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Des procédés mnémotechniques pour enseigner la lecture dans les salles d’asile

1.6. A propos des objets graphiques

partie 5 : tableau informant des élèves responsables du jour :

6.1. Des procédés mnémotechniques pour enseigner la lecture dans les salles d’asile

6.1.1. Quelques éléments d’histoire à propos de l’accueil au XIXe des enfants entre deux et sept ans

L’appellation « écoles maternelles » a été officiellement adoptée le 2 août 1881 par

décret (lois Ferry). Jusqu’alors, les lieux d’accueil et d’instruction des enfants de moins de six ans, initialement motivés par le souci de suppléer l’absence des mères ouvrières, étaient

dénommés « salles d’asile ». Les premières salles d’asile ouvrent d’abord à Paris à partir de

1826 sous l’impulsion d’un Comité de dames préoccupé par la détresse des enfants du peuple

et le manque de religion des classes populaires (J.-N. Luc : 1997). Progressivement, s’ouvrent

dans d’autres villes des établissements de charité, qui, à l’origine, ne sont pas pourvus d’une

législation qui aurait permis de fédérer et de structurer des initiatives privées tentant, au cas par cas, de recourir à des subventions publiques. L’ordonnance du 22 décembre 1837 met fin

à l’incertitude quant aux rôles respectifs de l’Etat et des dames patronnesses. On comptait en

1837 huit cents établissements publics municipaux et privés.

Dès 1833, Jean-Denys-Marie Cochin, édile parisien acquis aux idées et aux

convictions charitables du Comité des dames, propose des contenus de savoirs à l’intention

des salles d’asile. Les principes pédagogiques généraux de la « méthode Cochin » sont

inspirés par le principe de gradualité des connaissances à enseigner et de l’organisation en

cohortes de même niveau travaillant selon la « méthode simultanée » mis au point par J.-B. de

La Salle à la veille de la Révolution pour l’« Institut des frères des écoles chrétiennes ». Dans

un article sur l’histoire des écoles maternelles, P. Kergomard (1911), figure éminente de l’histoire de l’école maternelle, critique vigoureusement la méthode Cochin en ces termes : « montée et descente du gradin d’après un cérémonial bizarre, marches lourdement rythmées dans les préaux et dans les salles d’exercices ; arrêt subits commandés au claquoir ; procédés mnémotechniques pour enseigner la lecture, le calcul ; initiation à la création du monde et des patriarche d’Israël ». Zerbato-Poudou (2000/2007) définit la méthode à l’œuvre

systématisation des modes de transmission, (…) l’ordonnance et la gestion de l’espace, du temps, des groupes d’élèves, la présence de rituels, de procédés mnémotechniques, de procédures de communication spécifiques, de supports d’apprentissage particuliers » (2007 :

28). Deux outils fournis au maître sont d’ailleurs le claquoir dont le bruit met les enfants en

marche et le sifflet qui suspend toute activité, signaux sonores qui rythment quotidiennement

le temps de la classe et les déplacements en silence des cohortes d’enfants. J.-N. Luc (1999), brossant une vue d’ensemble des pratiques d’encadrement dans les salles d’asile, estime que, pendant la période comprise entre 1850 et 1870, un tiers des établissements, bien équipés et dirigés par une maîtresse initiée à la méthode officielle, propose des marches, des mouvements, des chants et des leçons de choses. Dans un autre tiers, seul est mené un apprentissage systématique des rudiments de l’école élémentaire. Un dernier tiers n’est qu’un lieu de garde où des responsables, peu impliquées, se contentent de surveiller les enfants soit en les maintenant immobiles, soit en les laissant jouer (1999 : 17).

Pour ce qui concerne la lecture et l’écriture, le programme de la méthode Cochin, par

ailleurs très chargé, comporte d’emblée des rudiments appartenant également à l’école

élémentaire : « épeler des lettres, assembler des syllabes, des mots, parfois écrire sur des ardoises ». Les

maîtres utilisent une méthode de lecture qui, dans la terminologie de l’époque, désigne des

tableaux muraux où figurent syllabes et alphabets. Au moment prescrit dans l’emploi du temps, les enfants font cercle par groupe devant les planches murales. La logique d’intégration des connaissances est fondée sur une mémorisation par répétition inlassable comme, par ailleurs, l’instruction en école élémentaire à la même époque. A propos d’une

didactique du français, Chervel indique qu’elle « est fondée sur la mémoire. L’élève apprend

et récite des leçons, c’est-à-dire qu’il mémorise des pages de grammaire, des conjugaisons verbales, des listes de mots. » ((1992 : 38, tome 1).

En 1855, en contradiction avec ses propres préconisations qui rappelaient aux directrices trop zélées les dangers d’abus d’instruction qui font des salles d’asile des écoles primaires, le ministère de l’Instruction Publique édite un programme sous la forme d’un « Rapport à l’impératrice du 22 mars 1855 », quantitativement plus lourd encore que le précédent daté de 1837. Pour ce qui concerne la seule lecture, le texte indique :

« - l’enseignement de la lecture comprend les voyelles et les consonnes, l’alphabet majuscule et minuscule, les différentes espèces d’accent, les syllabes de deux ou trois lettres, les mots de deux syllabes ;

- l’enseignement de l’écriture se borne à l’imitation de lettres sur l’ardoise » (cité par Zerbato-Poudou).

En 1886, pour justifier la nécessité de changer les pratiques d’enseignement, P.

Kergomard décrit avec précision une séance de lecture dans les salles d’asile : « La devise si

souvent mise en exergue : "aller du connu à l’inconnu", est, sans qu’on s’en doute, mise absolument de côté, intellectuellement du moins, car je n’appelle pas aller du connu à l’inconnu passer de l’articulation "m" et de la voyelle "a", qui ne rappellent et ne représentent rien à l’enfant, à la syllabe "ma", qui ne lui rappelle, qui ne lui représente rien non plus. (…) et cependant c’est par les sons et les articulations qu’il a jusqu’à présent commencé son labeur intellectuel. (…) tableau de voyelles (…) tableau de consonnes (…), la syllabe est la base, il reste des semaines et des mois sur des regroupements sans lien entre eux : "ma", "la", "ni", "tu", "sa","la", "pa" (…). Dans beaucoup d’écoles, l’étude de la lettre est aidée par des signes plus ou moins cabalistiques, mais l’enfant a beau fermer ses cinq doigts et faire des mouvements de haut en bas, puis ouvrant la main, la porter à hauteur de sa figure comme s’il était étonné ou charmé, l’articulation "m" et la voyelle "a" ne lui ouvrent pas plus d’horizon que cela. (…) il apprend à lire comme il apprenait naguère (…) par la mémoire, dans une espèce de mort intellectuelle (…) il sait lire mécaniquement, mais lire qu’est-ce que c’est en somme pour lui ? C’est traduire par la parole des signes et des combinaisons de signes, ce n’est pas cueillir les pensées d’autrui à son propre fond, à son propre trésor de pensée » (L’éducation maternelle dans l’école : 1886, cité par Zerbato

Poudou : 2007 : 42). Les « signes cabalistiques » auxquels fait allusion P. Kergomard

proviennent de la « phonomimie », méthode recommandée par les directrices des salles

d’asile, qui consiste à combiner une gestuelle expressive avec la perception sonore, en

associant aux phonèmes du français trente-trois « gestes onomatopéiques ». Ainsi, par

exemple, « le « ah ! » de l’admiration, le « oh ! » de l’horreur, le « hue ! » du cocher »

symbolisent les voyelles [a], [o] et [y] (dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire :

1911). Il semble que son inventeur, A. Grosselin, ait imaginé un palier intermédiaire entre l’enfant et l’arbitraire du signe vocal ou graphique ; à cet effet, il a constitué un alphabet de signes "motivés" avec des références appartenant au monde enfantin.

En résumé, dans les salles d’asile, l’écrit est scolarisé sous la forme d’un objet rendu

visible sur une méthode : des planches murales de syllabaires et d’alphabet. La logique

pédagogique est, comme dans les écoles primaires, essentiellement fondée sur une inculcation par répétition routinisée. L’enseignement aboutit à une "réaction" oralisée des élèves à des signes graphiques pointés sur les tableaux muraux. Quand l’établissement dispose du matériel, on y recopie des lettres ou des mots sur des ardoises.

6.2. De 1881 à 1921, « Des exercices d’initiation à la lecture et à

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