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Industrialisation rurale et urbanisation « sur place »

Evolution de l’urbanisation en Chine

2. Urbanisation et industrialisation en Chine : les particularités

2.2. La stratégie d’industrialisation rurale et l’urbanisation après 1978

2.2.2. Industrialisation rurale et urbanisation « sur place »

Le développement des TVEs a conduit au changement de la structure de la population active à la campagne : plus de 100 millions des travailleurs ruraux supplémentaires ont été absorbés par les TVEs en moins de deux décennies depuis 1978 ; à partir de l’année 1995, les TVEs assure plus d’un tiers de l’emploi rural (Figure 2.4). Aujourd’hui, le nombre d’emploi des entreprises rurales compte d’environ 190 millions personnes (NBS, 2007). Le développement des industries rurales a contribué à absorber une bonne partie du surplus de main-d’oeuvre agricole, ce qui a réduit considérablement l’exode rural vers les zones urbaines. Selon les estimations du MOA (2000), durant 1978-1993, environ 141 millions de travailleurs ont quitté le secteur rural, dont seulement 21 millions se sont installés dans les villes et des bourgs, le reste a été absorbé par les activités non-agricoles rurales.

Dans le même temps, l’essor des TVEs a induit l’urbanisation rurale, notamment dans les provinces côtières. D’une part, le développement des TVEs dans les villages ou

26 La définition des entreprises rurales retenue ici est les entreprises situées dans les zones rurales et financées par des collectivités ou des individus ruraux, incluant donc les trois catégories d’entreprises rurales dans les annuaires statistiques chinoises, à savoir les TVEs proprement dites (les entreprises dont le propriétaires est la collectivité des bourgs et des villages), les entreprises privées et les entreprises individuelles (XZNJ, NBS, 2002). Notons que la part des deux dernières catégories était négligeable avant 1983. Puis, leur nombre et importance ont commencé à croître. En 1990, la première catégorie n’assure que 65% de la production et 50% de l’emploi des entreprises rurales totales (Qian et Xu, 1993). Depuis le milieu des années 1990, de nombreuses TVEs ont été privatisées ou restructurée en joint-ventures (Li, 2003, Kung et Lin, 2007), de sorte que la majorité de l’emploi et de la valeur ajoutée des industries rurales sont assurée aujourd’hui par les entreprises privées. Malgré ce changement de composition, le terme chinois « xiangzhen qiye » et sa traduction anglaise littérale « TVE » sont gardé par la plupart d’auteurs en indiquant la totalité des entreprises rurales. Dans cette thèse, sauf notations spécifiques, les termes TVE et entreprises rurales sont utilisés indifféremment.

bourgs de marché27 a contribué à augmenter la part non-agricole dans la population et la production, et à améliorer les infrastructures publiques (Oi, 1999), de sorte que certaines de ces unités rurales se sont transformées en bourgs désignés en acquérant le statut urbain. D’autre part, les TVEs situées aux bourgs désignés ont attiré la migration des villageois, ce qui contribuait à la croissance de la population urbaine dans les bourgs (Shen, 2006a). Cette urbanisation induite l’industrialisation rurale est appelée l’urbanisation par « de dessous » par Ma et Fan (1994), dans la mesure où la croissance des bourgs résulte des efforts locaux et de l’industrialisation rurale sans être financé du gouvernement central. Ainsi, la prospérité des entreprises rurales explique en partie une caractéristique saillant de l’urbanisation après les réformes : la croissance urbaine est alimentée par la multiplication et la croissance des bourgs et des petites villes. De 1978 à 1990, le nombre de ville est passé de 193 à 467, et celui de bourg désigné de 2176 à 12084. En 1997, il y a au total 668 villes et 18925 bourgs désignés (NBS, 2005)28.

Le succès remarquable des industries rurales a suscité des débats sur le mode d’industrialisation et d’urbanisation depuis les années 1980 (Aubert, 1996 ; Putterman, 1997). Certains ont commencé à croire qu’il serait possible de suivre cette voie d’industrialisation rurale qui est différente du mode traditionnel d’industrialisation urbaine. Le célèbre sociologue chinois Fei Xiaotong soutient que « le développement de l’industrie

dans les bourgs et les zones rurales et l’accélération du développement des entreprises rurales ont empêché l’exode massif de la population vers les grandes et moyennes villes. » (Fei, 1989). Les autorités ont semblé convaincues qu’il serait possible de contenir l’exode rural dans des limites modestes grâce à l’industrialisation rurale29. Il a été donc prôné une urbanisation spécifique à la Chine s’appuyant sur l’essor des industries rurales et sur le développement des bourgs et des petites villes, plutôt que sur l’industrialisation dans les grandes villes (Fei, 1984, 1989 ; Ma, 1992). Ainsi, des agriculteurs changeraient leur occupation en « quittant la terre sans quitter la campagne, entrant dans les usines sans

27 Selon NBS (2002), les bourg de marché (jizhen) indiquent « les siège du gouvernement de canton, et les bourgs non désigné qui servent des centres économiques, cultures et des services quotidiens d’une certaine zone rurale à la base du marché ».

28 Le relâchement des critères des unités urbaines dans les années 1980 constitue un autre facteur explicatif de ce phénomène (voir la section 1.1.1.2).

29 Depuis le milieu des années 1980, dans les discours des dirigeants chinois et les documents officiels, le développement des entreprises de cantons et de villages est fréquemment évoqué comme « succès fabuleux d’une voie d’industrialisation aux caractéristiques chinoises », ou comme « solution nécessaire de l’emploi de la main-d’oeuvre excédentaire rurale » (Discours choisis de Deng Xiaoping, Discours choisis de Jiang Zemin, etc.).

migrer dans les villes » (litu bu lixiang, jinchang bu jin cheng), la migration rurale-urbaine serait contenue pour faire l’économie des lourdes infrastructures urbaines, et les bouleversements sociaux associés aux formes conventionnelles de l’urbanisation. En somme, il s’agissait d’une « urbanisation sur place » réalisée grâce au développement progressif des petites villes et des bourgs résultant de l’industrialisation rurale.

Figure 2.4 La contribution des entreprises rurales à l’emploi

0 20 40 60 80 100 120 140 160 180 1978 1980 1985 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 (M il li o n d e p e rs o n n e s ) 0 5 10 15 20 25 30 35 40 (P o u rc e n t)

Nombre d'emploi (million) Part dans l'emploi rural (%) Part dans l'emploi total (%)

Note : Les entreprises rurales comprennent les entreprises collectives, les entreprises privées et individuelles rurales.

Source : TJNJ (NBS, plusieurs éditons).

Cependant, de plus en plus d’auteurs doutent de la soutenabilité de cette voie d’urbanisation s’appuyant sur l’industrialisation rurale. Ils mettent en avant le coût élevé à long terme du développement des industries en zones rurales et les limitations inhérentes aux entreprises rurales (Wang et Fan, 2000). Pour eux, les entreprises rurales ont pris leur essor en bénéficiant des changements institutionnels et des conditions avantageuses spécifiques à une période de transition. A mesure que ces avantages particuliers se dissipent avec l’établissement et l’amélioration du système de marché, les TVEs perdraient leurs compétitivités vis-à-vis des entreprises urbaines. En fait, la tendance du développement que les TVEs révèlent durant ces dernières années confirme en quelque

sorte le pessimisme de ces économistes. Le nombre des entreprises rurales a connu une chute d’environ 20% durant 1994-1998, soit 4,91 millions d’entreprises rurale disparues ou fusionnées. Pendant la période 1980-1992, le taux de croissance annuelle de l’emploi des TVEs est de 11,1%, il est tombé à 4,2% sur la période 1992-1997 (NBS, 2000). On constate également que la contribution des TVEs à l’emploi rural et national se stabilise à partir du milieu de la décennie 199030 (Figure 2.4).