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Différentes fonctions pédagogiques de l’espace mural

1.6. A propos des objets graphiques

partie 5 : tableau informant des élèves responsables du jour :

3.2.3. Différentes fonctions pédagogiques de l’espace mural

3. 2.3.1. Une focalisation collective du regard

Ce qui nous importe dans l’analyse des interactions langagières du moment consacré à répartir les responsabilités du goûter, c’est le souci de repérer en quoi et comment l’espace mural et son agencement génère des échanges et y "participe". Pour cela nous nous référons

au contrat de communication tel que le définit P. Charaudeau (1993). « Le contrat de

communication » lie les partenaires dans une sorte d’alliance objective qui leur permet de

co-construire du sens tout en s’auto-légitimant » (p. 126). Pour décrire le contrat surdéterminé

par les représentations qu’en ont les acteurs, Chareaudeau le décompose en finalité et en rôle de chacun des partenaires en co-présence, enseignant et élèves.

Selon cet auteur, les finalités de l’enseignant conjuguent les actions d’« enseigner »,

aux supports graphiques dans le contrat de communication. En l’occurrence, il nous semble que l’espace mural, comme plus généralement tout affichage, participe à ce que Charaudeau

nomme la finalité de captation. Dans cette finalité très large, c’est une composante de saisie

active de l’attention que permet l’espace mural. En effet, celui-ci possède une évidente capacité de focalisation du regard : ainsi pour bien le voir, des élèves qui lui tournent le dos au départ se réorientent face à lui. Le mouvement corporel des élèves et le déplacement de l’enseignante vers l’espace mural ouvrent le jeu convenu des échanges qui lui sont consacrés. Pour savoir où en est le déroulement du script et quels sont les choix encore disponibles, il importe aux élèves appelés d’aller chercher du regard les informations alternativement sur l’espace mural et sur le meuble de calcul.

3.2.3.2. Deux justifications différentes de l’écrit

Charaudeau associe à la finalité permanente de saisie de l’attention, la nécessité de

justifier et de valoriser l’objet de savoir. Un premier mode de justification, tout à fait implicite, passe par l’existence même, quotidiennement mobilisée, de l’espace mural. La mobilisation et le temps consacré au tableau du goûter sont les indices d’une valorisation par l’enseignante de l’usage d’objets écrits. Par sa présence, le tableau "escompte" une mobilisation des élèves et, en partie selon le mode de l’aide-mémoire, "présuppose" le script d’actions que les routines enchaînent.

Par ailleurs, lors des deux séances enregistrées, l’enseignante a eu recours à une véritable justification de la phase de travail qui y est associée. La même justification, avancée en mars (A2) et en avril (A3), consiste à dire que les informations visualisées à cet endroit facilitent la tâche à Sandrine, l’aide-maternelle, chargée de fournir un stock suffisant de parts de goûter pour tous les élèves présents. Il s’agit-là d’une justification "officielle", affichée avec insistance. L’enseignante mobilise une fonction propre à l’écrit ; l’intention pédagogique est d’illustrer et de mettre en œuvre concrètement quotidiennement la capacité de

communication différée des traces graphiques (message différé « pour » Sandrine car « elle

[en] a besoin »). L’argument, fondé sur une des fonctionnalités spécifiques de l’écrit, prend lui-même place dans le jeu plus vaste, situé en arrière-plan, de l’indispensable gestion de l’attention. Ainsi, en mars (A2), l’argument est adressé à Léa en (5) – en fait à tous les élèves – et prend la forme langagière d’un rappel à l’ordre. Il s’agit pour l’enseignante de rappeler une fois encore la fonction "sociale" à l’échelle de la classe qui justifie, selon elle, le transfert

d’informations et, dans le même temps, de ressaisir l’intérêt un peu dispersé du groupe pour un objet commun d’attention.

266 M d’accord / on essaye de se dépêcher un petit peu pour finir le 267 Es ha oui oui oui

268 M chht !

269 E on fera les ateliers après ? mars

annexe p. 41

270

23:50

M après on va travailler oui chht / Léa ! / Sandrine elle a besoin du tableau du goûter / pour préparer ce qu’il faut

En avril, la justification didactique est évoquée dès la première prise de parole de l’enseignante ouvrant cette phase. Anecdote intéressante illustrant entre autres le caractère perpétuellement à recommencer du travail de justification : en (4), une élève s’autorise à contester le principe de réouvrir un nouveau moment de calcul brassant des nombres venant

d’être manipulés et stabilisés sur le meuble de calcul par « on a déjà fait ». L’enseignante

l’entend. Elle ne répond rien à la critique implicite à propos du caractère redondant de ce qui va avoir lieu. Pour justifier la phase de transfert d’informations, elle botte en touche et convoque l’obligation qui est faite à l’aide-maternelle d’aller au plus vite et de n’avoir, pour ce faire, qu’à passer la tête par la porte pour saisir les informations utiles. L’espace mural est en effet plus proche de la porte de la classe que le meuble de calcul.

455 M c’est bien / allez // on prépare le tableau de goûter pour Sandrine /

alors combien de Grands ? Léa // chht/ on écoute ! 456 Léa quinze 457 M quinze 458 élève on a déjà fait avril annexe A3

459 M oui ben on remet / parce que Sandrine elle regarde pas là-bas quand elle passe la tête dans la porte c’est là qu’elle regarde //

des Moyens ? / Simon tu me gênes / combien de Moyens Simon ce matin ?

« Là-bas » désigne le meuble de calcul.

Un élément extrait de l’entretien d’autoconfrontation A2 éclaire le fait qu’il existe pour l’enseignante une justification du recours à l’écrit qui ne mérite pas d’être communiquée.

Il s’agit de ce que l’enseignante dit à propos de ce qui a motivé la réalisation de l’objet espace

mural. Pour expliquer pourquoi elle en est arrivée à l’inventer, elle évoque comment des difficultés de mémoire observées chez les élèves – se souvenir, après le temps des travaux en ateliers, de qui s’engage pour préparer le goûter de quel groupe – ont généré chez elle le besoin de proposer un instrument (P. Rabardel : 1997) complémentaire du meuble de calcul. Ce dernier avait été conçu pour visualiser les prénoms des élèves présents et calculer les

effectifs ; son organisation spatiale ne permettait pas de garder mémoire de ce qui était décidé à propos des responsables du goûter du jour. L’enseignante considère qu’il lui revient donc de penser un instrument pour organiser la répartition des responsabilités et surtout pour en visualiser durablement le résultat. L’instrument conçu permet aux élèves d’utiliser dans une situation "motivée" la permanence de l’écrit par rapport à la fugacité de la parole.

20 AC voilà les étiquettes-nombres /

il y a le réinvestissement du tableau / il y a tout ce travail ben ça sert à quelque chose / on reprend des informations qu’on a travaillées tout à l’heure pour les les réinsérer dans un moment où on a besoin de connaître / réellement le nombre d’enfants pour avoir le nombre de goûters exact //

donc c’est vraiment re’ réinvestir quelque chose en situation / réelle je dirais parce que le rituel ça sert finalement qu’à nous / à notre cahier d’appel

bon en dehors de toutes les compétences oui c’est vraiment ça leur parle à eux / là c’est eux qui vont avoir besoin de de

21 Mi ok

22 AC de gérer ce là quoi // c’était / c’était c’est pour ça que j’ai mis surtout ce moment-là en place c’était au début ils faisaient un petit peu je leur laissais faire et bon l’année passée à partir du tableau je me suis rendue compte qu’ils avaient du mal / à gérer parce qu’il y avait pas pas de repère écrit au moment où ils passaient à l’action

23 Mi à partir de quel tableau ?

24 AC le le le premier tableau le petit tableau de rituel (geste inscrivant un carré dans l’espace) 25 Mi celui qui est en bois

26 AC voilà 27 Mi voilà

28 AC donc au départ ils préparaient le goûter qu’à partir de ça mais ils ne se souvenaient pas de qui faisait quoi heu combien heu donc on a heu / donc j’ai j’ai mis ça pour que leur donner heu

29 Mi des repères

30 AC des repères par rapport au moment où on va 31 Mi mh mh

32 AC on va parce qu’en plus il se passe un moment entre 33 Mi tout à fait

34 AC il se passe il se passe une heure / quarante-cinq minutes une heure et l’information ben ils l’ont zappée bien souvent donc heu

Si l’on confronte cette justification énoncée durant l’entretien A2 avec la justification répétée à destination des élèves, on constate qu’il coexiste chez cette enseignant des

justifications différentes et qu’une constitue un argument didactique et l’autre non. Selon

l’enseignante, la première justification est associée à la capacité de communication à autrui de l’écrit et, de ce fait, est légitime et doit être régulièrement répétée. La seconde justification

semble plus associée à des considérations méthodologiques de mémoire pour soi. Il s’agit

pourtant là de deux déclinaisons de la même capacité de communication différée : dans le premier cas émetteur et récepteur diffèrent et dans le deuxième, émetteur et destinataire sont identiques. Pourquoi les deux justifications relevant toutes deux de la capacité de garder trace

d’un message et d’en différer la ressaisie ne sont-elles pas reprises dans le discours magistral et activement réaffirmées ? Pourquoi un usage de l’écrit vaut-il comme argument d’autorité dans le cas où il s’agit de s’adresser à un adulte absent pendant la production du message et pas dans le cas où on garde trace "pour soi" ? Aucun des deux cas de figure n’est négligeable. Qui plus est, aux yeux d’une élève au moins, l’argument du message à l’aide-maternelle semble ne plus suffire à justifier ce que ce moment a de redondant avec le précédent (séance A3, en 458).

3.2.3.3. Un appui pour s’autoriser à avancer rapidement dans la séance

L’enseignante a conçu le support mural à la fois comme un "organisateur" d’informations et comme un support de lecture pour l’aide-maternelle. Elle a inséré dans le script de renseignement de l’espace deux nouvelles occasions de calcul dont le résultat ne figure pas directement sur le meuble à calcul en bois : l’effectif des grands et des moyens. Fort de ce que l’espace ainsi conçu donne à voir de ce qui s’y déroule, elle s’autorise à accélérer le rythme des échanges dès qu’elle l’aborde. Il est vrai que quand arrive ce moment, plus de vingt-cinq minutes ont été consacrées aux activités routinisées et comme l’indique le nombre de « chht » et de rappels à l’ordre, l’enseignante doit travailler avec énergie à maintenir l’attention, à convaincre les élèves de rester vigilants.

En mars, dès la première prise de parole à propos de l’espace, elle énonce la nécessité « de se dépêcher ».

mars 266 M on essaye de se dépêcher un petit peu pour finir le

En avril, elle use de la justification comme ouverture de la tâche et saute directement et rapidement dès le premier tour de parole à la sous-partie 1 de l’espace.

avril 455 M c’est bien / allez // on prépare le tableau de goûter pour Sandrine / alors combien de Grands ? Léa // chht/ on écoute !

C’est bien l’organisation préalable de l’espace visible qui permet à l’enseignante d’enchaîner rapidement les éléments du script d’actions. Pas d’explicitation à donner : le visible d’une part et le connu d’autre part portent les gestes et orientent les échanges.

Lors des deux séances enregistrées, l’enseignante est prise tout au long de ce moment entre le souci de renseigner exhaustivement l’espace instauré et celui d’avancer rapidement.

Au moment de renseigner le tableau de la partie 5, ultime élément à compléter, l’avancée de la séance est tributaire de l’efficacité de repérage et de lecture de l’élève préposé à cette tâche, Vincent dans les deux cas enregistrés. Il lui faut manipuler le stock des vingt-neuf étiquettes de prénoms de la classe pour en isoler les seuls prénoms du groupe responsable du jour,

équipe des « verts » le 18 mars et des « bleus » le 8 avril.

Son souci d’avancer l’amène, lors des deux séances, à accélérer cette phase de lecture des prénoms par un élève, phase qu’elle a pourtant instituée. Pour ce faire, en situation, elle

prend en charge une partie des difficultés matérielles inhérentes à la fouille au hasard dans un

panier contenant toutes les étiquettes – prénoms de la classe. Ainsi en mars, pour soulager physiquement la main encombrée de Vincent, en (310), elle lui propose de récupérer les étiquettes qu’il a déjà lues et que, judicieusement, il ne veut pas remettre dans la masse de ce

qui lui reste à parcourir : « je prends ce que tu veux pas/ hop ». Son énoncé réfère à un vouloir

de l’élève et non au fait que la collection qu’elle recueille est celle des prénoms non concernés par la préparation du goûter. En (333), sa stratégie d’aide à la gestion du stock d’étiquettes change et c’est la partie non lue dont elle se saisit ; elle les fait défiler une à une devant Vincent et l’invite à réagir quand il voit le prénom d’un élève du groupe des responsables : « attends / tu me dis stop » : ce faisant elle neutralise la difficulté de manipulation du très gros paquet d’étiquettes et organise la situation pour que l’élève n’ait qu’à se concentrer sur un travail de lecture. Par rapport à la dispersion due aux difficultés en situation de gestion d’une collection trop grande et aux aides improvisées de l’enseignante, l’espace mural maintien visible les éléments à renseigner et la finalité des actions menées.

En avril, après avoir rappelé la procédure en (468) : « les bleus / tu prends le / Vincent

tu prends la boite et puis tu sors les étiquettes des bleus », elle vient au secours de Vincent qui, malgré l’aide un peu envahissante d’Ounaïssa, peine à trouver les prénoms des bleus. En (488), l’enseignante s’interroge à voix haute sur les prénoms qui restent à trouver et induit la recherche de Vincent en lui suggérant clairement pour opérer plus efficacement d’en repérer

l’initiale: « il manque plus que qui ? je sais plus / chez chez les bleus ? / Guillaume il manque

/ tu cherches le G de Guillaume / et Camille elle est chez les verts coco / regarde là c’est pas Guillaume ? je vois un bout de G là / c’est Garance / là regarde il y a un G ». Notons que le prénom de Camille, manifestement présenté par erreur par Vincent comme celui de Garance, confondu avec celui de Guillaume à cause de l’initiale, émergent fortuitement dans cette interaction comme ne convenant pas mais, restés en mémoire, sont repris et imposés par l’enseignante en (492) et (504) dans le souci toujours perceptible d’avancer rapidement dans la procédure de désignation d’élèves responsables.

Une autre façon d’accélérer cette phase se manifeste dans l’absence en mars et en avril du dernier geste à appliquer pour compléter exhaustivement le tableau. Lors des deux séances enregistrées, elle clôt ce moment avant que la dernière étiquette prénom complète effectivement la dernière case à renseigner : le prénom a été énoncée mais la recherche de l’étiquette et sa pose à côté de l’image de l’eau n’est pas menée à terme.

339 M ha Léa ! alors Léa qu’est-ce que tu veux faire ? 340 Léa l’eau

mars

341 M l’eau avec Vincent / allez tu te tu te cherches et puis on ira la mettre après

En avril, elle redonne à Jules, dont Vincent cherche en vain l’étiquette – prénom, la

tâche de repérer son propre prénom, forcément plus facile pour lui, et de « le mettre » parce

que « comme ça nous on continue ».

avril 530 M oui / c’est juste Marion /

bon tu as trouvé Jules ? / allez une boucle / un J //

non c’est / il y a un E à côté / allez vite / ben attends on va laisser Jules le chercher et puis il ira le mettre / voilà / comme ça nous on continue // (…) on fait le quoi de neuf maintenant / on avance

Nous gardons de cette analyse les deux faits suivants. Les éléments visibles de l’espace organisé par l’enseignante lui permet de supposer que les élèves la suivent et, en conséquence, d’accélérer la procédure au point d’en éluder des sous-phases.

Par ailleurs, la matérialité d’un stock trop important d’objets supports comme ici les étiquettes – prénoms, atteint parfois une lourdeur de manipulation telle qu’elle encombre et freine l’avancée de la tâche. L’aide en situation de l’enseignante montre qu’elle considère cet encombrement d’objets comme générant un retard dans la procédure routinisée ; or il lui faut maintenir l’attention d’une part et le fil du script d’autre part. La stratégie d’aide qui consiste à présenter une seule étiquette à la fois (A3,en 333) montre également l’importance accordée à la tâche de lire les prénoms.

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