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Que le monde qui l’entoure soit dégradé et que son public soit corrompu ne dégage en rien l’artiste de responsabilités qui sont avant tout les siennes. Pour trouver grâce aux yeux des réformateurs chrétiens et ne pas manquer aux promesses de la poésie, le créateur doit être à la hauteur des valeurs assignées à la personne, et tout particulièrement, de la liberté qui la définit. Il se doit également de rester conscient et respectueux du régime des fins à l’intérieur duquel il évolue, et de ne contrarier ni les fins de la personne, ni les fins de l’art.

Libertés

La première responsabilité de l’artiste est de veiller à ce que son art reste ordonné à la beauté et ne se pervertisse pas en poursuivant des fins inférieures. Dans un régime moderne utilitariste, l’artiste est tenté de soumettre les beaux-arts à l’utile en les faisant servir des fins de propagande414. Pour Mounier, la vocation de l’artiste « est de liberté absolue envers toutes les tyrannies extérieures et tous les mots d’ordre », et il critique vertement ceux qui veulent « plier » cette vocation « à des formules politiques et à des consignes de parti415 ». « Toute thèse » menace la pureté de l’art, selon Maritain416. Par-

412 Ibid., 259. Plusieurs collaborateurs du numéro spécial d’Esprit sur l’art d’octobre 1934 reprennent sensiblement la même argumentation sur la corruption du public moderne et le fossé qui le sépare de l’artiste (J. Labasque, « Préface à une peinture », 50 ; P.- A. Touchard, « Préface à un théâtre », 44 ; M. Jaubert, « Préface à une musique », 69). 413 Daniel-Rops, Le monde sans âme, 60. Voir aussi ibid., 173.

414 J. Maritain, Art et scolastique, 655. Ce danger est aussi identifié par D. de Rougemont dans « Préface à une littérature », 28.

415 E. Mounier, « Préface à une réhabilitation […] », 257. Ici, ce sont les membres de « l’Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires » (communistes) qui sont visés ;

delà les slogans, on aura tendance à accuser tout art discursif, qui cherche à démontrer, d’être asservi. L’artiste ne doit pas vouloir, ne doit pas « faire exprès », l’art ne doit comporter nul « calcul417 ».

Autant est exclue du domaine de l’art authentique toute création visant à convaincre, à persuader ou à vendre, autant en sont bannis les conformismes et les académismes, entendus au sens d’« impératifs de convention imposés du dehors à l’art418 ». Ceux-ci brident l’artiste et restreignent son champ d’exploration. Exiger, par exemple, la « clarté » ou la « lisibilité » d’une œuvre d’art « produit l’académisme, et nous condamne à une beauté si pauvre qu’elle ne peut irradier dans l’âme que la plus mesquine des joies419 ». Prenant ses distances du canon classique, Maritain indique bien au lecteur qu’une œuvre « intelligible EN SOI » reste souvent « obscur[e] à nos yeux420 ».

Affirmer cela, c’est ouvrir grand pour le public catholique le champ des arts contemporains, car les arts prennent justement, au moment où Maritain rédige Art et

scolastique – et cela n’est certes pas étranger à la publication de cet ouvrage –, un

tournant vers l’innovation qui modifie la façon de concevoir la modernité artistique421.

à la page suivante, toutes « consignes » et toutes « formules » sont rejetées, fussent-elles bonnes, et comparées à « une liturgie sans conversion profonde » (ibid., 258). Mounier poursuit : le « rassemblement nécessaire […] ne doit en aucune manière s’opérer, quant à l’art, autour d’un dogme extra-esthétique, religieux, politique, social ou économique qui s’imposerait à l’artiste du dehors » (ibid., 260).

416 J. Maritain, Art et scolastique, 683. Voir aussi D. de Rougemont, Penser avec les

mains, 110-111.

417 J. Maritain, Art et scolastique, 683-684. 418 Ibid., 657.

419 Ibid., 646, note*.

420 Ibid., 646, note*. Rappelons aussi les distances prises par Maritain vis-à-vis du canon de l’imitation.

421 « Quant à la modernité comme expérience littéraire, il faut retenir que les avant-gardes historiques la marquèrent durablement de leur empreinte. Car leur exigence de modernisation radicale des arts visait […] à l’abolition de toutes sortes de traditions sémantiques et formelles » (M. Schwarze, « Y a-t-il une arrière-garde moderne ? Le cas de Georges Duhamel », dans La polémique contre la modernité. Antimodernes et

réactionnaires, 211). L’expression « avant-gardes historiques » désigne les « courants

avant-gardistes de la première moitié du XXe siècle, à partir du futurisme », en les distinguant « de ceux naissant après 1945 » (ibid., 211, note 2).

L’art cependant n’est pas sans obéir à certaines règles, lesquelles s’imposent d’elles-mêmes comme des voies à suivre pour atteindre la fin de l’art, le beau. Maritain défendra par exemple, avec Baudelaire dont il cite L’art romantique, la prosodie comme un ensemble de « règles réclamées par l’organisation même de l’être spirituel » qui favorisent l’originalité plus qu’elles ne l’empêchent422. Néanmoins, chaque artiste est libre et responsable de se donner ses propres règles. Maritain n’en dicte aucune, ni ne croit que quiconque devrait en dicter423.

Cette liberté formelle et idéologique réclamée pour l’artiste est généralement considérée, dans l’historiographie littéraire et artistique, comme une des caractéristiques de la modernité esthétique. Modernité esthétique et modernisation des milieux artistiques se rejoignent ici : une telle liberté est rendue possible par l’autonomisation des institutions du champ424. L’artiste qui évolue dans des institutions indépendantes des pouvoirs politiques ou religieux est en effet moins susceptible de se faire dicter les règles de son art425.

422 J. Maritain, Art et scolastique, note 80, 749.

423 Ibid., note 79, 749. Maritain formule une exception à cette règle sur les règles : l’art sacré est assujetti à des contraintes dictées par l’Église, qui doit s’assurer que les œuvres sont théologiquement acceptables (voir à ce sujet « Quelques réflexions sur l’art religieux », en annexe à ibid., et notamment 720-722). Nous laissons de côté cet art « spécialisé ».

424 C’est à partir de P. Bourdieu, qui fait reposer ses analyses sur le cas de Flaubert, que l’on a pris coutume de lier l’autonomie du champ littéraire et sa modernité (Les règles de

l’art. Genèse et structure du champ littéraire, 1998 [1992]). Le lien entre autonomisation

de la littérature et modernité est esquissé notamment par M. Biron, F. Dumont et É. Nardout-Lafarge dans le chapitre « L’autonomie de la littérature : 1945-1960 » de leur

Histoire de la littérature québécoise, 2007, 281. Sa pertinence pour l’étude du corpus

québécois du XIXe siècle, et ajouterons-nous, du début du XXe siècle, est contestée par M.-A. Beaudet dans « Laure Conan à l’épreuve du livre de piété. Hétéronomie et individuation dans la littérature québécoise du dix-neuvième siècle », Voix et Images, printemps 2007, 60-61.

425 L’autonomie de l’édition en littérature en est un exemple parlant. Au Québec, le phénomène a reçu l’attention savante des chercheurs associés au Groupe de recherche sur l’édition littéraire au Québec (GRELQ), d’où est issue notamment la synthèse dirigée par J. Michon, Histoire de l’édition littéraire au Québec au XXe siècle (3 volumes), 1999-

De la technique à l’éthique

Dans sa poursuite de la beauté, l’artiste travaille la matière : il est avant tout un artisan qui doit maîtriser une technique. Le risque est grand de faire de celle-ci tout l’art, de vouloir l’œuvre comme une réalisation parfaitement ciselée en oubliant qu’elle doit aussi rendre l’aspect métaphysique de la beauté. En l’artiste, dit Daniel-Rops, il y a « déchirement », « lutte intérieure » entre le spirituel et la technique426. La technique menace l’œuvre de son envahissement comme elle a envahi le monde moderne :

l’habileté manuelle […] est […] en même temps qu’une nécessité, une menace perpétuelle, pour autant qu’elle risque de substituer la direction de l’habitude musculaire à la direction de l’habitus intellectuel, et de faire échapper l’œuvre à l’influx de l’art427.

La technique, nécessaire au créateur touché par l’« esprit de poésie » pour communiquer sa connaissance poétique par une œuvre belle, ne peut cependant être un critère valable pour juger intégralement une œuvre d’art, puisqu’elle n’est nullement garante de ses qualités spirituelles428.

De cette primauté moderne de la technique, la Renaissance fournit un exemple d’autant plus probant qu’elle constitue un point de rupture. Les beaux-arts ont connu à cette époque des développements techniques exceptionnels, auxquels cependant Maritain accorde peu de valeur, puisqu’ils occultent selon lui la véritable poésie. Ainsi, les arts plastiques évoluent à partir de la Renaissance dans le sens de « l’imitation matériellement

prise429 ».

426 Daniel-Rops, Le monde sans âme, 173. Daniel-Rops place la technique au second plan dans son Péguy : « […] la poésie est moins une affaire de perfection technique qu’une saisie profonde du réel et sa recréation dans la lettre » (11).

427 J. Maritain, Art et scolastique, 671.

428 Daniel-Rops, Le monde sans âme, 172. L’auteur redit ailleurs sa méfiance vis-à-vis des arts : « il n’est pas absolument démontré qu’un sens spirituel très haut se manifeste par un goût artistique très sûr, ni qu’un goût détestable signifie carence du spirituel » (ibid., 124-125). Voir aussi J. Maritain, Art et scolastique, 661.

429 J. Maritain, Art et scolastique, 676. Cette recherche de l’imitation est rendue possible par les avancées techniques – lois des proportions, de la perspective, etc. –, mais repose également sur des positions philosophiques.

Au XVIe siècle le mensonge s’installe dans la peinture, qui s’est mise à aimer la science pour elle-même, et qui veut donner l’illusion de la nature, et nous faire croire que devant un tableau nous sommes devant la scène ou le sujet peints, non devant un tableau. […] [L]e réalisme, et en un sens, l’impressionnisme, s’y sont complus [dans ce mensonge]430.

Imiter, en un sens plus large, c’est se complaire dans la description du monde, de l’homme, et de leurs désordres431. On touche ici à plusieurs critiques adressées aux contemporains de la première moitié du XXe siècle, héritier de la Renaissance à plusieurs égards. L’artiste qui imite la réalité matérielle, qui glorifie les machines que l’homme moderne a créées432 ou se complaît dans « l’analyse pour l’analyse433 » (de la psyché humaine, des rapports entre les hommes, etc.), sans poser ou évoquer les questionnements métaphysiques qui en découlent, n’est pas créateur434.

la culture ne peut plus prétendre qu’à refléter fidèlement “ce qui se fait”. Elle cesse donc d’être “ce qui fait” [i.e. d’être créatrice]. Elle se réduit à décrire sans juger435.

On voit ainsi se préciser la définition du créateur. Juger, imprégner son œuvre de ses croyances, de ses valeurs, de ses adhésions et de ses refus, voilà une exigence que les réformateurs chrétiens des années 1930 partagent à l’égard de l’artiste. Elle présuppose le rétablissement, pour le créateur comme pour les autres, de ces valeurs en péril, de cette « commune mesure » à l’aune de laquelle le jugement devient possible436. Elle interdit le détachement souvent réclamé par les esthétiques modernes. Sans disqualifier l’importance accordée à l’inconscient et à l’instinct dans la démarche de l’artiste, l’exigence du jugement s’y superpose et la surpasse :

L’art commence avec l’intelligence et la volonté de choix. Le jaillissement spontané des images, sans lequel il n’est pas de poésie, précède et nourrit

430 Ibid., 672.

431 D. de Rougemont, Penser avec les mains, 12.

432 Daniel-Rops, Le monde sans âme, 93-94 et 97. On reconnaît le futurisme. 433 Ibid., 60.

434 D. de Rougemont le déplore dans Penser avec les mains, 12. Il adresse ce reproche avant tout aux écrivains ; Gide, Valéry, Proust, Joyce et Huxley sont tour à tour pris à partie, et avec eux, « tous les romanciers à la mode ».

435 Ibid., 42. Voir aussi D. de Rougemont, « Préface à une littérature », 31.

436 Sur l’absence de commune mesure dans le monde moderne, cf. D. de Rougemont, « Préface à une littérature », 29.

l’opération du poète ; et sans doute il n’est jamais l’effet de la préméditation et du calcul, il est bon d’insister là-dessus ; même quand par la plus haute pointe d’une émotion en quelque sorte supraconsciente l’esprit le sollicite et l’oriente, il reçoit comme passivement, il subit cet afflux d’images, de sentiments et de mots qui se délivrent en lui. Mais c’est pour le contrôler,

arrêter au passage les dons ainsi envoyés, les accepter librement ou choisir parmi eux, juger437.

La critique d’un art obnubilé par la technique rejoint, sur un autre plan, celle d’un art qui se coupe du monde et des hommes, qui renonce à être reçu, compris, à jouer un rôle. À force de revendiquer son indépendance, l’art risque de perdre « peu à peu le désir même de se communiquer » et de sombrer dans l’hermétisme438. L’art pèche alors par « vertige idéaliste439 », il perd la qualité unificatrice de l’art authentique par suite de ce « [s]uicide angéliste, par oubli de la matière » ou par oubli des conditions d’existence qui font de l’artiste un homme parmi les hommes440.

Pour beaucoup d’artistes modernes, l’art se résume à un jeu sur la forme441. Leur erreur, selon Maritain, est de pousser à son extrême l’affirmation voulant que l’œuvre ait pour seule fin la beauté. Ils en arrivent à rechercher « l’art pur, autour de rien, par exténuation du sujet […] : au terme, une construction parfaite, avec rien à construire442 ». Cette tendance a le mérite d’être « purificatrice » en isolant l’art des pensées ou mouvements extérieurs qui tendent à vouloir l’instrumentaliser. Mais en méprisant sous prétexte de pureté la complexe articulation entre la matière du monde, la matière de l’œuvre et l’univers spirituel, les tenants de l’art pur succombent à une facilité443. On

437 J. Maritain, Frontières de la poésie, 705-706, note 19 (Maritain souligne « précède et

nourrit », les autres italiques sont de nous).

438 E. Mounier, « Préface à une réhabilitation […] », 255 ; J. Maritain, Art et scolastique, 679.

439 J. Maritain, Art et scolastique, 679 (voir aussi ibid., 708). 440 J. Maritain, Frontières de la poésie, 964.

441 D. de Rougemont, Penser avec les mains, 72 et 154 ; E. Mounier, « Préface à une réhabilitation […] », 261 ; Daniel-Rops, Le monde sans âme, 60-61.

442 J. Maritain, Art et scolastique, 708. « Toute la bassesse de la “littérature” moderne se résume, à mon sens, en une phrase un peu grossière : c’est une littérature qui aime parler

pour ne rien dire. Elle n’est occupée qu’à “bien” dire […] » (D. de Rougemont, « Préface

à une littérature », 25).

443 J. Maritain, Art et scolastique, 708. Sont nommés à titre d’exemples les poètes parnassiens, les symbolistes et Mallarmé, « les amis de Max Jacob et d’Erik Satie ». Cet

reproche à ces formalistes de faire de l’art une « tour d’ivoire444 » alors qu’il devrait être le lieu d’une communion, et de le priver de sa finalité, de sa « mission réelle445 », alors qu’il devrait ouvrir pour les hommes des portes vers leur vie spirituelle. Récuser le formalisme n’est en rien revenir sur la liberté formelle défendue pour le créateur : il est ici question d’une attitude qui se révèle hors de l’œuvre, à travers son discours accompagnateur ou par ce qu’on sait des positions de l’artiste. L’expérimentation formelle reste encouragée, mais ne peut être le tout de l’art.

Renouvellement et éternité

Une fois maîtrisées les règles que se donne l’artiste et une fois acquise l’habileté technique, l’intelligence de l’artiste court le risque de s’émousser, son art tend à se scléroser et ces règles à se muer en conformismes, compromettant ainsi l’authentique connaissance poétique. Pour éviter cela, les arts sont soumis, selon Maritain, à une « loi de renouvellement446 ». « [L]a vie de l’art est dans le mouvement, muer est sa loi propre […] », écrira-t-il447. Cette idée voulant que l’art se renouvelle constamment, conjuguée à la liberté formelle défendue en principe, paraît compatible avec les prises de position les plus modernistes.

Maritain écrit à l’époque des avant-gardes historiques448, époque où le modernisme artistique prend forme comme doctrine esthétique fondée avant tout sur le renouvellement et le rejet des canons. Si, de façon très usuelle, l’expression « art moderne » désigne l’art art « pur » compris comme un art « vide de sens » renvoie également aux thèses de l’abbé Bremond (cf. J. Maritain, Frontières de la poésie, 727).

444 E. Mounier, « Préface à une réhabilitation […] », 259. Mounier poursuit : « un artiste est parfois possédé par son art au point de n’être conscient des désordres et des exigences de l’homme […] que dans la ligne de son art […]. Ce décalage est un aspect même du désordre et de l’isolement anormal de l’artiste » (ibid., 260).

445 D. de Rougemont, Penser avec les mains, 72, voir aussi « Préface à une littérature », 32.

446 J. Maritain, Art et scolastique, 663-664. Voir aussi J. Maritain, Frontières de la poésie, 697.

447 J. Maritain, Réponse à Jean Cocteau, 338-339.

contemporain – et ce, peu importe l’époque où l’on se trouve –, selon un lexique plus spécialisé, l’« art moderne » ne peut être défini sans au moins faire référence à ce modernisme qui, dans le cas qui nous occupe, est justement contemporain du philosophe. Cet art contemporain des réformateurs chrétiens des années 1930 – disons l’art du premier tiers du XXe siècle – méritera leur attention, tantôt leurs éloges, tantôt leurs critiques. Cet art, le considèrent-ils « moderne » au sens où Maritain l’entend ? Poursuit-il l’héritage de Baudelaire en suivant la voie de la poésie comme poésie ?

La loi de renouvellement mènera Maritain à saluer le cubisme, qui a « rappel[é] la peinture à elle-même » et « aux exigences essentielles de l’art » en « pos[ant] d’une manière plutôt violente la question de l’imitation dans l’art » et en rappelant qu’il est avant tout construction449. Le mouvement futuriste reçoit également l’attention du philosophe. Sans encenser la poésie futuriste telle que théorisée par Filippo Tommaso Marinetti, Maritain la considère comme un « épisode violent et instable par lequel il était à peu près inévitable de passer » afin de continuer sur la voie ouverte par Baudelaire450. Il consacre par ailleurs en 1930 un article complet au peintre futuriste Gino Severini451. Le futurisme y est décrit assez positivement, comme « un bel accès transalpin d’impatience et de générosité » et comme une manifestation de l’amour de la nature – bien distingué d’un désir de la copier452. Maritain évoque « la gaieté, la spontanéité, le lyrisme » que le

449 J. Maritain, Art et scolastique, 673 et note* de cette même page. Les « théoriciens » cubistes reçoivent néanmoins moult critiques de la part de Maritain, qui les juge dogmatiques (ibid., 672).

450 J. Maritain, Frontières de la poésie, 727-728. Maritain fait ici référence à « la phase des “mots en liberté” » (ibid., 728), qui concerne le futurisme littéraire et préfigure l’écriture automatique surréaliste. Nous pouvons renvoyer au Manifeste technique de la

littérature futuriste (1912), à son Supplément (1912) et à L’imagination sans fil et les mots en liberté (1913), signés tous trois par F.T. Marinetti et repris dans J.-P. de Villers, Debout sur la cime du monde. Manifestes futuristes / Futurist manifestoes 1909-1924,

2008 (respectivement 66-70, 71-75 et 86-90).

451 L’article a d’abord paru sous forme de « plaquette illustrée dans la collection “Les Peintres Nouveaux”, no 40, Paris, N.R.F., Gallimard, 1930 ». En 1935, il est repris avec d’autres essais déjà parus sous le titre de Frontières de la poésie. C’est ce texte qui figure dans les Œuvres complètes et auquel nous nous référons (cf. « Annexes bibliogra- phiques », dans J. Maritain, Œuvres complètes, volume V, 1121).

452 J. Maritain, Frontières de la poésie, 767. Pour Maritain, le futurisme à ses débuts « manifestait […] un candide retour vers la nature non pas copiée, mais aimée, et une joie animale à se rouler dans son flot coloré ».

mouvement a apportés en France, et plus particulièrement la façon qu’a Severini de s’exprimer « avec l’aisance de l’instinct453 ». Le fait de représenter les machines modernes ne paraît poser aucun problème à Maritain, contrairement à Berdiaeff454 ; cependant le philosophe catholique est loin de suivre les futuristes qui font de cette représentation la seule voie d’avenir pour l’art et pour la poésie :

C’est une illusion de croire que ces choses [le règne de la machine et des merveilles techniques] sont par elles-mêmes ennemies de la poésie ; elles lui fournissent au contraire une matière chargée d’une rare beauté, et comme chargée de tragique, parce qu’elle est à la fois inhumaine et humainement élaborée. Mais c’est une illusion aussi grande de croire que ces choses sont par elles-mêmes aptes à renouveler ou régénérer la poésie455.

Maritain reste en effet convaincu que les proclamations futuristes ne suffisent pas à « donner le moyen d’enfermer dans une œuvre la jalouse réalité qui circule à travers les formes sensibles456 ». Toujours à la recherche d’une synthèse, il apprécie tout particulièrement les recherches poursuivies par Severini après la période futuriste, qui le