencé par cette structure économique où le secteur industriel est insignifiant. Faute d’un démarrage de l’industrialisation, la population urbaine s’est accrue rapidement après l’Indépendance, dû à la croissance rapide de la population totale, mais aussi à une migration rurale-urbaine massive. Si la migration rurale-urbaine durant les années 1960 était pour l’essentiel motivée par les opportunités du travail dans les secteurs urbains publics nouvellement formés, elle est plutôt incitée par les politiques du biais urbain et la croissance du secteur informel dans les villes depuis les années 1970. Les politiques du biais urbain favorisent les secteurs urbains par des distorsions des prix agricoles et consistent de facto à subventionner les résidents urbains au détriment des agriculteurs, ce qui crée des incitations à la migration rurale-urbaine. L’instabilité naturelle, économique et sociale des zones rurales en Afrique sont aussi des facteurs qui poussent la population rurale vers les villes. Les guerres civiles, les troubles sociaux et les catastrophes naturelles s’accompagnent souvent de flux importants de migrants vers les villes (ISTED, 1998 ; World Bank, 2000).

Secteur informel urbain

En général, dans les pays sur-urbanisés, les marchés du travail urbains sont fortement segmentés, avec un secteur informel relativement important à côté du secteur formel (Nakanishi, 1996 ; Kazuhiro, 2007). L’existence du secteur informel apparaît très nette

depuis les années 1970 dans la plupart des pays en développement, à la suite du constat que l’afflux massif de la main-d’œuvre dans les villes n’ont pas entraîné la croissance du chômage dans le secteur urbain formel (Todaro et Smith, 2002). Une bonne partie des nouveaux migrants se sont engagés dans des petites entreprises familiales ou dans diverses activités d’auto-emploi modestes et parcellisées, rassemblées sous le terme de secteur informel. La définition du terme est liée aux situations irrégulières des activités au niveau des règlements officiels d’enregistrement et d’imposition des entreprises. Caractérisé par de faibles niveaux de revenu et de qualification de la main-d’oeuvre, ce secteur informel joue un rôle important dans l’absorption des migrants ruraux en villes, en leur procurant les moyens minimaux d’existence. Dans beaucoup des pays en développement, comme l’Argentine, le Brésil en Amérique, l’Inde et le Pakistan en Asie et le Sénégal en Afrique, l’emploi dans le secteur informel est plus important que dans le secteur formel. Il est estimé que sur la période 1960-1990, la population du secteur informel s’est multipliée par sept dans la région d’Afrique au sud du Sahara (ISTED, 1998).

Dans les pays en développement sur-urbanisés, que ce soit les pays latino-américains ou sub-sahariens, les flux migrants conséquents et persistants vers les grandes villes exercent une grande pression sur les espaces, les infrastructures et les services urbains. Etant donné que des investissements publics des gouvernements municipaux sont souvent insuffisants, les pauvres urbains, essentiellement les travailleurs du secteur informel vivent dans de conditions médiocres. Des bidonvilles se forment dans les zones urbaines avec l’accès très limité aux services publics de base comme l’électricité, l’eau, l’assainissement, etc. La «maladie urbaine », comme la prolifération des bidonvilles, la pollution, la congestion du transport, l’accroissement de la délinquance, se manifeste et s’aggrave dans les pays sur-urbanisés (Todaro et Smith, 2002). Dans certains pays africains, des villes se réduisent parfois à des camps de réfugiés ruraux.

En fait, la sur-urbanisation est un phénomène constaté aussi dans l’histoire de l’urbanisation de certains pays développés. La différence est que la sur-urbanisation dans certaines périodes d’urbanisation des pays développés n’était qu’un phénomène temporaire. Avec une croissance économique rapide et soutenable, les problèmes liés à la croissance excessive de la population urbaine se résolvent rapidement. En revanche, dans les pays en développement, la sur-urbanisation est souvent liée aux distorsions des politiques nationales du développement économique, elle a par conséquent une

caractéristique structurelle. Dans les pays africains, la population rurale croît rapidement ; le développement des campagnes et de l’agriculture est négligé par les politiques du biais urbain, la disparité rural-urbaine se creuse, de sorte qu’il y a un exode rural persistant vers les villes ; dans les pays latino-américains, la stratégie de l’industrialisation favorisant les capitales nationales a pour résultat la concentration excessive de la population dans certaines grandes villes. Ce genre d’urbanisation n’est pas soutenue par la croissance économique, et ne contribue pas non plus à cette dernière. Dans le rapport du développement mondial (World Bank, 2000, p.130), il est souligné que « Au lieu de servir

des moteurs à la croissance et à la transformation structurelle, les villes en Afrique sont plutôt une cause et un symptôme majeur des crises économiques et sociales qui enveloppent le continent ».