vi-vante. ce processus de rejet prend chez b. le nom d’« emblématisation du sens ». il
appelle nécessairement un nouveau type de rationalité, lié à la découverte en
nous-mêmes du cheminement intérieur de la pensée. seule l’intégration de ce nouveau
« cheminement de la pensée », de cette « con-science-de-soi » peut déboucher sur un
acte de pensée vivant, humain, permettre à la conscience d’acquérir sa propre
his-toire, sa physionomie. la dynamique de la pensée vivante se révèle non dans des lois
logiques et formelles, mais dans celles, stylistiques et rythmiques, de pensées-formes
musicales visibles. la découverte du cheminement intérieur de la pensée commence
aussitôt qu’on prend conscience de ses fondements ontologiques, sophianiques. la
philosophie est née comme un Éros, un élan vers la connaissance et la sagesse, vers la
Sophia. en étrécissant la sphère de la pensée, en la cantonnant dans la connaissance
rationnelle, la philosophie contemporaine a, pour b., coupé celle-ci de sa source
vi-vante : « en elle, la raison “dépouillée”, ou la raison kantienne… se jette dans les
gouf-fres d’un sens détaché de l’existence » (« la crise de la culture » [krizis kul’tury] in :
Na perevale [au col], iii. cf. bibl.). c’est pourquoi cette pensée sclérosée, desséchée,
est incapable de traiter les problèmes de la vérité, du sens, de l’existence de l’homme :
« …si le savoir est aussi savoir sur le sens de l’existence, la science n’en est pas encore
un » (Le Symbolisme, p. 56). Quant à la tentative pour déduire du système des
scien-ces exactes une vision du monde, elle a abouti à ce que le monde ne puisse plus faire
l’objet que d’interprétations particulières et non universelles, « la philosophie en tant
que science spécialisée est devenue, selon les époques, histoire de la philosophie,
sociologie, psychologie voire même thermodynamique ; si ceci s’est produit, c’est
parce qu’à différentes époques, les différentes méthodes propres à des sciences
parti-culières ont voulu apporter des réponses à des questions sur le sens de la vie » (Le
Symbolisme, p. 53). les efforts de b. pour découvrir les fondements ontologiques et la
place de la créativité individuelle dans toutes les formes de l’existence, du savoir et de
la création artistique, l’ont convaincu que « le sens de la vie n’est pas dans son objet,
mais dans la personnalité objectivée… la création qu’est la vie ressortit au mystère de
la personnalité ; les fins objectives de l’existence (édifier la science, l’art, la société)
sont les emblèmes extérieurs des mystères de la création vécus personnellement. la
science du vivre est un acte de création individuelle, alors que les règles d’usage
uni-versel ne sont que les masques derrière lesquels se dissimule la personne » (Arabesques,
p. 215). l’art et la philosophie actuels ont scindé l’unité du « Moi » humain entre
l’homme des sens et de la sensibilité, et celui de la ratiocination, de la méthodologie.
pour b., l’histoire de l’homme vivant, de l’homme un, commence seulement quand
celui-ci se saisit en tant que créature spirituelle. c’est dans la révélation de l’esprit
comme plénitude en puissance de la tout-humanité que le sens vivant, créateur de
l’existence humaine trouve son accomplissement. Quand il critique l’ancienne
appré-hension, rationaliste, de la conscience, b. critique en même temps radicalement le
dogmatisme de l’Église chrétienne. la foi dans le dieu « irrationnel » d’une Église
agonisant dans ses rituels n’est pas capable de dégager l’impulsion spirituelle
qu’en-gage l’enseignement du christ. « nulle part, a-t-il noté, la passion révolutionnaire n’a
atteint une tension aussi grande que dans les invectives que la nouvelle conscience
religieuse fait pleuvoir sur l’Église historique. il n’est pas étonnant que dans leur effort
pour prouver le bien fondé de leurs idées en matière de religion, ses tenants doivent
biÉlY
en appeler à la conscience humaine libre. ils prennent l’homme et lui seul,
indépen-damment des préjugés de nationalité ou de classe » (« la social-démocratie et la
re-ligion » [social-demokratiâ i religiâ], in : Pereval, p. 28, cf. bibl.). le dogme chrétien,
par les paroles de l’apôtre paul « ce n’est pas moi, mais le christ qui est en moi », a
libéré le « moi » individuel en lui ouvrant la voie d’un perfectionnement infini. les
aspirations symbolistes de b. à élaborer une doctrine de la vie, de la pensée, de la
conscience et de la culture vivantes coïncidaient avec les propositions fondamentales
de l’enseignement anthroposophique de r. steiner, dont b. avait fait la connaissance
en allemagne en 1912. Évoquant l’influence de r. steiner, b. a fait remarquer que son
propre symbolisme n’en faisait qu’être « plus symboliste encore ». b. a décrit
l’évolu-tion de sa pensée après sa rencontre avec l’anthroposophie** comme le passage de
« l’idée d’organiser le savoir » à celle d’« organiciser l’organisation ». ses travaux « la
crise de l’existence » [krizis žizni], « la crise de la pensée » [krizis mysli], « la crise
de la culture » [krizis kul’tury] et « lev tolstoï et la crise de la conscience » [lev
tolstoj i krizis soznaniâ], que b. a rédigés dans les années 1920, révèlent l’unité
orga-nique de la culture de la pensée que représente l’idée vivante de la conscience. pour
b., la culture, coupée de ses racines religieuses, devient voiement, égarement
dé-moniaque. seule la découverte d’une unité universelle incluant l’humanité toute
en-tière peut permettre à l’homme de réaliser l’aspiration qui le porte vers la vérité, le
bien et le beau, et trouver le sens et le chemin de sa vie. dans sa propre existence, b.
essayait d’échapper à l’esprit de simplification, au souci de cohérence, à la volonté de
démonstration, pour découvrir son « Moi » dans les multiples visages de la création.
Qu’on tentât de le coucher sur le lit de procuste d’une activité exclusivement
litté-raire, b. s’indignait vivement : « la vie d’écrivain que j’ai menée n’est qu’un des
possi-bles pour moi, et pour ce qui est de mon moi d’écrivain, je l’ai toujours considéré de
manière détachée, sinon à contrecœur, avec humour, et parfois même, avec une
acri-monie évidente » (Le « Moi »-épopée [« Â »-Èpopeâ], in : Carnets des rêveurs [Zapiski
mečtatelej], p. 45, cf. bibl.). dans son aspiration à spiritualiser, à transfigurer la vie, b.
s’est beaucoup investi dans la vie sociale de son temps. il a présidé les associations
libres de philosophie de leningrad (Volfila) et de M., puis de berlin (1921-1922), le
département de théorie de l’institut des sciences théâtrales de leningrad (1920), il a
été conférencier puis conseiller pour le Proletkult (M., 1918-1919), et a travaillé au
département du patrimoine (1919).
Œuvres : « social-demokratiâ i religiâ », in : Pereval, M., 1907, n° 5 ; Simvolizm. Kniga
sta-tej, M., 1910 ; Arabeski. Kniga statej, M., 1911 ; Lug zelenyj. Kniga statej, M., 1910 ; Na
pe-revale, pg., 1918-1920, i-iii ; Rudol’f Štejner i Gete v mirovozzrenii sovremennosti, M., 1917,
rééd. M., 2000 ; Revolûciâ i kul’tura, M., 1917 ; Hristos voskres, pb., 1918 ; « Â »-Èpopeâ, in :
Zapiski mečtatelej, M., 1919, n° 1 ; O smysle poznaniâ, pg., 1922 ; Sirin učënogo
varvars-tva (po povodu knigi V. ivanova Rodnoe i vselenskoe), berlin, 1922 ; Ritm kak dialektika
i Mednyj Vsadnik, M., 1929 ; Simvolizm kak miroponimanie, M., 1994 ; Kritika. Èstetika.
Teoriâ simvolizma, v 2 t., M., 1994 ; Duša samosoznaûĉaâ, M., 1999 ; Sobr. soč. v 6 t., M.,
2003-2004.
Études : Močuls’kij k., Andrej Belyj, p., 1955 ; dolgopolov l., « neizvedannyj materik
(Zametki ob a. belom) », in : Voprosy literatury, 1982, n° 3 ; coll. : Andrej Belyj. Problemy
tvorčestva., M., 1988 ; Čistâkova È. i., « o simvolizme a. belogo », in : Vestnik MGU.
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2006 ; demin V., Andrej Belyj, M., 2007 ; lavrov a. V., Andrej Belyj. Razyskaniâ i ètûdy, M.,
2007 ; Andrej Belyj : pro et contra, M., 2004 ; belous V. G., Petrogradskaâ Vol’naâ Filosofskaâ
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me-todologii, tomsk, 1997.
È. i. tchistiakova / trad. c. bricaire
BITSILLI piotr (1879, odessa-1953, sofia) – historien, culturologue, linguiste, l’une
des figures du mouvement eurasien*. en 1905 finit ses études de lettres et d’histoire à
l’univ. de novorossiïsk (odessa). en 1910, élu privat-docent** au département
d’his-toire générale. dans le même temps, enseigne aux cours supérieurs féminins
d’odes-sa. en 1917, soutient à l’univ. de petrograd une thèse de magistère** sur « salimbene.
esquisses de la vie italienne au xiii
es. » (cf. bibl.) ; enseigne à l’univ. de novorossiïsk.
en 1920, émigre en serbie, où il travaille comme instituteur. ensuite, maître de
confé-rences en histoire générale à l’univ. de skopje, puis, à partir de 1924, professeur
d’histoire moderne et contemporaine à l’univ. de sofia. il mène de front son activité
d’enseignant-chercheur et une collaboration à différents périodiques russes de
l’émi-gration – Rousskie zapiski, Tchisla, Zvéno –, à la revue annuelle de l’univ. de sofia
et à La pensée bulgare. il publie souvent dans les Sovremennye zapiski. il se rallie au
mouvement eurasien, dont il partage les idées de base. Mais à la fin des années 20,
quand le mouvement s’engage dans une phase de crise et de scission, il publie un
certain nombre d’articles très critiques à son égard (« le national et l’humain : à
pro-pos des Chroniques eurasiennes » [narodnoe i čelovečeskoe : po povodu Evrazijskogo
vremennika] (1925) ; « deux visages de l’eurasianisme » [dva lika evrazijstva] (1927),
etc.). après la guerre, le nouveau pouvoir bulgare range b. au nombre des enseignants
« d’orientation bourgeoise » et en 1948, il perd son travail à l’univ. ensuite il ne publie
pratiquement plus rien, à l’exception de son dernier travail scientifique, Remarques
sur certaines particularités dans le développement du russe littéraire [Zametki o
nekotoryh osobennostâx razvitiâ russkogo literaturnogo âzyka] (1953). son étude de
1919 Eléments de la culture médiévale [Èlementy srednevekovoj kul’tury] définit le
monde de l’homme médiéval, les formes et les catégories exprimant la façon dont
sa conscience appréhendait et ressentait l’univers et la société de son temps. en cela
il préfigurait l’approche de ces mêmes problèmes par le Goff, ariès, Gourévitch et
autres. dans ses Esquisses d’une théorie de l’histoire [očerki teorii istoričeskoj nauki]
(1925), b. a exposé et fondé sa méthode scientifique. suivant les traditions de la
mé-thodologie positiviste (karéiev*, klioutchevski*), b. critiquait la métaphysique
sous-jacente à la philosophie de l’histoire*, estimant que les problèmes de théorie générale,
en histoire, étaient la prérogative de la sociologie. dans sa conception, l’histoire
ac-quiert les attributs d’une science « idéographique ». il propose un schéma original du
processus suivi par l’histoire universelle. dans son article « l’“est” et l’“ouest” dans
l’histoire du Vieux continent » [« Vostok » i « Zapad » v istorii starogo sveta] (1922),
il présente le “Vieux continent” comme un système complexe de civilisations à
va-leur locale reliées durant de nombreux siècles, malgré toute va-leur dissemblance, par
des liens économiques, politiques et intellectuels. c’est en envisageant le problème
orient-occident* sur le mode de l’intégration qu’il définit le rôle spécifique joué par
la russie dans le processus de l’histoire mondiale.
blaVatski
Œuvres : salimbene : Očerki ital’ânskoj žizni XIII veka, odessa, 1916 ; Padenie Rimskoj
impe-rii, odessa, 1919 ; Èlementy srednevekovoj kul’tury, odessa, 1919 ; « “Vostok” i “Zapad” v
is-torii starogo sveta », in : Na putâh. Utverždenie evrazijcev, berlin, 1922, livre 2 ; « narodnoe i
čelovečeskoe : po povodu “evrazijskogo vremennika” », berlin, 1925, livre 4, in : Sovremennye
zapiski, 1925, n° 25 ; « dva lika evrazijstva », Ibid., 1927, n° 31 ; « naciâ i narod », Ibid.,
111 928, n° 37 ; « naciâ i gosudarstvo », Ibid., 1929, n° 38 ; Izbr. trudy po filologii, M., 1996 ;
Mesto renessansa v istorii kul’tury, spb., 1996 ; Tragediâ russkoj kul’tury, M. 2000.
Études : kaganovič b. s., « p. M. bicilli i ego kniga Èlementy srednevekovoj kul’tury », in :
p. M. bicilii, Èlementy srednevekovoj kul’tury, spb., 1995 ; kaganovič b. s., « p. M. bicilli
i kul’tura renessansa », in : p. M. bicilli, Mesto renessansa v istorii kul’tury, spb., 1996 ;
Vomperskij V. G., « pëtr Mihajlovič bicilli. Žiznennyj i tvorčeskij put’ », in : bicilli p. M.,
Izbr. trudy po filologii, M., 1966 ; levčenko V. l., « kul’tura kak duhovnyj kontekst èpohi
v rabotah bicilli », in : Trudy seminara po germenevtike (Germeneus), odessa, 1999, 1 ;
Vasil’eva M., « put’ intuicii », in : bicilli p. M., Tragediâ russkoj kul’tury, M., 2000 ; Ždanova
G. V., Evrazijstvo. Istoriâ i sovremennost’, kaluga (kalouga), 2004.
G. V. Jdanova / trad. f. lesourd
BLAVATSKI hélène (1831, ekaterinoslav, aujourd’hui dniepropetrovsk-1891,
londres) – théosophe (cf. Théosophie*), femme de lettres, polémiste. née dans une
famille de militaires, élevée dans la religion orthodoxe, elle reçoit à la maison une
so-lide éducation. À partir de 1848, elle voyage pendant 10 ans dans différents pays
d’eu-rope, visite l’Égypte, la perse, la syrie, le canada, le Mexique, l’inde, singapour, les
États-unis. c’est en 1851 qu’elle rencontre à londres son maître, le mahatma Morya,
descendant des souverains du pendjab et chef de l’école philosophique ésotérique de la
confrérie blanche issue d’un monastère tibétain. b. commence alors à recevoir son
enseignement, dont une des conditions nécessaires consiste à soumettre sa nature
physique aux exigences du perfectionnement spirituel. après de longues épreuves
d’initiation, b. est admise à l’âge de 33 ans dans un ashram de la confrérie blanche
dans l’himalaya. pendant trois années, sous la direction de maîtres mahatmas, elle y
reçoit l’enseignement nécessaire à la révélation de la doctrine secrète. en 1880, à Galle
(ceylan), elle sera initiée au bouddhisme ésotérique (« doctrine du cœur »). ses
maî-tres lui confient la mission d’être la première messagère de la doctrine secrète en
occident. c’est à cette fin qu’avec le colonel américain henry steel olcott elle fonde à
new York en 1875 la société théosophique, dont le siège est transféré en 1879 en inde,
d’abord à bombay puis à adyar (dans la banlieue de bombay), où il est resté jusqu’à ce
jour. les buts de la société théosophique sont 1) de révéler les principes de l’unité
spi-rituelle de l’humanité et de la fraternité universelle, 2) de promouvoir l’étude comparée
des anciennes religions et de la philosophie pour reconstituer un système éthique
uni-que, 3) d’étudier les phénomènes psychiques en vue d’empêcher la diffusion du
spiri-tisme. le développement du mouvement théosophique se heurta à l’hostilité des
mi-lieux cléricaux et des tenants du spiritisme. b. fut accusée de truquer les phénomènes
psychiques qu’elle suscitait pour démontrer la vérité des idées théosophiques. en 1887
elle retourne à londres, où elle fonde (1888) l’École ésotérique et une imprimerie pour
publier la littérature théosophique. elle expose sa doctrine ésotérique dans des
ouvra-ges comme Isis dévoilée [razoblačennaâ izida] (deux vol., 1877), La Doctrine secrète
[tajnaâ doktrina] (deux vol. 1888), La Clef de la théosophie [klûč k teosofii] (1890) et
dans des articles publiés dans des revues comme The Theosophist, Pout*, Lotus, Lucifer
[le « porteur de lumière »]. les fondements de la cosmogénèse et de l’anthropogénèse
du point de vue de la théosophie sont exposés dans La Doctrine secrète. b. estimait
blaVatski
cependant qu’une partie seulement de l’enseignement ésotérique transmis était
acces-sible à l’entendement – « ce n’est que le premier tour de clef ». le second « tour de
clef » dépend du niveau de développement spirituel de l’individu et de ses capacités de
compréhension intuitive (de connaissance « par le cœur »). À la base de la doctrine de
b. on trouve les thèses suivantes : 1) il existe une réalité impersonnelle, une,
transcen-dante et dépourvue d’attributs, ou absolu, qui est illimitée dans le temps et dans
l’es-pace, comprend toutes choses et ne peut être décrite. sur le plan de l’objectivité,
l’uni-té absolue se manifeste comme substance cosmique éternelle (mulaprakriti), et dans
le monde de la métaphysique comme esprit de l’univers, comme pensée première
cos-mique ou Logos. celui-ci constitue la base de l’aspect subjectif de l’être manifesté et est
la source de toutes les manifestations de la conscience individuelle. « le Logos est le
miroir qui reflète la raison divine, et l’univers est le miroir du Logos » ; 2) le cosmos
est régi par un principe hiérarchique et l’inférieur y est soumis au supérieur. le Logos
ou principe créateur suprême est représenté par les hiérarchies créatrices de
Dans le document
Dictionnaire de la philosophie russe
(Page 87-91)