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Une radioscopie de la formation islamique

Dans le document Afrique(s) en Mouvement (Page 50-52)

en Europe

Depuis les origines de la présence musulmane en Europe, la prise en charge du savoir spirituel et rationnel du religieux a résulté des communautés locales. Bricolés, adaptés aux conjonctures, lentement légitimés sur le plan académique et institutionnel, ces patrimoines de formation dessinent une courbe des tendances autant que des projections d’islam.

Trois types de configuration de formation pouvaient s’offrir, en dehors des sermons et des voix religieuses des mosquées : les cercles privés, les expatriations en contexte musulman et l’entre- deux (là où la formation s’assure en Europe et où la reconnaissance s’acquiert par un voyage auprès d’une autorité religieuse notamment). Les cercles privés sont des lieux de formation informels, parfois spontanés et souvent nucléaires. En ce sens que ces cercles d’études, halaqât, calqués sur les types d’expérience confrérique, permettaient de structurer les enseignements et répondre à des attentes quotidiennes. Ces halaqât relèvent de la quête de connaissances variées, de mysticismes ou de normes religieuses. Notons qu’à partir de ces engagements pionniers vont s’établir des impulsions dynamiques dans l’associatif religieux et dans les futures structures de formation. Ensuite, avec la seconde génération et les conversions progressives à l’islam, ce sont les départs et les programmes de formation islamique en Europe.

Les premières situations indiquent que le statut des musulmans en Europe et l’éloignement de leur pays d’origine ont éveillé chez eux un intérêt pour la chose religieuse en tant que socle identitaire (El Asri, 2016). Cet état de fait a réduit leurs attentes concernant le savoir religieux à un utilitarisme cultuel, un protectionnisme familial et à un besoin de reconstruction objectivée de soi. Ce marquage identitaire s’est traduit comme la double retrouvaille du soi laissé là-bas et celui élaboré ici. La génération musulmane pionnière s’est ainsi fabriqué un islam comme prolongement des origines, mais qui a connu un essoufflement dans la conservation des pratiques traditionnelles, surtout au moment de la transition générationnelle.

Une seconde étape est marquée par la socialisation importante des musulmans, inscrits de plain- pied dans la réalité de la citoyenneté. Les voix de l’islam sont alors celles de porte-parole offrant une représentation renouvelée de l’islam. L’image attendue est celle d’un islam sensé, ancré dans les langues nationales et perçu comme intelligent et défenseur des voix musulmanes (du fait de la perception polémique de l’islam dans les médias). Ce phénomène de représentation explique le succès des conférences et la logique d’affirmation identitaire, autant par la distinction que par la négation de soi dans la société. Le savoir des élites est ainsi connecté à l’accompagnement des réalités sociales, notamment à la réorientation voire à la rectification des savoirs populaires. La distillation des connaissances procède par des interfaces moralisatrices et pédagogiques. Entre les professionnels des savoirs et les consommateurs de fait, des effets se font sentir sur la production discursive ; la nature de certains contenus d’éditions discographiques ou livresques en témoigne avec clarté. En effet, l’analyse des produits des « marchands de savoirs » à succès et des supports de connaissances de l’islam, lors des grandes messes communautaires, montre que la demande se réduit généralement au pragmatisme de la pratique et à des questions socioreligieuses qui traversent les préoccupations quotidiennes des musulmans. On peut résumer en disant que les attentes se synthétisent entre le « comment être musulman » et le « comment être musulman européen ».

Ces moments de besoin identitaire continuent de dominer le paysage, même si l’on voit se développer des acquisitions de savoirs non

en contexte européen, sur plus d’une décennie au moins. Les cadres juridiques autrichiens vont permettre la mise sur pied de formations d’encadrant religieux en milieu scolaire. Toutefois, depuis vingt-cinq ans, nous avons surtout été confrontés à des tentatives de greffe de modèles principalement arabophones ou turcophones. Elles concernaient surtout des étudiants issus de pays musulmans. La transition linguistique vers les langues européennes s’est imposée par la raréfaction des profils ayant la capacité de composer avec l’exigence de la langue d’origine et la nécessité de s’adapter aux demandes de nouveaux profils musulmans. Les quinze dernières années ont en effet progressivement proposé des formations francophones, anglophones, hispanophones, etc.

Le champ de la formation concerne une centaine de projets, essaimés au travers des pays européens. Certaines initiatives comptent plus d’une centaine d’inscrits, avec des achèvements de parcours de formation de plus en plus conséquents.

Le financement de toutes ces expériences provient de sources variées : elles sont extra-européennes, impliquant les pays d’origine, les capitaux de riches donateurs interpellés par la nécessité des formations en Europe et les fonds d’institutions ou de fondations islamiques internationales. La plupart des formations sont toutefois indépendantes de tout financement étranger et se subsidient par le soutien des inscriptions et des collectes dans les communautés ou de fonds privés locaux. Enfin, le déblocage de fonds publics est plus récent. Il concerne les approches principalement développées dans les universités ou les enseignements supérieurs reconnus. La finalité est pragmatiste, là où l’on désire proposer une offre de cadres dans les corporations religieuses. Toutefois, elle peut également s’inscrire comme simple expérience de service rendu à la société, où la connaissance de l’islam est jugée prioritaire.

Depuis cinq ans au moins, on se trouve à la jonction de nouvelles expériences de formation. Celles qui se construisent, par exemple, à la jonction des recherches de reconnaissance officielle de la part des institutions politiques, académiques, nationales ou d’universités en pays musulmans et des offres des pouvoirs publics, désireux de voir s’organiser l’islam. Ainsi, à côté du marché de la reconnaissance, des conventions académiques et des partenariats institutionnels, immersions en pays musulmans pour les études

qui se développeront. Cette transhumance des potentialités musulmanes, revenues en Europe après quelques mois ou années de formation (enseignements universitaires ou traditionnels), profilera de nouvelles figures de l’islam local. L’Arabie saoudite, le Yémen, la Jordanie, la Syrie, l’Égypte et le Maroc seront des pays d’accueil importants pour toute une frange de la jeunesse musulmane en quête de savoir. Les orientations, lectures, qualités de formation sont aussi très contrastées pour ne pas dire opposées quelquefois.

Enfin, le recours à la tradition de l’ijâza (litt. autorisation d’enseigner) est une voie médiane qui a aussi été empruntée. Elle consiste à évaluer la capacité de maîtrise d’un apprenant d’une matière religieuse. Cet examen de compétence se fait par une autorité religieuse en contexte musulman ou une compétence disciplinaire pour les sciences islamiques. Elle pérennise la transmission d’un savoir de maître à disciple, remontant ainsi jusqu’aux enseignements du Prophète de l’islam. Il peut s’agir des diverses lectures du Coran, de la maîtrise d’un ouvrage de référence classique ou d’une discipline voire d’une branche disciplinaire. Le méritant sera ainsi validé dans sa capacité à transmettre les références pour lesquelles la ijâza a été obtenue. Cette certification a traditionnellement fait autorité. Elle bénéficie d’une forte respectabilité dans certains pays (par la rigueur qui découle de son attribution), mais elle est aussi remise en question par d’autres (2). Si le statut de l’ijâza n’est pas compromis, il n’empêche pas pour autant la mobilisation d’une critique de provenance. Retenons que ce procédé s’européanise et qu’il est attribué par des autorités religieuses en Europe ou fait partie des certifications traditionnelles d’un cursus.

À côté de ces dynamiques en cours et qui continuent de se dessiner en Europe, des établissements de formation plus classiques vont faire leur apparition. Ils sont issus de la présence silencieuse de l’islam, où domine la langue des pays d’origine.

La transformation structurelle des cadres de formation coïncide donc avec la projection de soi

(2) Des pays musulmans sont parfois caractérisés par leur facilité d’offre de ijâza, au Proche-Orient notamment, et qui fait perdre la crédibilité du titre, tant les abus ont été importants.

nouvelle logique de marketing. Jusqu’alors, les discours dominants se bornaient à dire le service rendu par le projet à la communauté et tout le sacrifice offert par ses initiateurs.

Le dernier modèle est un prototype de formation qui tente de capitaliser l’ensemble des offres présentes sur le champ. Elles sont, à la fois : dans la virtualité et la réalité, dans le local et en connexion avec le global, dans les sciences islamiques et les sciences humaines. Elles sont aussi bilingues voire trilingues et s’ouvrent aux différents courants de l’islam, tout en répondant à des intérêts intellectuels et professionnels. Ces structures complexes ne sont possibles que lorsque se jumèlent des capitaux financiers et des ressources académiques importants.

Bref inventaire des lieux

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