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Lu pour vous

Dans le document Afrique(s) en Mouvement (Page 97-100)

conteste un matériel scientifique précieux pour la recherche en la matière. En effet, celle-ci se trouve très souvent confrontée au manque de données et au silence des institutions qui en détiennent.

L’enquête de terrain a été conduite entre la fin de 2015 et le début de 2016, soit à la suite de la campagne de régularisation des étrangers en situation administrative irrégulière de 2014, qui a bénéficié à plus de 23 000 personnes (1), dont plus de 70 % sont issues des pays se situant au sud du Sahara (2). L’ouvrage prend soin de comparer ses résultats avec ceux d’une autre étude qui a été menée en 2007 par l’Association marocaine d’études et de recherche sur les migrations (AMERM) sur un échantillon de 1 000 personnes (3). Cette dernière s’inscrivait dans un tout autre contexte profondément empreint d’une logique sécuritaire. En effet, elle a été conduite après l’adoption de la loi 02-03 et le renforcement des frontières de Ceuta et Melilla à la suite des tragiques événements de 2005. Ces mesures avaient pour but de limiter considérablement l’émigration irrégulière depuis le Maroc. La comparaison permet de faire ressortir certaines tendances qui sont apparues avec le temps entre 2007 et 2015 (la féminisation progressive des flux ou encore la diminution de la part des célibataires, par exemple). Un travail comparatif plus approfondi des deux études qui prenne en compte également les biais liés à la méthodologie de recherche utilisée dans l’une et dans l’autre serait sans aucun doute riche en enseignements

L’étude fait apparaître les tendances fortes de l’immigration des Subsahariens au Maroc. Plus de 67 % des migrants considèrent, dès leur arrivée, le Maroc comme un pays de résidence (contre 32 % qui le considèrent comme un pays de transit). Le durcissement croissant des politiques d’immigration européennes qui détournent en partie les flux migratoires entrants vers le Maroc, couplé à la réorientation de la politique étrangère du Maroc vers l’Afrique, font que le Royaume

(1) Politique nationale d’immigration et d’asile 2013-2016, ministère en charge des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration (MCMREAM), septembre 2016. (2) Ibid.

(3) Association marocaine d’études et de recherche sur les migrations (2008), « L’immigration subsaharienne au Maroc : analyse socio-économique », Rabat, 125 p., disponible sur : http://amerm.ma/wp-content/uploads/2014/02/ De- l’afrique-subsaharienne-au-Maroc-Les-réalites-de-la- migration-irregulière.pdf

apparaît de plus en plus comme un choix « faute de mieux » ou de « second best », une sorte de destination « substituable » aux pays de l’Europe. Même les personnes qui se disent déçues ou peu satisfaites de leur séjour au Maroc n’envisagent pas de le quitter pour autant, espérant que leur situation, le plus souvent précaire, va s’améliorer à l’avenir.

L’un des enseignements importants que l’on retire de cette étude est que la recherche d’un niveau de vie meilleur constitue la motivation principale des migrants, loin derrière les guerres ou les troubles politiques. Certains chiffres parlent d’eux-mêmes et méritent à cet égard d’être mentionnés. La majorité des migrants sont des hommes (74 %), urbains (91%) en âge de travailler (96 % des enquêtés ont entre 15 et 54 ans et une moyenne d’âge de 27,80 ans), d’un certain niveau d’éducation (37 % ont le niveau secondaire et 49 % ont le niveau supérieur) et appartiennent aux milieux relativement aisés de leurs société d’origine, étant donné le coût important de l’émigration. Le phénomène migratoire s’inscrit donc dans la continuité d’une logique de recherche et d’accession à un emploi. La levée du principe de préférence nationale pour les migrants régularisés en 2014 et l’atout que représente le niveau d’éducation des migrants leur ouvrent la voie d’accès à des emplois du secteur formel dans des domaines variés. Cette situation n’est pas sans créer de la méfiance chez les diplômés marocains qui peuvent voir en eux de potentiels concurrents (page 27). L’étude nous montre que les migrants subsahariens font face à un taux de chômage de 21% (deux fois plus élevé que chez les Marocains) et acceptent d’occuper des emplois en deçà des formations qu’ils ont reçues, principalement dans le secteur informel, avec des horaires peu commodes qui, de plus, sont rémunérés avec des salaires relativement faibles. Par ailleurs, l’enquête pointe du doigt les difficultés que rencontrent les migrants subsahariens à trouver un logement et la relation difficile qui les oppose souvent aux propriétaires (refus de signature du contrat de bail, inconfort, intransigeance en cas de retard de paiement…). Le constat est suivi d’une recommandation qu’il urge de prendre en compte : la mise en place d’une politique publique à même de contrôler les loueurs et d’éviter la constitution de ghettos. En effet, une situation de ce type rendrait difficile tout effet de voisinage, car au-delà de la stabilisation des migrants offerte en partie par la

nouvelle politique migratoire, l’intégration n’est possible qu’à travers l’intensification des relations avec la société.

Les auteurs de l’ouvrage ont vu juste au sujet de « l’inévitable réitération des campagnes de régularisation » (page 13). Seulement douze jours après la parution de l’étude, un communiqué de la commission en charge de la régularisation des étrangers annonce le « lancement, dans l’immédiat, de la deuxième phase d’intégration des personnes en situation irrégulière (4) » à la suite d’instructions royales. Bien que le communiqué précise que celle-ci « était déjà prévu[e] pour fin 2016 (5) », cette information n’a pour le moins jamais été communiquée publiquement, et rien ne le laissait penser. Avant l’annonce, certains hauts fonctionnaires excluaient catégoriquement toute nouvelle opération de ce type dans le moyen terme, estimant la première comme étant « exceptionnelle ». Leur argument consistait à dire que le renforcement des frontières marocaines est à même de limiter considérablement les flux entrants irréguliers et donc le nombre de nouveaux candidats potentiels à la régularisation (6). Cette vision illusoire, que la nouvelle campagne de régularisation contredit, est également fausse à plusieurs égards. D’abord, la politique migratoire menée par le Maroc depuis 2013 et sa stratégie pro-africaine ne font qu’augmenter l’attractivité du Maroc en tant que pays de destination. Ensuite, la plupart des migrants accèdent au territoire marocain de manière légale, profitant de la relative ouverture du Maroc en matière des visas. Ce n’est qu’une fois entrés au Maroc que leur séjour devient irrégulier. L’étude nous livre des statistiques très parlantes à ce sujet. Seule une personne sur huit rejoint le Maroc de manière irrégulière sans présenter des documents de voyage l’autorisant à y accéder (78 % présentent un passeport, 4 % un passeport et un visa tourisme et 5 % un passeport et un visa étudiant).

(4) Maghreb Arabe Presse (MAP), « Très hautes instructions royales pour le lancement, dans l’immédiat, de la deuxième phase d’intégration des personnes en situation irrégulière » [en ligne], consulté le 25/02/2017. URL: http://www.mapnews. ma/fr/activites-royales/tres-hautes-instructions-royales-pour- le- lancement-dans-limmediat-de-la-deuxieme-p

(5) Ibid.

(6) Benjelloun Sara, « Nouvelle politique migratoire et opérations de régularisation », in Alioua Mehdi et al., 2017, la Nouvelle politique migratoire marocaine, Konrad Adenauer Stitfung (Bureau du Maroc), disponible sur : http://www.kas. de/wf/doc/kas_51242-1522-3-30.pdf? 180105113402

L’ouvrage nous interpelle également sur une question qui mérite d’être posée. Si l’acquisition de la nationalité marocaine est aujourd’hui particulièrement restrictive, le débat sur son extension se posera à coup sûr dans les années à venir, dès lors que plusieurs centaines voire des milliers de personnes nées sur le sol marocain de parents étrangers y seront éduquées et socialisées.

In fine, la dynamique de reformulation de l’octroi

de la nationalité marocaine débouchera sur des débats plus larges, portant par exemple sur la redéfinition de l’identité nationale.

La nouvelle politique migratoire constitue un support de la stratégie que mène le Maroc en Afrique. Elle confirme également la dynamique de la pénétration de la culture des droits de l’homme et de l’État de droit que connaît le Royaume. Pourtant, les propos tenus en février 2017 par le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhenouch (7), et le franchissement de la frontière de Ceuta quelques jours plus tard par plusieurs centaines de Subsahariens (le plus important depuis plus d’une décennie) remettent sur le tapis les accusations espagnoles datant du début des années 2000, selon lesquelles le Maroc commanderait les vannes de la migration irrégulière en les ouvrant ou les fermant à sa guise en fonction de ses seuls intérêts (8)…

(7) Extrait des déclarations de Aziz Akhennouch à l’agence de presse espagnole EFE le 6 février 2017 : « Tout obstacle à l’application des accords agricoles et de pêche entre l’UE et le Maroc présente le risque que reprennent les flux migratoires. […] Pourquoi allons-nous continuer d’être des gendarmes ? Le problème de l’émigration est très coûteux pour le Maroc, et l’Europe doit l’apprécier à sa juste valeur. » Un communiqué officiel du ministère de l’Agriculture publié le même jour déclare également que « toute entrave à l’application de cet accord est une atteinte directe à des milliers d’emplois d’un côté comme de l’autre dans des secteurs extrêmement sensibles ainsi qu’un véritable risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d’un effort soutenu, a réussi à gérer et à contenir ».

(8) BIT, « L’immigration irrégulière subsaharienne à travers et vers le Maroc », Cahier des migrations internationales, Genève, 2002.

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