berdiaeV
du début du xVii
esiècle – abîme préexistant à l’être et au temps. définissant la
li-berté comme une puissance créatrice totalement inconditionnée et comme la
possi-bilité du nouveau, b. en déduit que l’acte créateur peut prendre son essor soit au nom
du bien (son modèle étant alors le fils de dieu), soit au nom du mal. dieu s’engendre
dans l’Ungrund, et à partir de ce fondement de l’être qui préexiste à l’être même il crée
le monde et l’homme. susceptible de s’exprimer dans les termes d’une philosophie de
l’existence, la métaphysique du dieu homme fonde chez b. les autres aspects de son
engagement philosophique : les questions concernant la théorie de la connaissance, la
compréhension de l’histoire et de la culture, la nature de l’existence humaine. il y a
deux genres de connaissance : la connaissance libre, non objectivée (la foi) et la
connaissance soumise à la contrainte de l’objectivation (la science). le niveau
suprê-me de la connaissance est d’ordre religieux et il n’est possible qu’au niveau le plus
élevé atteint par la communion des esprits. le rapport qu’entretient b. avec la religion
le rend plutôt indifférent aux questions portant sur la dogmatique théologique et sur
l’organisation de l’Église. il se montre beaucoup moins soucieux de conserver le
chris-tianisme que de le réformer pour en faire une force réellement active chez ses
contem-porains, ce qui suppose la reconnaissance de la capacité créatrice de l’humanité. une
modernisation du christianisme n’a rien pour effrayer b. ; à ses yeux, « la religion dans
le monde de l’objectivation est un fait social complexe » dans lequel le phénomène de
la révélation, saisi dans sa pureté et dans son caractère originaire, a un lien étroit avec
la réaction qu’exerce sur lui la collectivité humaine. Quant à la science, bien qu’elle
« ait à connaître un monde déchu dans sa déchéance même », elle n’en garde pas
moins son utilité, dans la mesure où elle favorise l’établissement d’une communauté
humaine fondée sur la connaissance. Mais la communion suprême des hommes n’est
atteinte qu’en dieu. elle prend la figure d’une conciliarité [sobornost’]* entendue
comme société spirituelle des hommes. l’anthropologie philosophique de b. repose
sur l’idée de l’homme créé à l’image de dieu et de l’humanisation de dieu. l’homme
est alors appelé à devenir co-participant de la création divine, l’histoire devenant la
continuation de la création du monde. b. distingue entre l’histoire-chronique,
terres-tre, et l’histoire céleste, métahistorique. l’histoire terresterres-tre, i.e. les événements qui
s’enchaînent selon l’ordre nécessaire de la temporalité historique, est due au péché
originel, catastrophe qui a entraîné la chute de la liberté originelle. la métahistoire
s’incarne dans la réalité symbolique figurée par la mythologie biblique dont les
événe-ments principaux (péché originel, avènement de Jésus-christ, Jugement dernier)
sont les moments en fonction desquels s’organise l’histoire humaine. le problème du
sens de l’histoire est étroitement lié à celui de la temporalité historique. si celle-ci est
sans terme assignable, elle est dépourvue de sens. dès lors « l’histoire du monde
com-me celle de l’humanité n’ont de sens que pour autant qu’elles prennent fin » (Essai de
métaphysique eschatologique, p. 198). la conception historiosophique de b. implique
une position de principe concernant la fin de l’histoire, à condition de ne pas la
conce-voir comme une catastrophe cosmique ou sociale, mais comme une victoire sur
l’ob-jectivation, i.e. sur l’aliénation, la haine et l’impersonnalité. c’est pourquoi, tout en
considérant que les forces qui régissent l’histoire sont dieu, la nécessité historique et
l’homme qui est le vecteur de la liberté, c’est à ce dernier que revient le rôle principal.
il « scelle l’accomplissement » de l’histoire chaque fois qu’il intervient de manière
créatrice ; en lui insufflant de la nouveauté, il surmonte le mauvais infini de la
tempo-ralité historique, il lui donne un terme en rendant possibles en elle les conditions
berdiaeV
d’une présence de sens et en y introduisant une « lumière irradiante ». l’eschatologie
s’accomplit en permanence par la pleine transfiguration de la « chair » du monde
quand il accède à un plan significativement nouveau d’existence, de « victoire »
défi-nitive « sur l’objectivation, i.e. sur l’aliénation, la nécessité, l’impersonnalité,
l’hostili-té » (Dialectique existentielle du divin et de l’humain, p. 237). b. accorde une attention
particulière dans l’histoire à deux moments-clés : l’apparition du christianisme et
cel-le de l’humanisme. cel-le christianisme a gravé dans la conscience l’idée de liberté
enten-due comme action créatrice de bien et de mal. il a toutefois succombé à l’objectivité,
ce qui l’a fait percevoir comme la religion de l’obéissance à la nécessité. la plénitude
de la révélation au sujet de l’homme en tant que principe créateur de l’histoire est
demeurée étrangère à la conscience religieuse. l’époque moderne a vu le
développe-ment d’une conception du monde placée sous le signe de l’humanisme, i.e. de la foi
dans les « forces autonomes » de l’homme « qui ne veut plus rien savoir d’une
quel-conque force supérieure ». il en est résulté un décentrement de l’être de l’homme
ra-battu sur des centres fallacieux : les fondements et les moyens qui lui procurent sa
nature organique et son outillage technique deviennent ses fins. au xViii
esiècle, une
réalité nouvelle occupe le devant de la scène de l’histoire : la technique, qui bouleverse
radicalement les conditions de l’existence humaine. dans L’Homme et la machine
[Čelovek i mašina] (1933), Le Destin de l’homme dans le monde contemporain [sud’ba
čeloveka v sovremennom mire] (1934), De l’Esclavage et de la liberté de l’homme, b.
dresse un tableau impressionnant de l’aliénation et de la déshumanisation de
l’hom-me. il parle de l’accroissement de la solitude spirituelle de l’homme dans la trame
même de sa vie sociale, des pouvoirs démesurés qu’exerce la société (le collectif) sur
la personne, de la fétichisation de l’État et de la nation qui ont pris la place du
chris-tianisme. le processus de déshumanisation de l’homme est allé tellement loin,
esti-me-t-il, que la question de savoir si l’homme peut encore revendiquer ce nom est
devenue terriblement actuelle. en raison de circonstances liées à la géographie, à
l’his-toire et à la religion, la russie, le peuple russe sont, aux yeux de b., appelés à jouer un
rôle singulier dans le processus apte à permettre de sauver l’humanité de la
catastro-phe qui la menace. en vertu du caractère antinomique (contradictoire) des traits qui
caractérisent sa psychologie et de la voie qu’il a suivie dans l’histoire, le peuple russe a
succombé à la tentation des principes bourgeois de la civilisation occidentale
(doctri-nes marquées par le rationalisme et l’athéisme, marxisme inclus). la russie est
deve-nue le champ d’action où l’humanisme joue son va-tout. b. nourrissait l’espoir que la
russie postsoviétique verrait s’établir un autre régime social, plus juste que celui du
monde bourgeois et qu’elle pourrait remplir la mission à laquelle elle est prédestinée :
faire fusionner les principes orientaux (religieux) et occidentaux (humanistes) qui
structurent l’histoire.
Œuvres : Novoe religioznoe soznanie i obĉestvennost’, spb., 1907 ; Sub Specie
aeternita-tis. Opyty filosofskie, social’nye i literaturnye, spb., 1907 ; Poln. sobr. soč., p., 1983-1991,
i : samopoznanie. opyt filosofskoj avtobiografii ; ii : smysl tvorčestva. opyt opravdaniâ
čeloveka ; iii : tipy religioznoj mysli v rossii ; iV : duxovnye osnovy russkoj revolûcii : stat’i
1917-1918. filosofiâ neravenstva ; N. Berdiaev o russkoj filosofii, sverdlovsk, 1991, 1-2 ;
Sud’ba Rossii, M., 1990 ; O naznačenii čeloveka, M., 1993 ; Filosofiâ svobodnogo duha, M.
1994 ; Carstvo Duha i Carstvo Kesarâ, M. 1995. en franç. : Cinq méditation sur l’existence,
p., 1936 ; L’Idée religieuse russe (in : L’Âme russe, coll.), p., 1927 ; Au seuil de la nouvelle
épo-que, p., 1947 ; Le Christianisme et la lutte des classes, p., 1932 ; Christianisme et réalité
so-ciale, p., 1934 ; Christianisme, marxisme : conception chrétienne et conception marxiste de
bibikhine
l’histoire, p., 1975 ; Le Communisme et les chrétiens (coll.), p., 1937 ; Constantin Léontieff :
un penseur religieux russe du XIX
esiècle, p., 1938 ; préface à Crime et châtiment, p., 1972 ;
De la destination de l’homme, l’age d’homme, 1979 ; De la dignité du christianisme et de
l’indignité des chrétiens, p. 1928 et 1931 ; De l’esclavage et de la liberté de l’homme, p., 1990 ;
De l’esprit bourgeois, p., 1949 ; De l’inégalité, l’age d’homme, 1976 ; Dialectique
existen-tielle du divin et de l’humain, p., 1947 ; L’Esprit de Dostoïevski, p., 1974 ; Esprit et liberté.
Essai de philosophie chrétienne, p., 1933 ; Esprit et réalité, p., 1943 ; Essai d’autobiographie
spirituelle, p., 1958 ; Essai de métaphysique eschatologique : acte créateur et objectivation,
p., 1946 ; préface aux Frères Karamazov, p., 1972 ; L’Homme et la machine, p., 1933 ; L’Idée
russe, tours, 1970 ; Khomiakov, l’age d’homme, 1988 ; Le Marxisme et la religion, p., 1929 ;
Étude sur J. Böhme, in : Mysterium magnum, p., 1945 ; Un (Le) nouveau Moyen Âge, p., 1927,
1986 ; L’Orient et l’Occident (cahiers de la quinzaine, 9 oct. 1933) ; Problèmes du
commu-nisme, p., 1933 ; Royaume de l’esprit et royaume de César, p., neuchâtel, 1951 ; N. Berdiaeff
ou la révolte contre l’objectivation (textes choisis), p., 1967 ; Le Sens de la création : un essai
de justification de l’homme, p., 1955 ; le sens de l’histoire, p., 1948 ; Les Sources et le sens du
communisme russe, p., 1938 ; Spéculation et révélation, p., 1982 ; Le Suicide, p., 1953 ; Vérité
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a. a. ermitchev / p. caussat
BIBIKHINE Vladimir (1938, bejetsk, région de tver – 2004, M.) – penseur russe,
spécialiste en langues et littérature, traducteur. diplômé de l’institut des langues
étrangères de M. (1967), il enseigne les langues et la théorie de la traduction dans ce
même institut et à l’institut des relations internationales de M. (MiMo). Mais dès
ce moment la philosophie et les lettres deviennent sa principale occupation. il
étu-die les langues anciennes auprès d’a. Zalizniak, pour qui il a conservé toute sa vie
un profond respect. durant de longues années il a été l’assistant et le secrétaire d’a.
lossev*. il a préparé son doctorat à la faculté des lettres de l’univ. de M. sa thèse de
kandidat** portait sur le sujet : « les potentialités sémantiques du signe linguistique »,
dont les thèmes directeurs – les interrelations du mot et du monde, du mot et de la
pensée, et la façon de les aborder – tentative d’approfondir la réflexion sur les
fonde-ments ontologiques de la langue, ont trouvé leur prolongement et leur développement
dans le séminaire consacré à « la forme interne du mot », dans les cycles de cours
consacrés à « la langue de la philosophie » et à « l. Wittgenstein ». À partir de 1972
et jusqu’à la fin de sa vie b. a travaillé à l’institut de philosophie de l’acad. des
scien-ces de russie*. de la fin des années 80 jusqu’en 2004 il a fait des cours et dirigé des
séminaires à la faculté de philosophie de l’univ. de M. et à l’institut de philosophie.
il a également fait des conférences à l’institut de théologie orthodoxe saint-philarète
et à l’institut de philosophie, théologie et histoire saint-Thomas. en eux-mêmes, les
intitulés de ces cours : « le monde », « la langue de la philosophie », « connais-toi
toi-même », « l’énergie », « la lecture de la philosophie », « la propriété », « le visage
bibler
du moyen âge », « le moment (temps-être) », « la vérité-justice [pravda] », « la forêt
(hyle) », etc. en disent long sur l’attention constante que b. porte aux choses les plus
simples, qui seules, à leur lumière, donnent la possibilité de voir, interroger,
compren-dre, être. pour b. la philosophie n’est pas une « activité intellectuelle », un « domaine
scientifique » ou une « sphère culturelle », et la langue de la philosophie n’est pas une
« construction », une « information sur les choses », mais « la première ébauche d’une
possibilité pour que le savoir sur elles puisse se constituer sur ses bases dernières, des
bases qui soient d’une solidité inébranlable ». la philosophie est « la tentative – que
rien ne garantit –, de rendre à ma vie, ma vie d’homme, ce que dès son début elle
avait eu l’ambition d’être : un rapport au monde non comme à une image, mais comme
à un événement » ; tentative, dans une parole désintéressée, de donner (permettre) à
l’événement d’être, de se révéler être « un endroit où l’événement illumine, devient un
phénomène », où on laisse ce qui est être ce qu’il est, au lieu de le mettre en chiffres
et sous contrôle. À partir de 1967 b. traduit de l’espagnol, de l’italien, du latin, du
grec, du français, de l’anglais, de l’allemand. parmi les auteurs traduits : comenius,
lorca, Mazzini, pétrarque, nicolas de cues, Grégoire palamas, Macaire l’Égyptien,
heisenberg, sartre, G. Marcel, humboldt, freud, Wittgenstein, heidegger, h. arendt,
derrida, etc. il a écrit une grande quantité de comptes-rendus, de commentaires de
traductions, d’articles sur la théorie de la traduction (les meilleurs d’entre eux sont
entrés ensuite dans la composition du livre Le mot et l’événement [slovo i sobytie]). les
traductions de textes théologiques ont été publiées sous un pseudonyme, Veniaminov.
b. est surtout connu comme traducteur de heidegger, de ses articles et de son traité
Être et temps. la pensée d’heidegger a toujours été particulièrement importante pour
b. dans son cycle de cours « le jeune heidegger » (début des années 90), fait sur deux
ans, les œuvres de jeunesse du philosophe allemand sont lues non comme quelque
chose d’immature et de préliminaire, mais plutôt comme une sorte de commentaire
à l’œuvre de la maturité. la majeure partie des cours et des séminaires est consacrée
à la lecture et à l’explication d’Être et temps, de même que les derniers séminaires à
l’institut de philosophie de l’acad. des sciences (automne 2004) et le dernier article.
b. a été lauréat du booker prize pour son livre La Nouvelle Renaissance et son Ludwig
Wittgenstein a été élu « livre de l’année » pour la philosophie.
Œuvres : Âzyk filosofii, M., 1993, 2002 (éd. revue et complétée), spb., 2007 ; Mir, tomsk,
1995, spb., 2007 ; Uznaj sebâ, spb., 1998 ; Novyj renessans, M., 1998 ; Slovo i sobytie, M.,
2001 ; « filosofiâ prava », « filosofiâ i τέχνη », « Vladimir solov’ev čitaet rigvedu »,
« rozanov, leont’ev i monastyr’ », in : Al’manah. Žurnal nablûdenij, n° 1, (« iz
nablûde-nij domašnih ») ; Drugoe načalo, spb., 2003 ; Aleksej Fëdorovič Losev. Sergej Sergeevič
Averincev, M., institut st Thomas, 2004, 2006 ; Vitgenštein : smena aspekta, M., institut st
Thomas, 2005 ; Vvedenie v filosofiû prava, M., 2005 ; Vnutrennââ forma slova, spb. s. d. ;
Rannij Heidegger, M., institut st Thomas, 2009 ; Grammatika poèzii, spb., 2009 ; Čtenie
filosofii, spb., 2009.
o. lebedeva / trad. f. lesourd
BIBLER Vladimir (1918-2000) – Études à la faculté d’histoire de l’univ. de M.,
ache-vées en 1941. son premier champ de recherches porte sur l’histoire des sciences, plus
spécialement sur l’histoire de la mécanique classique (descartes, newton et au-delà).
Mais l’histoire au sens usuel (évolution, transformation des concepts et des méthodes)
devient un tremplin pour une réflexion philosophique qui le conduit à organiser, dans
les années 60, un groupe de recherches informel regroupé sous la rubrique «
bibler
rologie » (terme dont le sens sera précisé plus tard). ce groupe se choisit comme
patronyme Arché [arhe] (terme directement pris au grec – origine, commencement
– et qui a valeur de programme, comme on le verra un peu plus loin) ; il s’associe un
certain nombre de jeunes chercheurs, entre autres, a. akhoutine*, l. toumanova, t.
dlougatch, ia. liakter, etc. il mènera ses activités hors institution, « dans la cuisine »,
comme ce fut le cas de la recherche vivante en urss du temps de brejnev. b. a centré
ses recherches sur la notion de « culture », couplée de façon dynamique et critique
avec celle de science. en témoigne l’ouvrage sans doute le plus central dans sa
pro-duction : De la théorie de la science à la logique de la culture [ot naukoučeniâ k logike
kul’tury] (1991), qui condense les réflexions poursuivies par l’auteur depuis son
pre-mier ouvrage marquant : La Pensée comme travail créateur [Myšlenie kak tvorčestvo]
(1975). le socle de ces réflexions est constitué par une méditation de ce qui a
mo-bilisé les temps modernes et qu’on désignera par le terme de « naoukooutchénié »
[naukoučenie], transposition de l’allemand Wissenschaftslehre, terme consacré par
fichte mais qui renvoie aussi bien à descartes qu’à nietzsche et aux postkantiens.
tout le parcours de b. témoigne d’une liberté d’interprétation qui ne s’asservit pas à la
lecture de surface (doctrinale) des textes. ce concept implique un face à face exclusif
entre un sujet (« Je ») et son objet (« chose », « matière », « mouvement », etc.) qui se
justifient réciproquement jusqu’à leur quasi-fusion dans un savoir absolu (hegel) où
s’abolit la distance entre les deux pôles. savoir et système coïncident rigoureusement.
or vu sous cet angle, il entre en déshérence au tournant du siècle (xix
e-xx
e) où se
cherche et s’invente un tout autre « régime », caractérisé pour l’essentiel par la
plura-lisation des pôles, avec la démultiplication conjointe des sujets (individus et groupes)
et des objets. la physique elle-même entre en crise, ce dont témoigne la théorie de
n. bohr sur la complémentarité d’hypothèses divergentes ; il en va de même dans le
domaine des « sciences humaines », avec la prise en compte problématique des
uni-vers multiples constitués par les traditions, les valeurs, les langages ; cette nouvelle
constellation trouve son centre dans la notion de « culture », qu’il faut entendre ici
comme le lieu d’interférences croisées, ambivalentes, conflictuelles qui conduisent
à l’émergence d’une autre image du travail de la pensée, ressaisie comme « œuvre »,
« production » [proizvedenie], par quoi b. entend marquer que rien n’est reçu qui
ne soit transformé, recréé, ou tout simplement créé, sur fond d’horizon ouvert et
déplaçable. bakhtine*, « découvert » dans les années 70, va permettre à b. d’ouvrir
davantage encore son champ de recherches. il figure en quelque sorte l’antonyme de
hegel, dans la mesure où, avec la découverte du « dialogique », il fournit une autre
image du « sujet », démultiplié, divisé, en confrontation avec l’autre ; mais, au-delà de
la transformation qui en découle pour l’idée de « conscience », c’est toute la théorie de
la pensée qui se trouve inversée et renouvelée, c’est une autre « logique » qui entre en
conflit avec le discours dont les temps modernes se sont fait les champions. l’« idée »
n’est plus la somme achevée des différents flux de pensée qui se recentrent et se
trans-figurent dans leur accomplissement même (hegel), elle se montre désormais comme
« le sens même de l’être, appelé à devenir réalité sous la forme du dialogue tendu à
l’extrême entre deux (au minimum) cultures » (Mikhaïl Bakhtine ou la Poétique de la
culture [M.M. bahtin, ili poètika kul’tury], p. 150). deux cultures, ou deux sujets, ce
qui est pratiquement équivalent : penser, c’est s’inventer soi, et réinventer le monde,
dans l’affrontement d’intentions qui consonnent dans leur divergence même parce
qu’elles sont investies de la même dignité. b. prend le risque de découvrir, sous le
bibler
bakhtine usuel, une figure autrement plus fondamentale pour la transformation de
Dans le document
Dictionnaire de la philosophie russe
(Page 77-83)