dviženie v Rossii, ego teoriâ i praktika, M., 1913 ; Čaânov a. V., Osnovnye idei i formy
orga-nizacii krest’ânskoj kooperacii, M., 1919.
e. G. lavrik / trad. c. brémeau
CORRESPONDANCE D’UN COIN à L’AUTRE [Perepiska iz dvuh uglov] – œuvre
de Viatcheslav ivanov* et Mikhaïl Gerschenson*, témoin de la renaissance religieuse
du début du xx
es. (cf. nouvelle conscience religieuse*). reflète l’état d’esprit de
l’in-telligentsia* russe dans les années de crise spirituelle qui suivirent la première Guerre
mondiale et la révolution. les deux auteurs (Viatcheslav ivanov, le poète, et Mikhaïl
Gerschenson l’historien de la pensée russe) partageaient, l’été 1920, à M., la même
chambre d’une « maison de santé » pour « travailleurs de la science et des lettres ».
c’est là que du 17 juin au 19 juillet s’engagea entre eux une « correspondance ». ces
douze lettres furent ensuite publiées pour la première fois à pr. en 1921. la base du
livre est un dialogue sur la culture, dieu, les valeurs humaines, les liens du patrimoine
intellectuel avec la modernité. on peut définir la position d’ivanov comme une
ad-hésion optimiste à la notion de culture, portée par sa foi dans le sens de la vie, les
po-tentialités créatrices de l’homme, la signification religieuse de l’activité intellectuelle.
Gerschenson, au contraire, occupait une position nihiliste face à la culture, estimant
que le xx
esiècle, inauguré par des guerres et des révolutions, allait vers la
reconnais-sance d’une rupture globale entre conscience culturelle et volonté personnelle, vers
la négation des valeurs de la culture européenne tuée par l’abstraction et l’esprit de
système. devant l’impression de fausseté et d’« inauthenticité » que lui inspirait la
culture, il rêvait de voir noyés dans le fleuve de l’oubli, « comme un fardeau
impor-tun », tous les acquis intellectuels de l’humanité en bloc, « le souvenir de toutes les
religions, de tous les systèmes philosophiques, de toutes les connaissances, de tous les
arts, de toute la poésie [… pour] regagner le rivage nu, allègre et léger tel le premier
homme ». À la suite de J.-J. rousseau, il rêvait d’une pleine liberté de l’esprit :
l’huma-nité devait se libérer de toute connaissance non acquise « au prix d’une expérience
vivante » et d’une science « générale et impersonnellement démontrée », qui a «
en-vahi [l’] esprit séduit par la solidité de sa documentation » et dont le « caractère
indis-cutable » « glace » l’âme. une tradition exsangue, un lien perdu avec les générations
antérieures et une mémoire historique impuissante – telle était pour lui la nécessité
interne qui présidait au développement du type culturel national. sa révolte contre
la culture, il la motivait par la désintégration des attaches personnelles et sociales, le
désenchantement devant la valeur jadis exceptionnelle et rédemptrice de la culture
occidentale. d’après lui, les fruits de la création personnelle et collective, échappant à
celui qui les a engendrés, commencent à vivre d’une vie autonome, donnant naissance
à de nouvelles productions, étrangères à leur premier créateur. les productions de
la culture se multiplient dès lors sans référence à l’homme qui dans ce processus n’a
plus qu’un rôle accessoire. d’artistes libres, les gens sont changés en esclaves dont
l’activité est déterminée de l’extérieur : leurs créations prennent le pas sur eux. l’idéal
de la culture – libre communauté de personnalités créatrices – a débouché, dans la
réalité, sur un travail forcé de tâcherons qui ne comprennent pas le sens de leurs
efforts. néanmoins, les antinomies et le tragique de la culture ne conduisaient pas,
pour Gerschenson, à nier le sens de l’acte créateur. À la suite de nietzsche, il rêvait
d’une nouvelle culture, dont l’essence aurait été que « ce qui est personnel redevienne
entièrement personnel », « mais soit en même temps vécu comme un fait universel,
[de telle sorte que] l’homme reconnaisse dans chacune de ses manifestions, comme
correspondance d’un coin À l’autre
Marie, et son enfant et dieu ». ivanov partageait cet idéal. Mais il se représentait
autrement le chemin qui y menait. si, pour Gerschenson, l’unique condition,
l’uni-que base pour construire dans l’avenir une « culture authentil’uni-que », c’était la personne
autonome et se suffisant à elle-même, pour ivanov, en revanche, la véritable liberté
créatrice était à chercher non en détruisant les vestiges du passé, mais en ayant la
foi, cette « mort dans le feu selon l’esprit ». défendant la notion d’héritage culturel, il
tendait à montrer que, s’il avait quelque chose d’oppressant, c’est que la culture était
vécue « non pas comme un radieux tabernacle de dons, mais comme un système de
contraintes subtiles ». il adhérait à la culture, parce qu’il voyait en elle une affaire
di-vine et un sens absolu. il était donc possible de l’habiter sans se dissoudre en elle. si
la conscience était « immanente » à la culture, elle tomberait effectivement sous son
joug. Mais si la conscience est « en partie immanente » et « en partie transcendante »
à la culture (c’est-à-dire si elle déborde ses limites), alors elle est libre. la foi religieuse,
qui pénètre de liberté les achèvements humains, est le royaume de la culture. Mais
ivanov voyait aussi dans la culture elle-même un principe sacré – mémoire vivante,
éternelle, par laquelle les prophéties des générations disparues inspirent les hommes
d’aujourd’hui (« en elle aussi il y a quelque chose de vraiment sacré ; elle n’est pas
seulement le souvenir de l’aspect extérieur, du visage terrestre des aïeux, elle
repré-sente encore les initiations qui lui furent départies, un souvenir vivant, éternel… »).
dans sa volonté de justifier l’histoire et la culture, il se laissait guider non par le donné
empirique, mais par les symboles de la révélation, par le sens jadis infusé en eux. le
monde des valeurs authentiques ne lui apparaissait pas comme un système achevé.
l’isolement volontaire de l’individu était pour lui une impasse, il faisait perdre le sens
du réel. l’homme, sous cet angle, était un pont entre le céleste et le terrestre. la
voca-tion de la personne était de chercher à résoudre le problème fondamental que posent
tous les hommes dans leurs efforts créateurs : sanctifier la « corruption » terrestre par
les plus hautes valeurs célestes. Malgré leurs divergences quant aux moyens de
résou-dre les antinomies de la liberté créatrice et de la tradition culturelle, les deux
adver-saires se retrouvaient dans une même vision de la question. la culture, pour eux, était
un phénomène qui avait besoin non seulement d’une explication, mais aussi d’une
justification, morale, religieuse, sociale, esthétique. la pensée « transcende la culture,
car elle la juge » (b. de schlözer). en occident, ce problème avait été posé pour la
première fois par nietzsche. en russie, il était devenu l’une des questions centrales de
la pensée philosophique au tournant du siècle. dès sa parution, la c. suscita des
com-mentaires passionnés en russie et à l’étranger. elle connut une deuxième vague de
popularité à la fin des années 40, lorsque, après la seconde Guerre mondiale, le débat
sur la culture reprit avec une force nouvelle. cette œuvre trouva un écho important
chez des penseurs du xx
esiècle tels que ortega y Gasset, M. buber, G. Marcel, t.s.
eliot, ch. du bos, a. pellegrini, qui publièrent toute une série d’œuvres voisines d’elle
par leur esprit. elle a été traduite dans les principales langues d’europe occidentale et
du monde slave.
Études : landau G., « Vizantiec i iudej », in : Russkaâ mysl’, pr., 1923. n° 1 ; levitan i.,
« recenziâ na “perepisku iz dvuh uglov” », in : Novaâ russkaâ kniga, berlin, 1920, n° 9 ;
kuz’min M., « Mečtateli », in : Žizn’ iskusstva, 1921, 29 mai ; Voronskij a., « po povodu
od-nogo spora », in : Na styke, M., 1921 ; florovskij G., « V mire iskanij i bluždanij », in : Russkaâ
mysl’, pr., 1922, n° 4 ; Šlecer b., « russkij spor o sovremennoj kul’ture », in : Sovremennye
zapiski, p., 1922, n° 11 ; Šestov l., « o večnoj knige », in : Umozrenie i otkrovenie, p., 1964 ;
dernière éd. en russe : Perepiska iz dvuh uglov (réd. robert bird), M., progress-pleâda, 2006 ;
cosMisMe
en franç. : Correspondance d’un coin à l’autre, l’age d’homme, 1979.
iou. V. sinéokaïa / trad. r. Marichal
COSMISME – conception et appréhension spécifique du monde ; également
parti-cularité de la conscience réflexive si l’on suppose a priori l’unité organique de tout
avec tout et d’abord avec l’univers, « prééminence de l’universel sur l’individuel » (e.
troubetskoï*). il faut distinguer le c. au sens scientifique du c.
philosophico-reli-gieux. le c. est au départ un fait de culture, la conscience que l’humanité a
d’elle-même, dès le tout début de la civilisation. il exprime le reflet du monde environnant
dans la conscience humaine, l’intuition d’un monde tissé d’interrelations et habité
par une sympathie universelle, mais aussi la mythologisation des relations au monde,
l’emprise, sur la pensée en formation, de puissantes forces extérieures menaçantes à
travers lesquelles transparaissaient des sens, des lois, etc. absolus : à l’arrière-plan se
trouvait un cosmos vivant d’une existence supérieure. la notion de c. recouvre des
contenus profondément différents suivant les époques et les cultures. le c. russe,
formé au sein de la culture européenne et participant du c. mondial, possède ses
caractères spécifiques. les valeurs originales de l’histoire et de la culture russes s’y
mêlent à des conceptions scientifiques du monde. le c. russe prend sa source dans les
débuts de la civilisation chrétienne en russie ancienne, dans l’enseignement des pères
de l’Église sur la relation du créateur et de sa créature, dans la vision du cosmos
com-me organiscom-me vivant, en perpétuelle interaction avec le créateur, où l’homcom-me joue un
rôle important. cet enseignement, tout en présupposant que « dieu n’est pas de ce
monde » n’exclut pas « la présence vivante de dieu dans le monde », il se fonde sur la
divino-humanité* du christ qui réunit les deux natures, divine et humaine. les
fon-dements philosophiques du c. russe sont : du point de vue ontologique, les concepts
d’unitotalité* et de structure hiérarchique de l’être, développés par Vl. soloviov*,
boulgakov*, karsavine*, florenski*, Zenkovski*, et al. ; du point de vue gnoséologique,
le « savoir vivant » [Živoznanie] de kiréievski* et de khomiakov*, « le savoir intégral »
[cel’noe znanie] de soloviov (cf. intégralité*), « la conception intégrale du monde » de
florenski. chez ces penseurs, le monde n’est pas seulement envisagé tel qu’il se
présen-te, mais aussi tel qu’il doit être, du point de vue de son développement considéré sous
l’angle de l’homme et de sa relation au créateur. c’est surtout à fiodorov* que revient
le mérite d’avoir jeté les fondements théoriques du c., avec son projet de la « cause
commune »*, ainsi qu’à boulgakov avec son enseignement sur la divino-humanité et
à i. ilyine* avec son principe, la « volonté de spiritualité ». conformément à la
tra-dition du « christianisme ésotérique (mystique) » de V. chmakov** – doctrine de la
synarchie comme unitotalité hiérarchiquement structurée, par laquelle l’édifice du
monde devient cosmos –, on distingue dans le c. russe différents niveaux
d’appréhen-sion de la réalité prise dans sa totalité (spirituelle et sensible) : le « théo-cosmisme »,
le « sophio-cosmisme », le « hiérarco-cosmisme », l’« astro-cosmisme », l’«
anthro-po-cosmisme », le « socio-cosmisme », le « bio-cosmisme », l’« énergo-cosmisme ».
chacun de ces cosmismes procède de bases ontologiques qui lui sont propres,
pos-sède son propre principe gnoséologique et son idéal qui lui montre le but à atteindre :
seule leur réunion constitue une existence, une connaissance, une création intégrales
qui se réalisent en suivant l’arbre des fins. en philosophie religieuse russe, le c. part
de la conception de dieu comme principe absolu, et du fondement sophianique de
l’être (cf. sophiologie*) – non seulement « Âme du monde » ou « sagesse divine » sur
le monde, mais « humanité idéale » posée comme but, ou divino-humanité, lors de
cosMisMe
l’achèvement sophianique du processus cosmique. au niveau du sophio-cosmisme, le
principe central est l’archétype de l’unitotalité : l’une de ses images idéales originelles
est le rapport entre les personnes de la trinité, à quoi correspondent dans le monde
créé trois sujets de l’être : l’esprit pur comme sujet de la volonté et porteur du bien
(inspirateur d’ilyine), l’intelligence comme sujet de la représentation et porteur de la
vérité (fiodorov, chmakov) et l’âme comme sujet du sentiment et porteur de la beauté
(boulgakov, soloviov et al.). la triade fondamentale « dieu – homme – cosmos », si
l’on transpose logiquement chacune de ses composantes selon la tradition ésotérique
du hiérarco-cosmisme, se déploie en un système constitué des sept principes de la
« psychologie de la culture » : la conciliarité [sobornost]* (ou unité synarchique), le
magique (intégralité spirituelle, opposée à la division mécanique), le cosmique (unité
de la multiplicité des mondes), l’ouverture (capacité d’interaction), le symbolique
(re-cours à l’archétype), la religiosité (spiritualité orthodoxe), la projectivité (orientation
vers la « cause commune »). À l’étape contemporaine du c. philosophico-religieux,
ces composantes trouvent leur réalisation comme principes dynamiques d’une
nou-velle pensée, appelée à transformer sur le mode conciliaire (synarchique) la société
de l’époque de la noosphère*, en marche vers la vie éternelle. le terme même de c.
a été largement employé dans la littérature russe des années 1980, suite aux succès
remportés dans la conquête spatiale et à l’intérêt grandissant pour les travaux
métho-dologiques de tsiolkovski*, le « père de la cosmonautique », ainsi que pour ceux de
ses disciples et adeptes, ou encore pour les idées de tchijevski* et de V. Vernadski*.
l’approche scientifique du c. laisse immédiatement découvrir deux tendances : 1)
concevoir le c. comme une relation scientifique au monde, une conception du monde
(et donc un principe de culture au sens large) ; 2) l’appréhender du point de vue de la
méthodologie générale, à partir de positions scientifiques théoriques. dans ce dernier
cas, le c. consiste à examiner tout ce qui se passe sur la terre en union étroite avec
les processus cosmiques. de ce point de vue, la terre n’est pas seulement un corps
cosmique dont le mouvement dans l’espace est soumis aux lois du cosmos, mais la
vie dont son écorce regorge, elle la doit à un ensemble favorable de facteurs naturels
(terrestres et cosmiques). sous cet éclairage, même l’activité humaine prend des
di-mensions nouvelles, planétaires et extraterrestres. une telle logique lance la pensée
par-delà les limites de la planète. « le fond du problème est de migrer hors de la terre
et de peupler le cosmos », disait tsiolkovski. la conception du cosmos comme
édi-fice « vivant » du monde a autorisé toute une pléiade d’adeptes du c. russe à élargir
considérablement le cadre du concept, jusqu’à faire coïncider son champ sémantique
avec les aspects de la culture russe, où, parallèlement à la problématique « homme –
cosmos » (l’anthropo-cosmisme), se reflète également une vision religieuse,
théo-an-thropo-cosmique, du monde. À la suite de cela, on s’est mis à distinguer dans le c.
di-vers mouvements (ou courants) tels que le c. « chrétien », « philosophico-religieux »,
« poético-artistique », « esthétique », « mystico-musical », « mystique », «
existentia-lo-eschatologique », « projectif », « activo-évolutionniste » ou enfin « scientifique ».
un colloque intitulé « le cosmisme russe et la noosphère » (M., 1988) s’est donné
pour but de rassembler toutes les tendances du c. afin de parvenir à élaborer une
conception unique du c. russe. on a tenté de le présenter comme une vision du
mon-de fondamentale pour notre époque, plongeant ses racines aussi bien dans la culture
mondiale que dans la culture russe.
Études : ciolkovskij c. e., Očerki o Vselennoj, M., 1942 ; Vernadskij V. i., Razmyšleniâ
Dans le document
Dictionnaire de la philosophie russe
(Page 160-164)