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NORMES PRESCRIPTIVES

Typologie de la normativité

NORMES PRESCRIPTIVES

HYPOTHETIQUES

‘Si … & D & … , alors P’

CATEGORIQUES

’Tu dois φ’

J’en ai à présent terminé avec la distinction entre normes hypothétiques et normes catégoriques ; on l’a vu, cette dernière concerne la structure des normes prescriptives.

J’aimerais à présent affiner ma typologie et m’intéresser pour ce faire à ce que j’appellerai désormais le caractère d’une norme.

IV. Le caractère d’une prescription, ou comment changer l’ordre des choses

Dans la partie initiale de ce chapitre, j’ai procédé à une première distinction qui nous a permis d’éclaircir la situation quelque peu confuse provoquée par les ambiguïtés entourant le mot ‘norme’. J’ai alors souligné le fait que ce même terme recouvre deux catégories de normes bien différentes, les premières étant purement descriptives, les secondes possédant une dimension normative. J’ai ensuite procédé à une nouvelle bipartition à l’intérieur de la catégorie des normes prescriptives en distinguant, sur la base de leur structure, les normes catégoriques (valables de manière indépendante de tout désir ou but) des normes hypothétiques (dont la dimension normative est liée à un désir ou à un but). Cette distinction n’est pas nouvelle et me semble tout à fait intuitive. Afin de poursuivre ce processus de clarification, je vais chercher à présent à répondre non plus à la question :

« Quelle peut être la structure d’une norme prescriptive ? »

mais plutôt à la question :

« Pour autant que cela soit concevable, que faut-il changer pour modifier (ou faire disparaître) les normes en vigueur dans un monde w donné ? »77.

Cette nouvelle question ne remplace pas la première, mais va permettre d’affiner notre typologie en distinguant divers types de normes aussi bien à l’intérieur de la catégorie des normes catégoriques qu’à l’intérieur de celle des normes hypothétiques. De manière plus imagée, ces nouvelles distinctions vont nous permettre d’évaluer la marge de manœuvre d’un individu (ou d’une communauté) habitant un monde soumis à des normes données ; en d’autres termes, elles nous permettront de percevoir ce qu’il faut changer dans ce monde pour que les normes en vigueur s’en trouvent modifiées.

77 En parlant de la concevabilité de la modification d’une norme, j’ai en tête le phénomène de résistance que l’on peut avoir à imaginer des prescriptions (notamment morales) différentes de celles auxquelles on pense être soumis. Ainsi peut-on par exemple être dans l’incapacité d’imaginer un monde dans lequel tuer des enfants pour le plaisir soit moralement acceptable. A l’inverse, on ne ressent aucune résistance à imaginer un monde dans lequel un feu rouge signifierait que les voitures sont autorisées à passer. Le contexte qui nous occupe, à savoir celui de la normativité sémantique, semble donc receler moins de cas de résistance imaginative que celui, paradigmatique, de la morale. Concernant ce phénomène de résistance imaginative, cf. GENDLER (2000).

IV.A. Modification des conventions : normes nomologiques et règles

La première distinction à laquelle je me propose de procéder s’applique aux normes hypothétiques et concerne la différence existant entre règles et normes nomologiques.78 Mon approche prend comme point de départ l’intuition généralement partagée selon laquelle les règles ont un aspect essentiellement conventionnel et sont ainsi plus étroitement liées à la notion de convention que ne le sont leurs « cousines » les normes. L’idée proposée consiste donc à considérer les règles et les normes comme appartenant certes à une même famille, à savoir celle des normes hypothétiques, mais à établir toutefois une distinction sur la base du rapport étroit existant entre règles et conventions.79 Au vu de cette catégorisation, toutes les règles seront donc à mes yeux des normes hypothétiques. Les normes hypothétiques qui ne sont pas des règles recevront quant à elles le nom de normes nomologiques.

J’aimerais à présent justifier mon affirmation selon laquelle les règles ont un aspect essentiellement conventionnel. On peut donner comme exemples typiques de règle :

(A) Les règles d’un jeu (B) Les règles de politesse (C) Les règles de circulation

L’idée est que les types de règles évoqués par exemple par (A), (B) et (C) ne résultent que d’une simple convention. Bien sûr, certaines d’entre elles ont parfois une genèse complexe (cf. règles de circulation) et/ou longue (cf. règles de politesse), mais toutes semblent reposer finalement sur la notion simple de convention.80

Lorsque j’affirme que les règles ne reposent ultimement que sur des conventions, j’ai en tête la chose suivante : pour changer les règles en vigueur, il suffit de décider de le faire. Je ne prétends pas que cela soit facile, au contraire, mais simplement que l’acceptation, la modification ou l’abandon d’un ensemble donné de règles dépend uniquement, au final, des

78

Le rapport entre règles et normes est un problème classique que rencontre tout théoricien cherchant à établir une typologie de la normativité. Diverses théories ont tenté de rendre compte de cette différence (cf. p.ex. von WRIGHT (1963) ; RAZ (1990) ; PFERSMANN (1995)) ; il serait trop long (et pas nécessairement profitable) de les discuter ici. Aussi vais-je simplement me contenter d’introduire la distinction que je me propose d’utiliser dans ce travail.

79

Au vu de leur caractère essentiellement conventionnel, je qualifierai parfois également les règles de normes

conventionnelles.

80

individus concernés (moyennant certaines procédures), ou en tous les cas de ceux qui les ont promulguées. Prenons un exemple : les Anglais roulent à gauche sur la route. On pourrait s’imaginer que, dans le cadre d’une homogénéisation de la législation routière européenne, la Grande-Bretagne décide de modifier son code de la route et d’adopter la conduite à droite. Ce processus serait sans doute long et compliqué, truffé de complications d’ordre politico- juridiques, mais l’adoption de la conduite à droite ne dépendra au final que de la volonté des individus concernés. Bien que relativement complexe, une modification d’un corpus de règles est relativement aisée en comparaison d’une modification des normes hypothétiques qui ne sont pas des règles, à savoir les normes nomologiques, dont j’aimerais à présent préciser les caractéristiques.

Les normes nomologiques sont des normes hypothétiques qui dépendent ultimement non pas de conventions, mais des lois de la nature (d’où le qualificatif ‘nomologique’). Tout comme pour les règles, l’aspect prescriptif des normes nomologiques dépend de la présence d’un but, d’une intention ou d’un désir. Mais contrairement à ce que l’on observe dans le cas des règles, une modification des normes nomologiques va exiger non pas de nouvelles conventions, mais une modification des lois de la nature. En d’autres termes : si une norme nomologique est en vigueur dans le monde actuel, alors elle le restera aussi longtemps que n’auront pas été modifiées les lois de la nature. Les mêmes normes nomologiques s’appliquent dans des mondes nomologiquement identiques (i.e. des désirs identiques donnent lieu à des prescription identiques). Cela n’est bien sûr pas vrai des règles puisque la modification de ces dernières ne requiert qu’une modification des conventions en vigueur.81

Lorsque je pense aux normes nomologiques j’ai en tête des normes hypothétiques comme :

(1) Si tu veux te réchauffer, alors tu devrais faire un feu.

(2) Si tu ne veux pas tuer ce poisson, tu ne devrais pas le sortir de l’eau.

(3) Si tu veux faire passer ton mal de tête, alors tu devrais ingérer de l’acide acétylsalicylique.

(4) Si tu veux que ta maison soit solide, alors tu devrais respecter les principes [P1,…, Pn].

81

On verra cependant plus bas (cf. IV.B ci-dessous) qu’il existe une relation très importante entre les lois de la nature et les règles.

(5) Si tu veux te reproduire, alors tu devrais…

Typiquement, les normes nomologiques font mention de (ou sont sous-tendues par) certaines lois ou connaissances physiques, biologiques ou chimiques. Elles sont subordonnées à un but et ne reposent pas ultimement sur une convention. Une remarque s’impose ici : bien sûr, il n’est pas rare, lorsque l’on obéit à une prescription exprimée par une norme nomologique, de mettre en œuvre des moyens dont la disponibilité repose ultimement sur des conventions. Par exemple, utiliser des allumettes (cf. (1)) ou avaler une aspirine (cf. (2)) sont des procédures possibles parce que certaines personnes se sont engagées à fournir un certain travail, contre rémunération, et parce que d’autres se sont engagées à transporter à différents endroits les marchandises résultant de ce travail, transport qui bien sûr est régi par un ensemble de règles. Il est toutefois important de remarquer que si l’existence de ces règles facilite l’obéissance aux (ou la réalisation des) prescriptions contenues par des normes nomologiques, elles n’en sont cependant pas des conditions nécessaires, dans la mesure où l’on pourrait obtenir les mêmes résultats quand bien même elles n’existeraient pas. On savait faire du feu avant l’invention de l’allumette, et il était vrai bien avant la découverte de l’acide acétylsalicylique et l’apparition de l’industrie pharmaceutique que certaines substances font disparaître des symptômes comme les maux de tête.

Sur la base des exemples et des remarques formulés dans les lignes qui précèdent, je propose donc les deux définitions suivantes :

(R) Les règles (ou normes conventionnelles) constituent l’ensemble des normes

hypothétiques pouvant être créées, modifiées ou abandonnées sur la base de conventions.

(NN) Les normes nomologiques constituent l’ensemble des normes hypothétiques telles

que, pour toute norme hypothétique N et pour tout monde M nomologiquement identique au monde actuel M@ :

Caractère conventionnel & Caractère nomologique

NORMES