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La prise en compte de la parole des enseignants filmés

1.6. A propos des objets graphiques

2.3. La prise en compte de la parole des enseignants filmés

2.3.1. Un dispositif d’entretiens

Notre recueil de données ne s’est pas limité à l’enregistrement chez des collègues de séances de classe. En adoptant une méthodologie d’analyse du travail réel telle que la préconise Yves Clot (2001), nous avons complété chaque observation située par un entretien d’autoconfrontation d’un sujet avec sa propre pratique filmée.

Lors d’un tel entretien lui aussi filmé, l’enseignant observe son activité, ses élèves, la situation qu’il a mise en place et y réagit spontanément. Pour notre part, en tant que chercheur, nous avions auparavant pris connaissance de la vidéo et y avions repéré des points en relation avec notre objet de recherche qui méritaient d’être interrogés. Pendant l’entretien, nous avons observé les réactions de l’enseignant, relevé quels éléments l’ont fait réagir puis interrogé le maître pour tenter d’avancer dans la compréhension de la situation scolaire que la vidéo traduit en images forcément parcellaires, fragmentées. Plusieurs modes de visionnement des séances filmées ont été adoptés sans qu’aucun n’ait été systématisé : parfois la séance enregistrée était observée en silence et une remarque de l’enseignant ou une question de ma part donnait lieu à une interruption du film pour échanger ; parfois les remarques de l’enseignant et les échanges qui s’en sont suivis se sont déroulés tout en regardant le film.

Malgré notre vigilance à ce sujet, le fait que la personne filmée et le chercheur partagent la même profession a peut-être masqué aux deux interlocuteurs quelque point aveugle partagé. Quoi qu’il en soit, cette proximité professionnelle a, au total, facilité, nous semble-t-il, chaque entretien : la connaissance commune d’une forme scolaire quand bien

même celle-ci était différemment investie par chaque sujet, et le partage d’un même idiolecte professionnel l’ont emporté sur les inconvénients éventuels.

En plus des trois entretiens d’autoconfrontation (pour A, B et C, seulement un pour D), les quatre enseignants ont participé deux fois à un dispositif d’autoconfrontation croisée. Celui-ci consistait, pour un enseignant, à donner à voir aux trois autres un fragment de séance (une séance complète aurait été trop longue). Sur la base de propositions du chercheur, le choix du fragment montré était négocié avec l’enseignant. Il revenait aux "spectateurs" d’interroger leur collègue sur ce qui les interpellait, eux, les modes opératoires repérés, les logiques d’apprentissage inférables etc.. Chaque entretien croisé a permis à deux enseignants d’expliciter leurs choix et leurs convictions pédagogiques et didactiques. Nous étions, pour notre part, garante de ce que le questionnement et les remarques ne quittent pas le terrain professionnel.

Cette méthodologie d’analyse de l’activité vise en premier lieu à une transformation

de la connaissance au bénéfice de l’enseignant qui se prête à l’épreuve de se regarder faire. Selon Y. Clot (2001), il s’agit pour le sujet filmé de se donner l’occasion de se détacher d’une expérience vécue pour mieux la comprendre dans une dynamique ouverte, vers un

augmentation permanente de sa capacité de penser son travail : « L’expérience passée est

ainsi promue au rang de moyen pour vivre la situation présente et future. C’est dans ce transit entre deux situations, dans ce déplacement du vécu – qui d’objet devient moyen – que ce même vécu se détache de l’activité, devient disponible pour la conscience, s’enrichit des propriétés du nouveau contexte » (op. cit. p. 23-24). La possibilité donnée de se voir, souvent pour la première fois a été unanimement appréciée par les enseignants qui en avaient pris le risque. De fait, les quatre enseignants ont tous spontanément énoncé, à plusieurs reprises, dans les entretiens individuels et croisés, que le dispositif de recherche avait généré chez eux une transformation dans leur compréhension des phénomènes d’enseignement. Par ailleurs, chaque enseignant, après s’être vu et après avoir participé à un entretien sur ses propres choix pédagogiques et didactiques, a dit avoir opéré des modifications dans les activités qu’il mettait habituellement en œuvre. Ainsi, l’enseignant A n’a pas repris le tableau de responsabilités liées au goûter tel que celui-ci était utilisé au cours de l’année d’observation, l’enseignant B a dit qu’il avait réduit la quantité d’étiquettes à gérer ; d’une façon générale, les quatre enseignants ont tous énoncé qu’après leur participation aux entretiens d’autoconfrontation seule ou croisée, ils avaient eu le souci de simplifier les tâches proposées. De plus, les enseignants ont jugé le dispositif permettant des échanges entre pairs d’une grande fécondité professionnelle.

Comme le dit Y. Clot, fort de son expérience de ce dispositif, les participants ont

effectivement considéré que « le dernier mot n’est jamais dit, le dernier acte jamais

accompli » (p. 24). En conséquence, à l’issue du second entretien d’autoconfrontation croisée,

l’équipe auto-instituée des enseignants a décidé qu’un espace de formation s’était créé et elle a souhaité le maintenir, tout en l’ouvrant le cas échéant, à un nouveau chantier. Le travail collégialement projeté se situe dans le prolongement de notre propre objet de recherche et concerne les problèmes didactiques d’enseignement-apprentissage de l’écrit inhérents aux objets graphiques que sont les imagiers, les abécédaires et les répertoires.

2.3.2. Activités réalisées et non réalisées

Outre l’intérêt de formation reconnu par les participants, le dispositif comporte aussi de précieuses qualités heuristiques pour la recherche : une nouvelle phase d’analyse confrontant l’enseignant à des manifestations filmées de sa propre pratique professionnelle permet d’approfondir, de nuancer et d’enrichir la compréhension potentielle des agissements de tous les acteurs adulte(s) et élèves en interaction. Ce travail d’affinement des explicitations s’appuie sur ce que la caméra a saisi, quand bien même cette saisie n’a été que partielle. L’enseignant filmé peut compléter oralement ce que la vidéo est incapable de restituer intégralement. En effet, en permettant au sujet de commenter le visible à l’écran, l’entretien

donne place à un amont et à un irréalisé de la séance. Le principe d’un irréalisé rejoint le

propos déjà cité de M. Altet (2006) qui énonce que la caractéristique du métier d’enseignant est précisément le degré d’indétermination des tâches qui le constituent, que toute décision prise en situation de classe entre en concurrence avec d’autres possibles. C’est pourquoi, d’un point de vue épistémologique, il est important selon nous de prendre en compte le réseau des

actions potentielles non actualisées. Nous partageons avec Y. CLOT la conviction que « le

réel de l’activité, c’est aussi ce qui ne se fait pas, ce que l’on cherche à faire sans y parvenir, […], ce que l’on aurait voulu faire ou pu faire, ce que l’on pense pouvoir faire ailleurs. […] L’activité possède donc un volume qu’une approche trop cognitive de la conscience comme représentation prive de ses conflits vitaux » (p. 18). Du point de vue d’une recherche en

didactique, cet accueil d’un irréalisé, reconnu rétrospectivement comme un potentiel de

l’activité, se justifie pleinement pour tenter, après en avoir constaté des effets sur des élèves grâce à la vidéo, de remonter le déroulement d’une activité et d’y repérer des bifurcations possibles dans l’enchaînement des micro-choix plus ou moins contraints, plus ou moins pensés, opérés par les enseignants. Cela leur permet de prendre conscience que ce sont

précisément des choix, non inéluctables, non évidents et "naturels", sur lesquels il est possible de jouer.

2.4. Le temps d’analyse comme une nouvelle expérience de relation au

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