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Une remarque sur les énoncés axiologiques

Typologie de la normativité

NORMES NOMOLOGIQUES

VI. Une remarque sur les énoncés axiologiques

La typologie proposée dans les pages qui précèdent n’est qu’une nouvelle tentative de catégoriser notre usage quasi-anarchique de notions qui, bien que voisines, et semblant même parfois se superposer les unes aux autres, répondent toutefois à des mécanismes quelque peu différents. A mon sens, si une modification devait être apportée à cette typologie, elle ne serait que marginale et ne constituerait au pire qu’un aménagement local et superficiel, ne remettant nullement en cause sa structure générale. Avant de conclure, j’aimerais encore m’intéresser brièvement au cas des énoncés axiologiques. Au vu de la typologie proposée dans ce travail, on pourrait en effet objecter que cette dernière ne parvient pas à aménager une place aux énoncés axiologiques (ou évaluatifs). Par ‘énoncé axiologique’ on entend généralement les énoncés qui expriment une valeur (le bien, le mal, le beau, etc.).109 On pourrait par exemple citer des énoncés comme :

- Il est mauvais de mentir.

- Il est bon de bien se comporter envers ses semblables. - Il est mal de tuer.

- Le beau est désirable.

Quel traitement ma typologie réserve-t-elle à des énoncés de ce type ? Doit-elle être à même d’en rendre compte ?

Bien que reconnaissant l’existence d’énoncés axiologiques, je ne suis pas certain qu’il soit judicieux de vouloir absolument les ranger au nombre des énoncés normatifs. Certes, ces énoncés semblent attribuer à un objet donné une propriété particulière. Mais, quand bien même ils paraissent étroitement liés à des prescriptions, ils ne sont pas des énoncés normatifs au sens défini plus haut. Si l’on accepte cette observation, nul besoin donc pour ma typologie d’intégrer les énoncés axiologiques.

Il est toutefois intéressant de remarquer que bon nombre d’énoncés axiologiques (par exemple « Il est mauvais de mentir ») peuvent être reformulés en termes prescriptifs (« On ne doit pas mentir »). A ce titre, il est clair cependant que, ainsi reformulés, ils trouveront aisément une

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Le même genre d’objection peut éventuellement être formulé en utilisant des qualificatifs tels que ‘correct’, ‘justifié’, etc.

place au sein de ma typologie.110 De ce point de vue, bon nombre d’énoncés axiologiques peuvent donc être considérés comme des prescriptions masquées. Par exemple, dire à un enfant qu’il est mal de mentir sera ainsi une manière à peine voilée d’exiger de lui qu’il dise la vérité. De la même manière, dire à un enfant qu’il est bon de laisser sa place aux personnes âgées dans les transports publics n’est finalement qu’une manière abrégée d’énoncer la prescription suivante : « Lorsqu’une personne âgée ne trouve va de place assise, tu dois lui céder la tienne ». En conclusion, on peut donc relever les deux points suivants :

(1°) Il n’est pas évident que les énoncés axiologiques soient à strictement parler des énoncés prescriptifs. Dans cette hypothèse, ma typologie n’a ainsi pas à les intégrer.

(2°) Il semble possible de reformuler bon nombre d’énoncés axiologiques de façon à en faire des normes prescriptives pouvant aisément intégrer ma typologie.

VII. Conclusion

J’ai cherché, dans les pages qui précèdent, à élaborer une typologie basée sur les trois notions fondamentales que sont (1°) l’opposition descriptif / normatif, (2°) la structure et (3°) le caractère des normes. A aucun moment je n’ai prétendu que cette typologie était la seule à avoir une quelconque valeur ; une telle affirmation aurait été d’une prétention condamnable au vu des nombreuses typologies qui agrémentent l’histoire de la philosophie. Toutefois, un des grands avantages de la typologie proposée est qu’elle ne semble pas présupposer une position particulière en ce qui concerne la normativité. En effet, elle laisse ouvertes un maximum d’options et ne cherche pas à déterminer lesquelles des catégories identifiées ont effectivement des instances, laissant à une théorie substantielle de la normativité la responsabilité d’une telle affirmation. Un second avantage de ma typologie est qu’elle semble éviter le simplisme sans pour autant tomber dans une complexification excessive qui la rendrait presque inutilisable.

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Bien sûr, si un énoncé axiologique donné est rangé dans la catégorie des normes prescriptives, la question va ensuite se poser de savoir si l’on a affaire ici à une norme catégorique ou à une norme hypothétique. Dans le second cas, on devra ensuite déterminer s’il s’agit d’une norme nomologique ou d’une règle. Mais ces questions n’ont pas à trouver une réponse ici, l’essentiel étant simplement pour moi de démontrer que ma typologie offre l’espace suffisant pour absorber la notion d’énoncé axiologique.

Pour terminer, j’aimerais proposer un schéma qui, mieux que de longues explications, permettra de visualiser de manière optimale les grandes orientations prises dans ma présentation.

Paramètres nécessaires

Caractère

(la flèche va du plus fort au plus faible)

Type de norme Structure

W Absolue

+ LN Téléologique / Survenante Catégorique

Nomologique forte + D

Nomologique faible

+ C Règle

Hypothétique

Le tableau ci-dessus doit se lire comme suit : la première colonne indique le type de norme en vigueur une fois fixé le paramètre en question. A ce propos, il est important de relever que, s’agissant des normes catégoriques absolues, le monde choisi importe peu puisque de telles normes sont supposées être valables dans tous les mondes possibles. Une fois le monde en question associé à un ensemble de lois de la nature, on est à même de connaître les normes téléologiques et les normes catégoriques survenantes en vigueur et de compléter ainsi notre catalogue des normes à structure catégorique (cf. colonne de droite). En ajoutant le paramètre D (spécifiant un ou plusieurs désirs ou objectifs de l’agent en question), on obtient un ensemble de normes nomologiques (qui peuvent être fortes ou faibles, en fonction du domaine concerné). Enfin, l’adjonction du paramètre C permet de déterminer les règles en vigueur dans le monde en question et de compléter notre tableau ainsi que le catalogue des normes hypothétiques. La colonne du caractère contient une unique flèche dont la direction indique que le caractère des normes en question est décroissant. En d’autres termes, plus on ajoute de paramètres, plus la marge de manœuvre des individus cherchant à modifier les normes en vigueur est importante. Ce qu’on pourrait appeler la force de caractère d’une norme est donc inversement proportionnelle au nombre de paramètres dont elle est la fonction. Dans le cas des règles, une modification n’implique qu’un changement de conventions. Dans le cas des normes nomologiques, une modification implique au moins une modification des lois de la nature, modification qui entraînera également un possible changement au niveau des normes

téléologiques ou des normes catégoriques survenantes.111 Enfin, les normes catégoriques absolues sont valables de manière identique à travers tous les mondes possibles et exemplifient donc le caractère le plus fort.

J’espère avoir démontré la vraisemblance de la typologie présentée ici et convaincu le lecteur du bien fondé de son adoption, adoption d’autant plus importante qu’elle permet à mes yeux de dégager les axes majeurs susceptibles d’être suivis pour traiter du problème de la normativité en général et de la normativité sémantique en particulier. A présent que les contours des notions de norme et de normativité ont gagné en précision, j’aimerais m’attacher à expliciter davantage encore la notion spécifique de normativité sémantique.

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Comme indiqué dans le tableau du point IV.E, normes nomologiques faibles, normes téléologiques et normes catégoriques survenantes ont sensiblement le même caractère puisqu’elles peuvent se trouver modifiées par une modification du paramètre LN. En revanche, les normes nomologiques faibles (contrairement au normes téléologiques et aux normes catégoriques survenantes) peuvent se trouver modifiées par un changement au niveau du paramètre D. C’est pourquoi je les ai placées au dessous des normes téléologiques et des normes catégoriques survenantes, indiquant du même coup que leur modification est plus aisée et que leur caractère est donc plus faible.

Chapitre 4