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Des offres de formation « glocalisées »

Dans le document Afrique(s) en Mouvement (Page 54-58)

La circulation du savoir-faire en matière de formation dans un réseau transnational globalisé a développé une logique de consommation postmoderne de la pensée islamique en contexte contemporain (Arkoun, 1998). Ce qui démontre d’ailleurs une réelle porosité des frontières quand il est question de transmission de savoirs, autant que la mobilité des offres et des demandes. Ce constat s’explique en partie par une carence face à la demande croissante de formation et la nécessité de répondre à des attentes précises, spécifiées dans les orientations des apprenants. Un élargissement de notre champ de vision, où s’inclut l’échelle internationale aux réalités des formations locales, est donc central. Ceci nous permet de mieux comprendre les enracinements et les modélisations progressives des formations dans les paysages urbains européens.

Les offres en sciences islamiques s’inscrivent dans la prise en compte d’un réseau où circulent les savoirs et les méthodes et où se déconstruisent les modèles universitaires ou supérieurs. Ces derniers bénéficient généralement d’une grande expérience en contexte musulman et donc d’un capital symbolique fort.

C’est ainsi que, face à l’absence d’offres de formation adéquates et à l’inadaptation des propositions quant aux contenus de formation, beaucoup de musulmans européens ont eu recours à une mobilité en pays extra-européens. Des structures scientifiques, universitaires ou traditionnelles, qui puissent répondre à la demande des cadres musulmans, a caractérisé une mise en mouvement vers les lieux de formation adéquats. Ceci s’explique sur une échelle de motivations variées : le paramètre de l’immersion linguistique ou culturelle a été la source de beaucoup de motivations. Mais il y a aussi le fait de bénéficier d’un enseignement de qualité à partir des sources de référence faisant écho à une légitimité à l’échelle mondiale. Initialement, les contenus des formations de cadres religieux en Europe sont issus d’héritages expérimentaux des contextes musulmans les plus proches des origines des initiateurs. Les formations pionnières sont caractérisées par

l’islam n’est alors perçu que par le cultuel et par le cadre d’une hiérarchisation des fonctions. Les avancées sur le dossier de l’émergence de leaders d’islam doivent cesser d’être paramétrées par le conjoncturel et l’urgence. Les temporalités ne sont pas les mêmes. Si la précipitation offre quelquefois des issues créatives intéressantes, le résultat est généralement bien plus mitigé. L’islam européen gagnerait à une indépendance politique, car si le dossier islam est géré dans le feu de l’actualité, il est encore trop souvent pris sur la pulsation des échéances électorales, déformant un processus par définition évolutif, hésitant et qui se recherche par essais.

Dans sa complexité, le nœud gordien du débat sur l’islam, démographiquement minoritaire en Europe, reste fondamentalement d’ordre épistémologique. Accompagner les leaders en Europe équivaut à toucher directement aux processus de construction d’un agenda, par les sélections et les filtrages. Cela consiste à intervenir sur une mécanique du religieux qui impactera les futures voix européennes de l’islam de fonction. Sans doute, obnubilés par les effets fonctionnels dans l’immédiat, les divers acteurs qui s’activent sur ce terrain de la formation des imams, par exemple, ne sont pas toujours conscients de la portée de leur interférence sur l’avenir. Cet angle mort de l’analyse mérite certainement l’ouverture d’une réflexion qui dépasse l’urgence de la mise en place des formations religieuses pour se concentrer sur les fabrications d’un islam de demain. Une sorte d’analyse des conséquences de la mise en place de modèles de formation serait à engager, à commencer par les conséquences sur la fabrication d’un corporatisme d’imams reconnus par la formation.

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Une circulation qui aurait tendance à se confirmer davantage par tout le processus d’immatérialisation ou de virtualisation des formations religieuses supérieures. Le nombre d’expériences proposant du e-learning et des accès aux savoirs en ligne foisonne. De même pour les formations en ligne qui tendent à se multiplier ou à se perfectionner. Celles-ci offrent la possibilité d’interagir avec l’enseignant ou de suivre virtuellement un cours en direct. La technologie a permis la disparition des contextes d’émission ou de réception, réduisant ainsi les coûts nécessaires à la gestion des bâtiments ou les frais de déplacement des enseignants, et optimisant le suivi de plus larges audiences. Ce processus de virtualisation aura donc démocratisé l’accès au savoir islamique en Europe.

Désormais, dans un contexte de religiosité établie au travers de structures et d’institutions musulmanes agissantes, le renforcement de la qualité du parcours des cadres religieux et de l’occupation pertinente des « métiers d’islam » renforce la formation comme solution appropriée. Le constat est que les leaders restent encore peu nombreux et que la classe des dirigeants est en voie d’être difficilement constituée dans la légitimité et la reconnaissance par les pairs. Les populations musulmanes n’ont pas encore fini de prendre pleinement possession de leurs droits dans l’espace public européen. Et un grand nombre de citoyens musulmans restent encore fragilisés par les difficultés et la précarité. L’urgence politique d’échafauder des lieux d’émergence de leaders tels que les formations d’imams, d’aumôniers de prison et consorts densifie une cadence sur les priorités qui ne permet pas une construction sereine des mises en perspective de soi dans l’avenir. Aussi,

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création d’entreprises et l’ouverture de l’économie marocaine à des capitaux en provenance des pays d’accueil des MRE et d’origine des investisseurs. Ceci se fait souvent dans des logiques de partenariat entre des acteurs économiques qui sont insérés dans des réseaux transnationaux entre le Nord et le Sud.

C’est donc un travail exploratoire qui tente de saisir les particularités des investissements productifs des entrepreneurs transnationaux d’origine marocaine dans le tourisme, de comprendre les significations et motivations que les acteurs donnent à leurs actions économiques et sociales (6). Ainsi, plusieurs interrogations vont structurer cet article : Quelles sont leurs motivations, leurs représentations et leurs itinéraires ? Comment ces entrepreneurs dans leur diversité remettent-ils en cause le paradigme classique de l’immigré salarié ? Comment ces entrepreneurs jouent-ils avec les frontières, les appartenances, les dimensions locales, nationales et internationales ? Où puisent-ils leur légitimité socioculturelle en qualité d’entrepreneurs militants du développement ?

l’investissement productif. http://fr.le360.ma/economie/les- transferts-des-mre.

(6) Le cas des investissements productifs des migrants espagnols dans leur pays est caractéristique à ce niveau-là.

Cet article vise à caractériser les profils et les motivations des entrepreneurs marocains issus de l’immigration (ou de l’émigration), (communément appelés Marocains résidant à l’étranger (MRE)) dans des petites et moyennes entreprises touristiques à l’échelle de Marrakech. Le choix du secteur du tourisme est pertinent du fait qu’il prend une place stratégique dans la politique économique et sociale du gouvernement marocain. La ville de Marrakech comme terrain d’enquête est aussi justifié par le fait qu’elle constitue la première destination touristique marocaine avec 34 % des nuitées, suivie par Agadir, 25 %, et Casablanca en troisième position avec 10 % (3). Elle se distingue tant par son infrastructure touristique et sa renommée mondiale que par l’ampleur de l’investissement productif dans le secteur (4).

L’investissement productif des MRE et étrangers tient moins à son poids qu’au rôle particulier qu’il joue dans la dynamisation de l’économie locale, régionale et nationale (5). Il permet la

(3) Statistiques du ministère du Tourisme en 2016. (4) Ibid.

(5) A titre d’information, en 2016, les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE) ont atteint les 61,75 milliards de dirhams. Cependant, on ne peut distinguer la part de

Les entrepreneurs

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