aux ouvriers et à l’intelligentsia ouvrière. le ch. de J. n’a donc rien d’un mouvement
homogène. le désir de porter des jugements réalistes sur la situation historique
s’ac-compagne souvent chez ses partisans de considérations abstraites et théoriques ; leur
ferme volonté de reconnaître la révolution et le pouvoir soviétique, ou encore l’appel
à collaborer avec ce dernier en vue d’une renaissance de la russie coexistent avec des
cherchÉniÉVitch
élucubrations plutôt vagues quant à la future organisation sociale. leur point de vue
exigeait dans ces conditions beaucoup de courage personnel. ils étaient en butte à des
critiques virulentes émanant de la partie irréductible de l’émigration. sous l’influence
du ch. de J., les représentants de l’intelligentsia reviennent dans leur patrie d’origine
par milliers. la politique du pouvoir soviétique à leur égard se base sur les résolutions
de la xii
econférence du parti et sur les directives de lénine* quant à la façon d’utiliser
ce qui peut être bon et utile dans ce mouvement, au plan de l’organisation
économi-que et culturelle, à l’exception de tout ce qui contredit l’idéologie dominante. leurs
opinions trouvent un écho dans la presse, on les autorise à donner des conférences, à
organiser des débats et des réunions avec l’intelligentsia à l’intérieur du pays. certains
leaders du mouvement (klioutchnikov, potekhine, bobrichtchev-pouchkine), à leur
retour en russie, occupent des postes à responsabilité au sein de l’État. Mais un grand
nombre de « ceux qui sont rentrés au pays », dont plusieurs dirigeants du ch. de J.,
eurent un sort tragique. Vers le milieu des années 1920, une fois stabilisées les
posi-tions de la plus grande partie de l’intelligentsia, le ch. de J. arrive en bout de course.
pourtant, sans lui, le tableau de cette période charnière dans l’histoire russe serait
incomplet. ses idées philosophiques et sociales sont partie intégrante de la culture
russe post-révolutionnaire.
Œuvres : Smena veh. sb. statej Û. V. klûčnikova, n. V. ustrâlova, s. s. luk’ânova, a. V.
bobriĉeva-puškina, s. s. Čahotina i Û. n. potehina. pr., 1921 ; en franç. : Le Changement de
jalons, trad. et prés. par Yves-Marie cosson, l’age d’homme, 2005 ; Smena veh. eženedel’nyj
žurnal, réd. Û. V. klûčnikova, p., 1921-1922 ; ustrâlov n. V., V bor’be za Rossiû, kharbine
[harbin], 1920 ; du même auteur : Pod znakom revolûcii, kharbine [harbin], 1925.
Études : coll., O smene veh, spb., logos, 1922 ; Manujlov V. i., dve paradigmy. opyt
sovre-mennogo pročteniâ “smeny veh”, in : Polis, 1991, n° 3, s.138-147 ; hardeman h., Coming to
Terms with the Soviet Regime. The “Changing Signposts” Movement among Russian Emigrés
in the early 1920s, northern illinois university press, 1994.
V. p. kocharny / trad. c. brémeau
CHERCHÉNIÉVITCH Gavriil (1863, région de kherson-1912) – sociologue,
phi-losophe du droit. Études à l’univ. de kazan, où il soutient ses thèses de magistère**
puis de doctorat et enseigne de 1888 à 1906 le droit civil. de 1906 à 1911 il enseigne à
l’univ. de M., et enfin à l’École de commerce de cette même ville et à l’univ. populaire
de chaniavski**. le fondement méthodologique de sa doctrine est le positivisme*, les
idées du social-darwinisme, du matérialisme économique* et de différentes écoles en
psychologie. son point de départ est l’examen d’une hypothèse anthropologique qui
consisterait à isoler de la société un homme « possédant son existence propre, et en
situation d’avoir à la défendre ». ce qui sert de base à ses actes, c’est l’organisation
biologique, l’instinct de conservation, dans la mesure où, lorsque l’impact de la sphère
sociale se trouve affaibli, c’est précisément le principe primitif, le principe de nature,
qui évince le principe de culture. en même temps, c’est bien la société qui forme
chez l’individu des besoins sociaux (par ex. le besoin de communiquer) qui, à côté de
besoins physiques (vêtements, nourriture, logement) et psychiques (la connaissance,
l’art) permettent la manifestation sociale de l’instinct de conservation. selon ch., il
y a une étape précise du développement historique qui voit apparaître une réunion
d’individus (la société) ayant pour caractères spécifiques l’intérêt commun, la
coopé-ration*, l’organisation. dans une formation sociale construite sur l’intérêt commun à
tous les individus, sa cohésion, sa capacité à perdurer, dépendent de ce qu’elle est en
cherchÉniÉVitch
mesure ou non de faire prévaloir les intérêts communs sur les intérêts particuliers.
comme l’activité humaine est fondée sur l’efficacité, la société doit être organisée
se-lon des critères normatifs. la fonction d’organisation est remplie par des normes
so-ciales qui s’enracinent dans l’instinct de conservation de la société et sur lesquelles se
règle la conduite sociale des gens. bien que seule la personne ait une existence réelle,
la société n’étant qu’une forme de ses manifestations vitales, les rapports sociaux ont
une existence objective. l’individu n’aspire pas seulement à élargir la sphère de son
autonomie qu’il tend à soustraire à toute immixtion possible de la société, il est aussi
attiré vers cette dernière. tout au long de l’histoire, l’homme ne cesse de se socialiser,
il se forme en lui une dépendance atavique par rapport à la société, l’existence sociale
devient sa seconde nature. cependant le point d’équilibre entre l’individuel et le social
ne peut jamais être atteint. c’est pourquoi ch. voit le progrès humain comme
l’élimi-nation progressive de tout ce qui fait obstacle au bonheur (la satisfaction complète
des besoins individuels), chose irréalisable en définitive. c’est l’État et le droit* qui
oc-cupent la place essentielle dans le système des relations personne-société, le premier
(l’État) ayant la primauté historique et logique sur le second. apparu originellement
aux fins de pourvoir à la sécurité extérieure, le pouvoir de l’État passe ensuite dans le
domaine de la gestion intérieure, pour laquelle se dégage un ensemble particulier de
normes. le respect du droit, conçu par ch. comme loi et exigence de l’État, est fondé
sur la peur du châtiment. c’est ce qui détermine les autres manières de se comporter
au regard du droit (la conscience morale, le sentiment de la légalité, la conscience de
son intérêt personnel) : elles se présentent comme un égoïsme modifié, résultat d’une
transmutation. le droit est toujours l’expression de l’intérêt des gouvernants, mais
également le produit de l’égoïsme conjugué du pouvoir et de ses sujets. l’emprise de
l’État, défini comme réunion de personnes précises sous un pouvoir unique et dans
les limites d’un territoire donné, dépend de la cohésion de la société civile et de sa
capacité d’auto-organisation (une cohésion faible va avec un pouvoir fort, et
inverse-ment). le pouvoir de l’État doit primer sur tout autre à l’intérieur de la société, mais,
quand il devient plus fort que la société elle-même, cette hypertrophie est dangereuse.
l’instinct de conservation incite les gouvernés à se soumettre (pour ne pas laisser
place à des changements politiques négatifs), et l’État, de son côté, à maintenir son
pouvoir dans certaines bornes. ch. défend la thèse selon laquelle l’État n’est pas lié par
le droit, il est au-dessus de lui, le pouvoir de l’État est une force et non un droit. ainsi,
lorsque le peuple se révolte, cela relève de la vie et n’a rien à voir avec le droit, c’est la
lutte de deux forces (État et révoltés) dans laquelle la partie victorieuse crée son
pro-pre droit. il n’en demeure pas moins, selon ch., que le pouvoir de l’État se distingue
de l’arbitraire. l’État, une fois les normes établies, est dans l’obligation de les respecter
et d’en tenir effectivement compte, condition indispensable pour assurer la relative
stabilité du régime politique considéré. Mais la loi n’est pas une substance, c’est une
fonction, et son respect n’est qu’une résultante, il dépend de facteurs premiers qui
sont l’État et la société eux-mêmes. c’est pourquoi lui-même étant souvent issu de
l’arbitraire, un état est toujours capable de se détourner du droit pour l’échanger à
nouveau contre l’arbitraire. une relative garantie contre ce genre de métamorphose se
trouve, selon ch., dans le progrès culturel au sens large, processus au cours duquel la
légalité s’enracine de plus en plus profondément dans la psychologie, et la soumission
à la loi devient un trait inamissible d’une société moderne. en 1897, dans la revue
Voprosy filososfii i psikhologii*, ch. a publié un article consacré à La justification du
Dans le document
Dictionnaire de la philosophie russe
(Page 119-122)