cœur » traduit « la dynamique ténébreuse de l’âme », pour laquelle « la fin justifie les
moyens ». séparée du c., l’imagination est un jeu vide et stérile, une « imposture de
l’esprit ». À partir du moment où ils ont pris leurs distances à l’égard du c., tous les
organes spirituels sont stérilisés, ils dépérissent et travaillent non pour le bien mais
pour le mal de l’homme et de l’humanité. pour ilyine, la culture, séparée du c. (il
dési-gne par là la culture occidentale, soumise à l’idéologie rationalisante et
technocrati-que) est « une culture gravement malade », une culture faite de « pierre et de glace »,
autant dire le contraire de la culture au sens plein du terme, une « civilisation
miséra-ble » qui s’est depuis longtemps fourvoyée dans une « direction vouée à l’échec ».
outre « une religion du cœur », « une gnoséologie du cœur » et « une éthique du
cœur », ilyine en vient à développer « une sociologie du cœur » dotée de traits
spécifi-ques. dans l’ouvrage intitulé Le Crépuscule des idoles [krušenie kumirov] frank traite
de la sphère des sources spirituelles de la vie régie par un agencement rigoureusement
ordonné (non moins fiable que dans le monde physique) et que « pascal appelait…
« l’ordre » du cœur humain ». cet « ordre du cœur » ne peut être impunément
en-freint, car « il conditionne le degré d’élévation réfléchie et de consistance de notre
équilibre spirituel et, partant, de tout notre être » (Œuvres [soč.], M., 1990, p. 175).
l’œuvre de rozanov est remplie d’énoncés percutants, paradoxaux parfois, sur « les
révélations du cœur ». dans leur doctrine qu’ils qualifient d’« Éthique vivante »**
(Agni-Yoga [agni-Joga], novosibirsk, 1990), n. et e. rœrich* considèrent le c. comme
le centre de l’énergie brûlante (psychique) de l’homme et comme le vecteur qui ouvre
sur les régions subtiles du cosmos. les vérités suprêmes ne sont pas atteintes par
l’in-tellect mais par le « sentiment » issu de « l’intuition du cœur ». « ce n’est pas à
l’ins-truction, ni au savoir-faire procuré par l’expérience, ni aux talents innés, c’est au feu
rayonné par le sentiment qu’on doit la voie qui mène directement à Chambala » (le
lieu où réside les Mahatma, les maîtres spirituels de l’orient) (Agni-Yoga, p. 159).
« allumer son cœur » (n. rœrich) signifie « devenir le collaborateur des forces
lumi-neuses du cosmos » et contribuer à l’évolution spirituelle du monde dans lequel nous
vivons. c’est précisément au c. des hommes que d. andreïev* a dédié sa Rose du
mon-de [roza mira]. les forces providentielles, guides spirituels de l’humanité, avaient
droit, selon lui, au titre d’« amis invisibles de notre cœur ».
Études : kireevskij i. V., Kritika i èstetika, M., 1979 ; homâkov a. c., Bogoslovskie i
cerkovno-publističeskie stat’i, pg., 1915 ; florenskij p., Stolp i utverždenie istiny, in : Soč. v 2
t., M. 1990, i ; Ûrkevič p. d., « serdce i ego snačenie v duhovnoj žizni čeloveka, po učeniû
slova božiâ », in : Filos. proizv., M. 1990 ; Vyšeslavcev b. p., « serdce v hristianskoj i indijskoj
mistike », in : Voprosy filosofii, 1990, n° 4 ; du même auteur, Ètika preobražennogo Èrosa,
M., 1994 ; il’in i. a., Put’ k očevidnosti, M., 1993 ; du même auteur, Poûĉee serdce. kniga tihih
sozercanij, in : Soč. v 2 t., M. 1994, ii ; rerih i., Zažigajte serdca, M., 1990 ; du même auteur,
Agni-joga. Mir ognennyj, novosibirsk, 1990 ; du même auteur, Serdce, M. 1992 ; strel’cova
G. Â., « Metafizika serdca », in : strel’cova G. Â., Paskal’ i evropejskaâ kul’tura, M., 1994 ;
tarasov b. n., Myslâĉij trostnik. Žizn’ i tvorčestvo Paskalâ v vospriâtii russkih filosofov i
pisatelej, M. 2004.
G. ia. streltsova / trad. p. caussat
COLONNE ET LE FONDEMENT DE LA VÉRITÉ (La). Essai de théodicée
ortho-doxe en douze lettres – œuvre capitale de florenski*. le titre du livre reproduit les
paroles de saint paul : « … afin… que tu saches comment te conduire dans la maison
de dieu, qui est l’Église du dieu vivant, colonne et fondement de la vérité » (1 tim.
3,15). comme l’indique le sous-titre, cet ouvrage est une théodicée*, c’est-à-dire une
colonne et le fondeMent de la VÉritÉ (la)
justification de dieu dans un monde où le mal existe. ce travail connut plusieurs
rédactions successives, de 1908, époque où l’auteur achevait ses études à l’acad. de
théologie* de M. et terminait son mémoire « de la vérité religieuse », jusqu’en 1914,
année où fut publiée la version intégrale du livre, aux éditions « pout », dans laquelle
entrèrent toutes les versions antérieures, y compris des passages lyriques. florenski
s’opposait à « la pensée antireligieuse moderne » (« colonne du Mal ennemi de
dieu »), l’attachant au nom de kant : après sa théodicée, il estimait indispensable
d’écrire une anthropodicée – une justification religieuse de l’homme. À cette
anthro-podicée, intitulée Sur les lignes de partage des eaux de la pensée [u vodorazdelov
mysli], restée inachevée, florenski travailla en gros de 1910 à 1929. tout au long des
lettres qui constituent la Colonne…, il s’adresse à des êtres très chers – l’ami (s.
troïtski) et le starets** – (abba isidore, hiéromoine du skite** de Gethsémani). dans
sa lettre à V. kojévnikov** du 27 juillet 1912 il définit sa théodicée comme «
achève-ment de la catharsis », « mon âme enfin purifiée de toute modernité ». dans cette
œuvre, florenski réfléchit sur certains problèmes théologiques fondamentaux, dans
le contexte de la tradition chrétienne orientale (orthodoxe), mais en accordant une
grande attention à leurs implications philosophiques. il s’était donné pour tâche de
réaliser une nouvelle fusion de la théologie, de la philosophie et de la science. le sujet
de la pensée philosophique, pour florenski, est un « je méthodologique »,
antinomi-que, c’est-à-dire ni psychologiantinomi-que, ni impersonnel, mais concret et personnel et
« dont les énergies propres sont en confluence avec celles de l’objet », s’efforçant de
voir celui-ci dans son intégralité et de discerner ce qu’il a de typique dans ses
parti-cularités individuelles – ce qui s’apparente à la « création artistique ». ces lettres
po-sent le problème de la vérité. les quatre premières étudient ses diverses conceptions
en philosophie (réalisme, rationalisme, etc.) et en théologie (sérapion Machkine**,
séraphin de sarov* etc.), ainsi que les différents critères qui permettent de la définir.
il en arrive à la conclusion que la Vérité, si elle est, est antinomique (cf. antinomisme*)
– à la fois donnée dans l’intuition et connaissable par la raison, c’est-à-dire « à la fois
intuitive et discursive ». les termes qui la décrivent sont eux aussi antinomiques :
« infinitude finie », « mouvement immobile », etc. la Vérité, « c’est l’unité dans la
totalité » ou encore « une seule essence en trois hypostases ». la doctrine de florenski
se rapproche ainsi de la métaphysique de l’unitotalité*. dans la 3
elettre (« tri-unité »)
cette conception de la Vérité comme trinité s’appuie principalement sur les œuvres
des pères de l’Église et sur l’analyse du concept de « foi ». florenski n’est pas un
dia-lecticien, mais un apologiste de la Vérité : « ou bien on se met en quête de la trinité,
ou bien on est voué à mourir dans la démence ». son antirationalisme religieux le
rapproche de tertullien, de Grégoire de nysse, de léon chestov*… la connaissance
de la Vérité (4
elettre, « lumière de la vérité »), c’est « l’entrée de dieu en moi… et de
moi en dieu ». l’acte de connaissance est ontologique : celui qui accomplit l’acte de
connaître est, tout à fait réellement, projeté hors de lui-même, et d’autre part l’objet
de la connaissance entre en lui, ce qui trouve son expression dans l’amour et la foi.
une thèse gnoséologique est à la base de ce livre : « c’est la vérité qui fait que la
rai-son est rairai-son, et non la rairai-son qui fait que la vérité est vérité ». la voie du
scepticis-me, pour florenski, ne mène pas à la vérité. ce qui y mène, c’est l’expérience
spiri-tuelle personnellement vécue. elle conduit, non pas simplement à reconnaître la
vé-rité, mais également son caractère tri-unitaire, à reconnaître qu’elle est « une seule
essence en trois hypostases ». la vérité, loin d’être une abstraction, doit être un sujet
colonne et le fondeMent de la VÉritÉ (la)
doué de vie et d’amour, car c’est à cela qu’aspire notre cœur. en reconnaissant l’amour
comme ce qui constitue la vie intérieure de la vérité, nous sommes nécessairement
amenés à reconnaître le caractère tri-unitaire de la vérité, où l’amour s’accomplit
comme le rapport du Je au Tu par la force de l’esprit qui est amour. la vérité que
notre cœur a une telle soif de connaître, c’est le sujet le plus haut de l’amour, et
l’amour, comme tel, a par lui-même un pouvoir de conviction, il est source de foi.
aussi, pour appréhender et concevoir adéquatement le caractère tri-unitaire de la
vérité, il faut obligatoirement atteindre à l’unité de la raison et de la foi. « s’étant
abandonné en toute confiance et ayant cru que c’est là, dans cet effort, que se trouve
la vérité, la raison doit renoncer à rester limitée dans les bornes de l’intellect, refuser
le caractère clos des constructions purement intellectuelles et avoir recours à une
nouvelle norme – devenir une raison nouvelle. c’est ce qui nécessite le dépassement
de soi, la prouesse [podvig]**, en toute liberté ». sous la forme de la raison
raison-nante, la raison est vouée à périr, son renouvellement signifie se libérer de la
suffi-sance de l’intellect, c’est-à-dire du rationalisme. le rationalisme de tolstoï* et son
exigence d’une « foi raisonnable », florenski les voyait comme un « orgueil
diaboli-que » ; c’est « une fronde contre dieu, fruit monstrueux de l’égoïsme humain, qui
veut se soumettre jusqu’à dieu même ». la raison se trouve placée en situation de
faire un choix spirituel fondamental : ou bien rester dans l’incroyance et l’ignorance
de la vérité, ou bien prendre le risque de choisir la foi, sans aucune garantie que ce
risque en vaille la peine, mais avec l’espoir de se retrouver de l’autre côté du gouffre,
de faire le partage entre la foi et l’incroyance et par là même trouver la vérité.
finalement c’est la vérité elle-même qui nous pousse à la chercher, qui nous conduit
à elle par le chemin de cette recherche, nous incite à nous oublier nous-mêmes dans
l’amour, à laisser nos doutes et à cesser de nous prendre pour le centre de l’univers.
l’antinomisme est central dans la gnoséologie de florenski. il analyse dans la 6
elettre
(« contradiction ») les concepts de « contradiction » et d’« antinomie » dans
l’his-toire de la philosophie. c’est l’une des qualités essentielles aussi bien de la vérité en
général que de la vérité religieuse en particulier. tout jugement, quel qu’il soit, dans
lequel nous tentons de la formuler, fait inévitablement apparaître une contradiction.
et pourtant « nous ne pouvons ni ne devons replâtrer les fissures des contradictions
avec nos philosophèmes ! Que la contradiction reste aussi profonde qu’elle l’est. si le
monde connaissable est traversé de fissures et que nous ne pouvons, dans les faits, les
éliminer, nous ne devons pas non plus les masquer ». la vérité est antinomie et pour
cette raison, la méthode dont se réclame florenski est la dialectique, qu’il conçoit
comme une pensée vivante, intégrale, en devenir, assumant toutes les vivantes
contradictions de l’être. les multiples vérités contradictoires sont des savoirs sur la
Vérité (avec une majuscule). son caractère antinomique est bénéfique et fécond,
parce qu’ainsi elle renferme en elle-même toutes les affirmations contraires,
éven-tuellement hostiles, qui peuvent lui être opposées, et sont ainsi neutralisées d’avance.
adopter un pareil point de vue, si incommode pour le bon sens, oblige à faire effort
sur soi-même. Mais sans prouesse, il n’est pas de vie spirituelle. notre intelligence se
doit d’accomplir cette prouesse : renoncer à soi-même dans la foi. « l’acte par lequel
l’intelligence renonce à elle-même est l’énoncé de l’antinomie. et réellement
l’antino-mie est la seule chose à laquelle on peut croire ». si le dogme est vérité, alors il doit,
même lui, être une antinomie. le péché et le mal, qui fractionnent le monde et l’être
de l’homme, procèdent eux-mêmes de la contradiction – Mort se nourrissant de la
colonne et le fondeMent de la VÉritÉ (la)
Vie (le diable étant le étant, puisque dieu est tout). tel est aussi le péché :
non-étant, anéantissant et stérile. ce qui est par excellence le péché, en l’homme, ce sont
l’athéisme, le matérialisme, la « ratiocination nue », qui rend toute chose « plate et
banale » et particulièrement l’amour de soi, « auto-affirmation perverse ». dans la 8
elettre (« la Géhenne »), florenski évoque sa propre expérience spirituelle de la «
gé-henne » (« l’état de péché à son degré suprême », qui est aussi, par antinomie, le
« degré inférieur du spirituel »), – cette période où il fut aux frontières d’une terrible
nuit sans la moindre lueur (le salut étant venu plus tard). la « géhenne », ce sont les
vibrations de l’« âme enténébrée » qui l’empêchent de voir la « colonne de la Vérité ».
« là-haut, dans la Jérusalem céleste, ils [le mal et le péché] n’existent plus ; ici-bas, en
revanche (dans ce monde-ci, celui de la nature), la contradiction est en toutes
cho-ses ». pourtant, florenski rappelle que dans le christianisme, la vie éternelle est
pro-mise non seulement à l’âme, mais aussi au corps. au-delà du corps ontologiquement
superficiel florenski entrevoit « la profondeur mystérieuse de notre être », et c’est le
cœur* qui est reconnu comme le centre de la spiritualité de l’homme. dans la 9
elettre (« créature ») le thème essentiel est celui du corps de l’homme et de la
créa-ture. celle-ci, comme telle, est aimée de dieu (et elle-même répond à son amour), et
même les démons et les diables méritent une forme de « tendresse ». dans la postface,
florenski revient sur la totale antinomie de l’être, l’existence de la raison n’étant
pos-sible qu’en vertu de l’existence de la sainte trinité. « À travers les fissures béantes…
de la raison s’aperçoit l’azur de l’Éternité ». ce qui peut surmonter la contradiction,
ce n’est pas l’édification d’une société meilleure ni les déductions des philosophes,
mais « la vérité et l’amour de la lumière au triple rayonnement, montré par le christ
et reflété dans son Église et ses justes ». pour cela il faut river son clou à l’intellect,
rompre le cercle logique de ses concepts définitifs et entrer dans une nouvelle sphère
– celle de l’infini, de ce qui est inaccessible à l’intelligence et pour elle absurde. ce
type de prouesse, les mathématiques l’ont accompli, avec l’introduction des nombres
irrationnels. c’est aussi ce que doit faire la philosophie, devenant philosophie de la
prouesse créatrice – celle de la pensée qui cherche et qui trouve le nouveau,
l’im-pensé. dans la 2
epartie du livre « Éclaircissements et démonstration de diverses
par-ticularités, présupposées dans le texte comme déjà prouvées ») florenski complète le
texte de base de sa théodicée en considérant l’infini en puissance et en acte, le lien de
l’irrationnel en mathématiques et du dogme, la dialectique de la vie et de la mort,
l’identité du destin et du temps, la spiritualité mystérieuse du cœur, le sens du terme
« antinomie » etc. ainsi, le principal « objet » de la connaissance est la Vérité,
(c’est-à-dire la sainte trinité) et le chemin qui conduit à elle. et sa Colonne est avant tout
l’Église. c’est pourquoi, dès son adresse « au lecteur », la visée de florenski était
l’ecclésialité [cerkovnost’], vue comme « repos suprême » et « vie nouvelle » dans
l’esprit, la meilleure forme d’ecclésialité étant celle de l’orthodoxie, et non celle du
catholicisme avec son « fanatisme du canonique », ni celle du protestantisme, avec
son « fanatisme du scientifique ». dans la 11
elettre (« amitié ») l’amitié sincère était
définie comme « contemplation de soi à travers l’autre en dieu », son absence
confi-nerait à l’absence de dieu. elle n’est pas seulement psychologique ni éthique, mais à
la fois ontologique et mystique. c’est elle qui a été la « molécule » de la communauté
chrétienne et a constitué cette « parcelle du corps du christ » qu’est l’Église. À la
Colonne florenski rapporte une multitude de phénomènes spirituels, l’Église mais
également la Sophia. (cf. sophiologie*). c’est à la Sophia, spiritualité originelle de la
Dans le document
Dictionnaire de la philosophie russe
(Page 144-148)