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Unité du matériel et du spirituel dans le monde : réalisme spirituel

Chez les réformateurs chrétiens des années 1930, on aime se présenter comme « réaliste ». Ce qualificatif est proposé à l’encontre du matérialisme, du rationalisme et de l’abstraction qui, selon l’interprétation historique dont nous avons fait état, dominent le monde en le gâtant depuis la Renaissance. Prenant l’adjectif à leur compte, nos penseurs ont conscience de le dérober à une modernité qui souvent s’en réclame. Ils s’appliquent à démontrer que le « réalisme » de leurs adversaires est factice, avant de donner au terme un sens qui leur convient davantage.

262 J. Maritain, Humanisme intégral, 494-495.

Entre faussaires et fuyards

Dans le domaine politique, Maritain, qui affirmera le réalisme de la politique chrétienne, dénonce trois « pseudo-réalismes » que l’on pourrait aussi qualifier d’approches pragmatiques. En plus de réfuter les argumentations respectives en vertu desquelles les fascistes et les communistes s’affichent comme « réalistes », il rejette l’attitude de certains chrétiens qui tiennent, par « réalisme », à séparer strictement leur foi de leur action politique264. Berdiaeff, de son côté, indique bien que les systèmes modernes sont les moins réalistes qui soient, tout en ouvrant pour le lecteur l’espace d’investigation d’un « véritable » réalisme. Le « système capitaliste et industriel », l’essor de « la machine » et « cette précipitation du mouvement » ont, soutient-il, éloigné l’homme de la réalité,

ont dirigé la vie de l’homme vers des fictions qui, néanmoins, donnent

l’illusion d’être la plus réelle des réalités. Mais qu’y a-t-il donc tant de réalité au sens de l’être, de réalité ontologique, dans leurs Bourses, leurs banques,

leur papier-monnaie, leurs monstrueuses manufactures […]265 ? Daniel-Rops va dans le même sens :

On a tant dit que notre époque était réaliste ! […] [S]i le vrai réalisme

consiste en une connaissance, non pas seulement des apparences, mais de l’essence même des choses, de ce qui les fait participer à l’ensemble du monde, notre civilisation de surface n’est à aucun degré, réaliste266.

Pragmatisme et empirisme sont donc rejetés au profit d’un réalisme attentif à la totalité de l’être267 ; c’est dire que l’on valorisera la pensée, l’intériorité, la recherche

264 J. Maritain, Humanisme intégral, 542-545.

265 N. Berdiaeff, Un nouveau Moyen Âge, 123 (nous soulignons).

266 Daniel-Rops, Le monde sans âme, 207 (nous soulignons). L’auteur refuse le postulat de la science moderne, soit la « soumission totale au fait considéré comme la seule réalité » (ibid., 168).

267 Il serait prématuré de parler ici de réalisme intégral, car cette expression paraît s’appliquer spécifiquement à l’esthétique lorsqu’elle est employée par Maritain (Frontières de la poésie, 722). Nous y revenons plus loin (voir infra, chapitre 2, 140-141, en particulier les notes 485-487). La même expression revient sous la plume d’autres auteurs catholiques réfléchissant, durant la première moitié du XXe siècle, à l’art littéraire, tel Henri Massis (« Littérature et catholicisme ou le réalisme intégral », dans

intellectuelle et spirituelle sans lesquelles l’action ne peut engager le tout de l’homme. Mais cette totalité dont on veut tenir compte échappe à l’idéalisme autant qu’à l’empirisme268. Ceux qui, reprochant aux clercs leurs engagements, favorisent le retrait des intellectuels dans les hautes sphères de la pensée, ont tout faux269. « [S]’écart[a]nt du monde » en réaction aux trahisons que l’esprit y subit, ils sont aussi traîtres que ceux qui asservissent leur pensée en l’attachant à un parti, soutient Mounier270. Ils jonglent avec les idées, échafaudent de vastes systèmes abstraits, « jouent l’aventure entre des concepts sans attache temporelle et se satisfont à les arranger en architectures dont la symétrie prend figure de solution271 ». La critique des universitaires et des intellectuels est reprise dans tout Penser avec les mains : de Rougemont les rend coupables de la division qui s’est établie dans la modernité bourgeoise entre la pensée et l’action. Cette division déguisée en « distinction », qu’ils valorisent en présentant l’action comme un avilissement, ménage un refuge commode à ceux qui refusent d’affronter les vraies questions.

[L]’esprit n’est réel […] que lorsqu’il s’abaisse au niveau des hommes concrets […] : ceux qui ont prise sur les choses et qui “étreignent la réalité rugueuse”, comme dit Rimbaud […]. L’esprit n’est vrai que dans son acte, que nos clercs qualifient d’abaissement272.

P. Van den Heede, Réalisme et vérité dans la littérature. Réponses catholiques : Léopold

Levaux et Jacques Maritain, 2006, 88-97).

268 Dans le même passage, Mounier fustige l’empirisme qui « ne veut connaître que par contact sensuel » et l’idéalisme, qui, « conscient de l’illusion de ce contact [sensuel] […] ne se satisfait qu’en faisant toucher à l’homme le monde entier à l’intérieur de lui-même » (« Refaire la Renaissance », 169).

269 É.-M. Meunier propose un parallèle intéressant entre La Trahison des clercs de J. Benda et Primauté du spirituel de Maritain, tous deux parus en 1927 : si Benda et Maritain s’accordent pour déplorer l’engagement des intellectuels en politique partisane, Maritain ne suit pas la même route que Benda lorsque celui-ci propose une rupture nette entre le monde des idées avec lesquelles les clercs devraient travailler, et celui des affaires humaines (Le pari personnaliste […], 85-86).

270 E. Mounier, « Refaire la Renaissance », 144. 271 Ibid., 144.

272 D. de Rougemont, Penser avec les mains, 14. D. de Rougemont pose précisément le

réalisme comme première vertu dans sa description des « attitudes morales » de la

« pensée avec les mains », qu’il oppose à la « distinction » bourgeoise (ibid., « Deuxième partie : éléments d’une morale de la pensée », 203-206). Sur la « distinction » cultivée par l’esprit bourgeois, ibid., 148.

Daniel-Rops se méfie comme les autres d’un intellectualisme livresque et détaché du monde, mettant quant à lui l’accent sur une saisie du réel fondée sur une expérience directe273. Quant à Maritain, en avançant la notion d’« idéal historique concret », il prend bien soin de la distinguer de tout idéalisme : plutôt, elle « correspond à une philosophie réaliste », opposée à l’utopie, cet « être de raison ». Le philosophe insiste au contraire sur la concrétude de son idéal. « Un idéal historique concret est une image dynamique à

réaliser comme mouvement et comme ligne de force, et c’est à ce titre même qu’il est réalisable274 ».

Pour Maritain, seul le christianisme est vraiment réaliste. Dans Réflexions sur

l’intelligence et sur sa vie propre, il affirme pouvoir, en se fondant sur saint Thomas et en

laissant de côté toute la philosophie idéaliste moderne, fonder « un réalisme non pas naïf mais solidement critique, non pas un néo, ni un paléo-réalisme, mais un réalisme éternel comme la vérité275 ». De quel christianisme s’agit-il ? Ce christianisme-là exclut le conformisme – nous l’avons vu – et l’évasion, « deux manières de s’endormir276 ». Il existe en effet une pente que les religieux suivent trop souvent, celle de la fuite dans le spirituel. Cette tentation qui guette le chrétien s’appuie sur plusieurs justifications. Les uns pensent que le monde est maudit et est exclusivement le royaume du « malin » ; ils adoptent à son égard un pessimisme et une amertume qui justifient leur dérobade277. Les autres voient le monde comme un simple lieu de passage et refusent de lui accorder une attention qu’ils réservent au royaume éternel278. D’autres encore s’évadent « par recueillement » : prétextant « la supériorité de la contemplation sur l’action » – une

273 Après avoir avancé que l’homme moderne méconnaît la réalité, il suggère que la connaissance « des choses matérielles, de ce qui existe, et par quoi se manifeste à nos sens la création divine […] [doive] proc[éder] d’une expérience directe. […] Il ne suffit pas d’une science puisée dans les livres » (Daniel-Rops, Le monde sans âme, 205-206). 274 J. Maritain, Humanisme intégral, 442, 438 et 580 (nous soulignons).

275 J. Maritain, Réflexions sur l’intelligence et sur sa vie propre, dans Œuvres complètes,

volume III, 1984 [1924], 48.

276 D. de Rougemont, Penser avec les mains, 223.

277 N. Berdiaeff, cité par A. Laurendeau, « […] (entretien avec Nicolas Berdiaeff) », 5 ; E. Mounier, « Confession pour nous autres chrétiens », 384.

278 E. Mounier qualifie cette attitude de « relativisme chrétien » : « [i]l n’y a qu’une cité qui compte, [disent-ils,] la Jérusalem céleste » (E. Mounier, « Confession pour nous autres chrétiens », 382). Voir aussi A. Laurendeau, « […] (entretien avec Nicolas Berdiaeff) », 5.

supériorité que ni Maritain, ni Mounier ne conteste –, ils craignent de « flétrir [au contact du monde ou, plus précisément, de la politique] ce jardin intérieur de rêve et de contemplation qui redoute l’éloquence, l’agitation et le terrible isolement de l’homme dans les foules279 ». Valorisée par-dessus toutes les activités humaines, la contemplation néanmoins peut être une fuite.

Si la révolution doit être spirituelle et intérieure, elle doit à tout prix éviter cet écueil du repli sur soi ; elle s’opère en un homme ouvert sur le monde, sur les autres hommes et sur l’au-delà, en « débord[ant] les limites de l’homme280 ».

La réalité spirituelle

La ligne de partage entre les divers « réalismes », vrais ou faux, suit la définition que chacun donne au réel. On a tendance à comprendre ce mot comme renvoyant aux choses, rea, aux faits, à une réalité tangible ou matérielle, par opposition à l’imaginaire et au possible281. Les croyances de chacun déterminent les limites assignées au réel : le divin consiste, pour l’athée, en une chimère ; pour le sceptique il est une possibilité invérifiable, alors qu’il appartient pour le croyant au domaine du réel et de l’indubitable, au même titre que ce qu’il peut voir de ses yeux.

Cependant, nous avons vu l’importance que les réformateurs chrétiens des années 1930 souhaitent redonner à cette réalité matérielle, au temporel, au « monde », voulant se distinguer d’une spiritualité désincarnée et désengagée à force de diabolisation de la matière, ou encore voulant – pour reprendre l’expression de Stephen Schloesser – habiller

279 E. Mounier, « Confession pour nous autres chrétiens », 382-384. Maritain identifie également cette possibilité de fuite dans la contemplation. Nous reviendrons plus longuement sur les rapports entre l’action et la contemplation (cf. infra, 115-117).

280 E. Mounier, « Refaire la Renaissance », 173.

281 Les accusations d’« irréalisme » proférées par plusieurs, dont les marxistes, pour qui toute pensée, « toute activité spirituelle est une activité subjective, sans morsure sur le

réel […] », vont en ce sens (« Refaire la Renaissance », 143). Mounier veut réhabiliter la

cette spiritualité à la mode du temps282. Daniel-Rops prône un « retour au réel » en précisant bien que « le réel n’est pas ce qu’on dit communément aujourd’hui283 ». De la même manière qu’on a réhabilité la pensée et la recherche spirituelle auprès des matérialistes, il s’agit d’accorder une valeur à un certain matérialisme284, de trouver un entre-deux : « Sans la matière, notre élan spirituel s’égarerait dans le rêve ou dans l’angoisse : elle le courbe et l’entrave, mais il lui doit sa verdeur et son bondissement285 ». Ce matérialisme-là accorde valeur à la matière en autant qu’elle est porteuse d’esprit. Le lexique varie d’un auteur à l’autre, mais l’idée demeure ; nous garderons, avec Mounier, l’expression qui la décrit le plus clairement : « réalisme spirituel286 », que nous déclinerons en « réalité spirituelle ».

Aux yeux de plusieurs, la religion chrétienne est la plus respectueuse de cette réalité spirituelle. Au contraire du matérialisme et de l’idéalisme, elle établit une « amitié entre l’homme et la nature » : éclairé par le christianisme,

[l]e monde sensible s’irradie de la lumière qui pénètre le cœur de l’homme et supporte sa vie. […] Il se peuple de symboles et de présence, prend une voix qui prolonge celle du Verbe et nous raconte sur une vaste fresque l’histoire d’une réalité que nos oreilles ne peuvent entendre directement287.

282 « [E]ternal and unchanging thruths needed to be “clothed” à la mode, that is, in up-to- date intellectual and artistic fashions » (S. Schloesser, Jazz Age Catholicism : Mystic

Modernism in Post-war Paris, 1919-1933, 2005, 5). Ayant esquissé l’opposition,

auparavant irréductible, entre le catholicisme (ultramontain) et la modernité – le premier reposant sur les valeurs éternelles, les vérités inchangées et les forces surnaturelles, la seconde définie par le fait qu’elle embrasse le progrès temporel, autrement dit par son

réalisme, son intérêt pour « the things of this ever-changing world » – Schloesser va

montrer que le renouveau catholique cherche à faire la synthèse de ses opposés (idem). 283 Daniel-Rops, Le monde sans âme, 225.

284 Il est nécessaire pour y parvenir de remédier à la « méconnaissance de la matière » dont souffre le matérialisme, méconnaissance venue de ce qu’il coupe la matière de l’esprit ; comme Maritain, Mounier fait remonter cette coupure à Descartes (« Refaire la Renaissance », 153).

285 Ibid., 158.

286 Ibid., 166. La section IX de cet essai porte ce titre.

Cette manière de définir le réel actualise la synthèse288 qu’en toutes choses, les réformateurs chrétiens des années 1930 recherchent : pour eux, la réalité englobe le matériel et le spirituel et le réel qualifie le monde avec toutes les résonances dont il regorge et qui renvoient à l’au-delà, rappelant que les choses elles-mêmes sont le fruit d’une création dont dieu est l’auteur289.

Le réel est donc porteur d’un mystère, d’une « énigme », d’une « vérité perdue290 ». Les auteurs posent un acte de foi en cette qualité spirituelle du réel qu’il devient dès lors impossible de mettre en doute. Lorsqu’il affirme que « l’esprit mène le monde », Mounier entend par esprit « une réalité à laquelle nous donnons une adhésion totale, qui nous dépasse, nous pénètre, nous engage tout entiers en nous tirant au-delà de nous- mêmes291 ». Dans un mouvement qui, dès lors que cette foi est affirmée, vise plus à faire

vivre cette réalité spirituelle qu’à en fournir quelque démonstration292, ils amorcent une quête de cette réalité et de ses mystères, réalité elle-même décrite comme une aventure :

288 S. Schloesser identifie, durant la période qu’il étudie (1919-1933), une volonté de synthèse qualifiée de « réalisme dialectique » et décrite comme une volonté de redéfinir le réalisme positiviste en visant à y inclure divers éléments non empiriques. Ce réalisme dialectique prend plusieurs formes, parmi lesquelles le surréalisme, le réalisme magique, le réalisme socialiste ; Schloesser s’intéresse aux formulations catholiques de cette tendance (Jazz Age Catholicism […], 7-8 et chapitre 3, 107-137).

289 Rappelons que le lexique de la réalité s’associe aussi à la notion de personne, où la même unité se réalise : Daniel-Rops affirme que la « réalité » de l’homme est « cette relation directe de l’esprit et de la chair, unis fraternellement dans la poursuite d’un même dessein, que le christianisme appelle charité » (Le monde sans âme, 225-226). N. Berdiaeff aborde le problème par l’autre bout, s’intéressant non pas à notre conception du monde, mais du spirituel : « Souvent, on a compris le monde spirituel comme un monde transcendant : c’est une extériorisation de Dieu. Ainsi l’homme, et par conséquent le monde, est déspiritualisé. Si on transporte trop l’Esprit au dehors, l’Esprit s’en va… […] C’est qu’on a méconnu le rôle du spirituel, qui est double et qui exige à la fois une présence dans l’éternel et une présence dans le monde » (A. Laurendeau, « […] (entretien avec Nicolas Berdiaeff) », 14).

290 « […] [L]e réel pose une énigme et ne la résout pas : à travers les apparences de la réalité physique, à travers celles de sa propre nature, de son être secret, ce que cherche l’homme moderne, c’est une vérité perdue, le sens même de son destin » (Daniel-Rops,

Le monde sans âme, 145).

291 E. Mounier, « Refaire la Renaissance », 146 (nous soulignons). La section d’où est tirée cette citation porte le titre « Acte de foi ».

292 Car la démonstration n’est pas à faire : il est question de « réel objectif » (E. Mounier, « Refaire la Renaissance », 167). « Voilà la vérité humaine », écrit-il encore à propos de

Quelle plus magnifique aventure que cette réalité inépuisable de l’esprit dans les cœurs des hommes et par-dessus leurs têtes, laquelle nous n’abordons que par symboles, langages, touches, sondes, patiences et éclairs. Ils [les idéalistes] n’ont pas foi en elle ; une présence que l’on ne touche pas ou que l’on ne fait pas, une présence distante, ils n’ont pas assez d’ampleur dans le cœur et dans l’intelligence pour en soutenir la croyance293.

Il s’agit en effet de connaître et de faire connaître ce réel auquel on croit. Connaître ce réel peuplé de mystères est cependant une entreprise qui ne peut être menée à bien en faisant appel uniquement aux sens ; comprendre la réalité spirituelle est impossible par la seule raison : « symboles, […] touches, sondes, patiences et éclairs » nous la révèlent plutôt. Le souci du concret joue ici encore, car la foi en la réalité spirituelle s’appuie sur des expériences, des sensations, la perception obscure de « présences » inexplicables et irréductibles au raisonnement : « l’expérience intellectuelle nous livre des résistances, des mystères et des présences294 » dont l’idéalisme refuse de tenir compte et que le rationalisme ne sait où placer dans son système. Or, l’esprit est « avide de [ces] présences », qui deviennent plus difficiles à saisir dans le monde moderne295. La vitesse nous y aveugle et l’esprit s’habitue, par exemple par le cinéma, à de « fortes présences visuelles » qui émoussent la sensibilité à des mystères autrement plus discrets296. C’est pourquoi la tâche assignée par Mounier à ses contemporains est de « retrouv[er] le chemin » de la matière, et ce, pour mieux « la transpercer297 ». Retrouver la capacité de percevoir cette réalité spirituelle est au cœur de la révolution spirituelle et apparaît comme une façon de sauver l’homme et le monde mis en péril.

La perception de ce que j’appellerai la présence réelle de l’être et des êtres, de cette présence qui est le mystère le plus émouvant de la vie, tout le sort de l’humanisme, et de l’humanité avec lui, se jouera autour de sa restauration ou de son refus définitif298.

ce qu’il appelle la « réalité inépuisable de l’esprit dans le cœur des hommes […] » (ibid., 169). 293 Ibid., 169. 294 Ibid., 167. 295 Ibid., 157. 296 Ibid., 155-156. 297 Ibid., 157.

298 E. Mounier, « Refaire la Renaissance », 168. Chez Maritain, le philosophe et le poète se rejoignent dans la recherche de réalités qui dépassent les réalités matérielles : « vous aussi, écrit Maritain à Jean Cocteau, vous tâtonniez parmi des ombres plus réelles que nos

Intelligence et raison

De façon très générale, l’intelligence est la faculté de connaître ou de comprendre299. Or, l’intelligence serait, pour ce qui nous occupe, la faculté permettant de saisir – de connaître – la réalité spirituelle. C’est chez Maritain que nous trouverons matière à éclairer le sens de cette notion essentielle pour nos auteurs.

L’intelligence désigne une forme de perception distinguée à la fois du raisonnement et de la perception sensible. D’une part, raison et intelligence sont clairement départagées. Rappelons d’abord la différence à établir, selon Maritain, entre la « raison purement discourante » favorisée par les modernes et la Raison véritable, tendant à la connaissance de dieu300. Dieu étant pour le philosophe catholique au cœur du réel, voire étant le réel lui-même, la Raison sera l’outil permettant de saisir la réalité. Or, ici, Maritain associe à la Raison l’intelligence, voire propose de remplacer un terme par l’autre :

La Raison est la faculté du réel ; ou, plus correctement, la faculté par laquelle notre esprit devient adéquat au réel, et par laquelle nous connaissons, d’une manière analogique sans doute et très lointaine, mais véridique, la réalité des réalités, DIEU. La Raison est faite pour la vérité, pour posséder l’être.

Ce que nous appelons Raison devrait plutôt s’appeler, selon la scolastique et selon le sens exact des mots, Intellect ou Intelligence301.

Précisant la distinction entre Raison et intelligence, Maritain explique que cette dernière est faite pour « l’évidence », qu’« elle a besoin de conviction bien plus que d’explication, […] de la réalité et non pas du discours302 ». À l’état pur, l’intelligence saisit l’absolu de façon immédiate, elle est « possession » de l’absolu303. Imparfaite chez mains et nos yeux ; nos âmes se rencontraient dans ces limbes » (J. Maritain, Réponse à

Jean Cocteau, dans J. Cocteau et J. Maritain, Correspondance (1923-1963) avec la Lettre

à Jacques Maritain et la Réponse à Jean Cocteau (1926), 1993, 310).

299 On le comprend dès l’avant-propos de J. Maritain, Réflexions sur l’intelligence […], 11-13. Voir aussi R. Verneaux, Philosophie de l’homme, 1956, 165. Cet essai d’« anthro- pologie métaphysique » offre du point de vue catholique plusieurs définitions utiles, dont