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Une seconde production comme une juxtaposition aveugle d’étiquettes

1.6. A propos des objets graphiques

partie 5 : tableau informant des élèves responsables du jour :

4.1. Des supports écrits permanents

4.2.4. Une seconde production comme une juxtaposition aveugle d’étiquettes

En choisissant des mots qu’il était capable de lire, Alexis semble avoir un tant soit peu opéré des choix pour sa production. Dans la phase de séance collective suivante, nous voyons comment le dispositif didactique met en scène une "production écrite" comme un alignement d’étiquettes prises au hasard.

Alicia est interrogée devant le tableau. Elle a respecté la règle de démarrage par le

petit mot jaune, LE, mais elle ne sait pas le lire. Voici les interactions qui orientent ce moment, sans reprise des propos qui concernent le maintien de l’attention.

204 M (…) alors est-ce que tu sais lire le petit mot que tu as dans la main ?

ben tu demandes à tes camarades de t’aider / qui aide ? montre-leur parce que il faut quand même qu’ils le voient / (…)

Signe de dénégation de la tête

Elle le présente timidement aux autres.

205 Es le le le

206 M (…) le / bien !

allez vas-y / tu peux poser un peu plus / on va le mettre voilà / le remonter un peu /

alors le

où est-ce qu’il faut qu’Alicia aille choisir un mot ?

Alicia pose l’étiquette sur la croix et la cache. La M replace

l’étiquette pour laisser apparaître la croix.

L’enseignante porte autant d’attention à faire lire la première étiquette prise au hasard par Alicia qu’à la positionner précisément par rapport à la petite croix, usage de la classe pour marquer l’obligation de commencer tout alignement à gauche. Il s’agit de s’y référer sans

toutefois la cacher. C’est pourquoi l’enseignante déplace l’étiquette LE en commentant son

geste : « tu peux poser un peu plus / on va le mettre voilà / le remonter un peu » (206).

Quelques instants plus tard, en (233), on voit qu’Alicia essaye de remettre le second rectangle de papier parallèle au premier car la fixation avec du scotch l’a disjoint du premier. Cependant, sa tentative de construire une suite rectiligne n’est pas repérée et, avant qu’elle y parvienne, elle est priée de reculer pour permettre aux autres de lire. C’est là un micro-indice qui nous informe que dans la masse des paramètres de la situation à interpréter, Alicia s’est arrêtée à celui, minuscule, d’un ajustement géométrique de la deuxième étiquette par rapport à

la première. Le sens général de la tâche lui échappant (elle a choisi sans savoir les lire LE puis

AUTOMNE), elle adopte un repère perceptible, matériel pour organiser son activité. Au delà de cet exemple, nous avons fréquemment fait cette observation d’une recherche systématique de régularités de la part des élèves qui, si elle ne parvient pas à s’actualiser dans des indices langagiers de haut niveau, en trouve dans une approche sensible des objets graphiques : souci d’aligner les étiquettes par rapport au bord de la feuille, par rapport à l’étiquette déjà posée, par rapport au cadre tracé, etc..

De (207) à (219), un échange à propos de la couleur des étiquettes parmi lesquelles choisir informe du flottement des représentations des élèves à propos des règles de succession.

207 E dans les gris 208 M (…)

209 Antoine T dans le gris

210 Audry dans le rose / heu dans le gris

Chevauchement et reprises par d’autres des deux propositions

211 M alors (il) y en a qui disent dans les gris (il) y en a qui disent dans les roses / pourquoi gris ?

212 E parce qu’Alexis a mis un gris Certains E continuent à dire rose ! …

213 M parce qu’Alexis a mis un gris bon / moi je pense / que / certains qui disent gris ont raison mais toi tu dis rose alors je voudrais bien savoir pourquoi tu dis rose /explique-moi hein c’est peut-être possible

à un élève assis devant le tableau

214 E elle va pas te manger

215 M qu’est-ce qu’on a dit il y a quelque temps ? souvent le petit mot jaune il va avec un mot ?

216 Es gris 217 M gris oui 218 E ou blanc

219 M ou blanc voilà donc il faut je pense plutôt / et il y en a plein dans la classe aussi qui le pensent / qu’il faut choisir un mot gris ou blanc / alors lequel tu choisis ? oui //

alors on va voir déjà ce qu’elle a écrit / est-ce qu’elle sait le lire ? est-ce que tu sais le lire le mot-là ? est-ce que tu peux le retrouver sur le tableau de lecture ?

Alicia choisit AUTOMNE.

Dénégation d’Alicia avec la tête

Suit le recours au tableau de lecture dont il a déjà été question plus haut (213 à 233). Les deux seuls mots posés sans lecture préalable par Alicia LE AUTOMNE incitent

l’enseignante à en rectifier immédiatement l’association : « alors on va voir déjà ce qu’elle a

écrit » (219). Pour cela, elle instaure une activité de lecture : « alors vas-y alors on va déjà essayer de lire la petite histoire d’Alicia ». (233). Antoine, l’élève lecteur, oralise ce qui est

posé : « le automne » (241). Les tentatives qui suivent montrent combien la compréhension

qu’ont les élèves de la tâche est approximative. Ainsi, puisque « le automne » ne convient

pas, un élève garde le déterminant et opère une permutation du nom : « le sapin » en (243) et

(247). Puisque le ne convient pas, d’autres élèves proposent la en (249). Malgré la précision

de l’enseignante : « non ! mais automne on peut le garder ! mais c’est le petit mot jaune /

qu’est-ce qu’on pourrait mettre avant ? » (250), un élève répète « la » et un autre propose « l’arbre ». En (256) Antoine qui a proposé oralement l’énoncé attendu « l’automne » est

invité au tableau à chercher quel déterminant est à placer devant le mot AUTOMNE pour

mettre en correspondance exacte énoncé oral et énoncé écrit. Antoine hésite notablement devant les trois déterminants, sollicite silencieusement de l’aide en adressant à l’enseignante

un regard interrogateur. Elle y consent en induisant une procédure par élimination : « c’est

dur ça / on a dit c’est pas LE c’est pas LA / qu’est-ce qu’il reste ? » (259). Cela permet à

Antoine de saisir opportunément la bonne étiquette mais n’aidera pas par la suite des élèves à

abandonner la lecture problématique du L’ en « L apostrophe ». Cette erreur persiste en effet,

énoncée dès (178) non relevée comme erronée à ce moment-là par l’enseignante puis reprise sept fois par des élèves : en (292) et (294) avec rectification durant la phase collective et en (305), (361), (401), (568), (614) durant la phase individuelle de travail.

La charge de continuer la production écrite est attribuée à Sophie qui choisit comme

« mot rose », tombe. En (283), pour la première et unique fois, l’enseignante propose

d’anticiper le nom pour en déduire le déterminant compatible à poser avant ; elle suggère : « il

faut peut-être regarder le gris quand même pour pouvoir savoir qu’est-ce qu’on va mettre comme jaune parce que vous avez vu des fois on a des histoires là / ça va pas toujours / enfin

bon ». Sophie choisit l’étiquette où figure son prénom ce qui élude le problème d’un

déterminant à placer avant. En (299), Antoine lit la deuxième production écrite finale qui

clôture le moment collectif de la séance : l’automne tombe Sophie.

299 Antoine T l’automne tombe Sophie

301 E non c’est en fait

302 M elle est mélangée cette histoire hein 303 E très mélangée

304 M très mélangée bon 305 Mathieu L apostrophe

306 M non ! quand il y a L apostrophe on dit l’automne 307 E tombe Sophie

308 M ben c’est une histoire très mélangée mais bon c’est son histoire 309 E très rigolote

310 M très rigolote (…)

Que penser de cette juxtaposition d’étiquettes dont le résultat est pour le moins surprenant des points de vue syntaxique et sémantique et, donc, « insensée » ? Que penser du dispositif qui a permis de l’engendrer ?

Pour ce qui concerne les surfaces graphiques activées, il est à noter que la manipulation des étiquettes qui les fait passer du tableau noir "réservoir lexical", où elles sont assemblées selon une disposition verticale en colonnes, au tableau blanc ligné, opère une linéarisation des objets-mots. Ce changement de disposition invite à considérer que, du point de vue de la mise en page, les élèves "écrivent".

D’un point de vue pédagogique, la conception de la situation est résolument active voire activiste. Il ne s’agit pas, par exemple, de la reproduction d’un modèle de phrase donnée mais d’une situation de production précisément ouverte au point d’aboutir à une telle phrase a-syntaxique et a-sémantique. Comme l’indique l’irrecevabilité sémantique du résultat, il existe une incontestable prise de risque de l’enseignante dans le fait qu’il n’était pas possible d’anticiper les combinaisons proposées par les élèves et donc d’aboutir à des résultats incongrus. Comme elle l’indique pendant l’entretien d’auto-confrontation, l’enseignante avait

accepté ce risque : (75) « je ne savais pas à l’avance ce qui allait être écrit ».

Ce qui nous frappe c’est que l’enseignante n’a pas recours à une parole vive pour demander aux élèves de proposer d’abord oralement des phrases, production dont elle aurait pu être secrétaire. Sa représentation de l’apprentissage du langage écrit semble tracer une frontière partageant nettement monde de l’oral et monde de l’écrit. En conséquence, la situation est conçue de telle sorte qu’entrer dans l’écrit non seulement ne peut s’opérer qu’avec du matériel déjà écrit mais se refuse d’en passer par des propositions de phrase d’abord orales avant un passage à l’écrit. En privant la situation d’un recours premier à du langage oral à partir duquel chercher une mise en écrit, elle instaure une situation fondamentalement basée sur et orientée par des objets que certains élèves comme Alicia manipulent d’un point de vue "géométrique". Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre7.

C’est le choix d’une entrée dans la tâche scolaire avec un grand nombre d’étiquettes que beaucoup d’élèves ne savent pas lire qui génère les difficultés sémantiques et syntaxiques observées.

Remarquons encore que la procédure de production qui institue de prendre des étiquettes sans en avoir préalablement déterminé le choix comporte la particularité communicationnelle d’instituer un "auteur" aveugle de sa propre production qui ne découvre son œuvre qu’à "la fin" . Dans cette situation didactique paradoxale, à l’issue de la production, l’élève est à la fois l’émetteur et le récepteur d’un même message écrit.

Les unités linguistiques manipulées sont de deux niveaux. Dans les interactions

langagières, il est question de mots qui construisent des histoires mélangées. Toutefois,

malgré l’absence systématique du terme exact, c’est bien l’unité phrase que l’enseignante a

comme visée implicite. C’est de l’amalgame de ces niveaux linguistiques dont il sera question maintenant.

4.2.5. Syllabe/mot/phrase/discours : incidence des unités linguistiques sur la

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