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Jean-Noël Ferrié

Dans le document Afrique(s) en Mouvement (Page 70-72)

Politologue, Université internationale de Rabat, Sciences-Po Rabat, LEPOSHS

Politologue, université Grenoble-Alpes, CNRS, Sciences-Po Grenoble, PACTE & Université internationale de Rabat, Sciences-Po Rabat, LEPOSHS

l’activité diplomatique du souverain, comme en témoignent le nombre des visites qu’il y effectue, depuis 2001, et leur durée (voir tableau ci-dessous). Va dans le même sens le réinvestissement progressif des arènes diplomatiques régionales comme du « Groupe africain » à l’ONU, à Genève. De ce point de vue, il eut été contre-performant tant de fermer les frontières du pays que de ne pas traiter les migrants subsahariens de manière décente. Il fallait, au contraire, faire ce que les autres pays ne faisaient pas ou ne faisaient plus : régulariser ceux qui y vivaient sans en avoir le droit. Promouvant une solidarité Sud-Sud, le Maroc ne pouvait traiter les migrants irréguliers comme les traitent les pays du Nord. De ce point de vue, ils devaient faire valoir un « avantage comparatif ».

La deuxième campagne de régularisation lancée par le roi Mohammed VI, le 12 décembre dernier, a eu lieu dans le cours d’une série de visites officielles conduites par le souverain en Afrique subsaharienne. L’un des principaux sites d’information marocain, Yabiladi, notait, en annonçant la nouvelle, qu’elle prenait « tout le monde de court ». Il est vrai que la première campagne de régularisation avait été présentée comme « exceptionnelle ». En même temps, cette présentation, si une partie des autorités publiques pouvait malgré tout y croire, n’était nullement crédible. La présence de migrants au Maroc tient à son attractivité, non plus comme pays de transit, mais comme pays d’installation. Son secteur informel permet d’accueillir une part importante d’immigrés ; pour un certain nombre de nationalités, on peut y entrer sans visas par des routes normales, notamment aériennes ; le français y est partiellement utilisé, au moins dans les grands centres urbains ; la politique européenne a un effet dissuasif qui conduit une partie des migrants à préférer des destinations moins difficiles. Du reste, les politiques de régularisation sont par elles-mêmes attractives, surtout lorsqu’elles ne s’accompagnent pas d’une fermeture accrue des frontières. Et puis, il y avait une évidence politique, laquelle empêchait cette fermeture : les migrations sont la contrepartie humaine de flux d’idées, de culture et de biens unissant un territoire à son voisinage. On ne peut ni avoir ni vouloir les uns sans les autres. L’Europe, elle, peut le vouloir et l’avoir en partie, parce qu’elle ne vise pas une intégration régionale égalitaire avec les pays du Sud qu’elle ne considère que comme sa périphérie (même si les choses ne sont pas dites en ces termes). L’Afrique, au d’aujourd’hui : la diplomatie migratoire. En effet,

les pays du Nord de la Méditerranée regroupés au sein de l’Union européenne, s’ils accordent une place importante à la migration dans leurs relations de voisinage, ont plutôt tendance à user de l’outil diplomatique afin de gérer une attitude envers les migrants qui n’a rien de diplomatique. Leur diplomatie comme leurs pratiques consulaires visent, en effet, à limiter autant que faire se peut l’accès des étrangers, notamment venus d’Afrique, à l’Europe. Cette volonté a quelque chose de rugueux, qui indispose les partenaires de ces pays, les gouvernants aussi bien que les sociétés. C’est d’autant plus rugueux, dans le cas de la France, qu’il s’agit, pour une part, de migrants francophones venus de pays préalablement colonisés vis-à-vis desquels l’ancien colonisateur continue à déployer une politique d’attractivité et de promotion de la francophonie. Dans ces cas, la diplomatie liée à la migration pourrait être définie, au mieux, comme une « diplomatie réparatrice ». Elle tente, plus ou moins, de compenser l’entrebâillement inhospitalier, voire la fermeture des frontières, parce que ces pays, dont les ressortissants ne sont plus agréés, n’en sont pas moins des partenaires. La diplomatie migratoire du Maroc, elle, s’est développée d’une manière totalement inverse : l’accueil décent des migrants subsahariens est devenu l’un de ses outils. Le point de départ de cette diplomatie est la politique de régularisation des migrants lancée, le 10 septembre 2013, par le roi, après que le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) lui ait remis un rapport sur leur situation. Le 6 novembre suivant, dans le discours qu’il prononça à l’occasion de l’anniversaire de la Marche verte, le roi appela le gouvernement à mettre en place une politique migratoire globale fondée sur « une approche humanitaire conforme aux engagements internationaux du Maroc et respectueuse des droits des immigrés ». Nous sommes, bien sûr, toujours dans le registre des droits de l’homme. Il semble, toutefois, utile de rappeler que, dès 2006, la politique migratoire marocaine, restrictive jusqu’alors, avait commencé à s’infléchir dans une perspective Sud-Sud, la Maroc travaillant à promouvoir une approche équilibrée Union européenne-Maroc-Afrique de l’Ouest. Il ne peut, en effet, envisager de s’extraire de son contexte régional, notamment lorsqu’il vise à y retrouver pleinement sa place.

Depuis le début du règne du roi Mohammed VI, l’Afrique occupe ainsi une part croissante de

solidaire, au carrefour de différentes aires géoculturelles, et revendique un rôle de pont entre le Nord et le Sud. Cette nouvelle orientation africaine l’a aussi poussé à redéfinir son identité en tant qu’Etat. C’est ainsi que le Maroc se présente désormais comme une nation africaine, et non seulement arabe et musulmane. Portée principalement par la monarchie, cette politique étrangère s’exprime par le développement d’une coopération dynamique entre le Maroc et un certain nombre de pays en Afrique de l’Ouest et centrale. Depuis 2001, les nombreuses tournées africaines du roi ont permis la signature de centaines d’accords de coopération dans les domaines économique, technique, scientifique, sécuritaire ou encore environnemental. De ces échanges diplomatiques découlent des alliances solides. L’ensemble de l’espace africain francophone constitue désormais une aire de coopération privilégiée par le Royaume, ainsi qu’un espace d’influence convoité par ses dirigeants et ses entreprises. Premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest, cinquième puissance économique continentale et septième puissance militaire, la reconnaissance du Royaume en tant que puissance africaine est désormais difficilement contestable. Illustration d’un succès politique, les pays visités par le roi Mohammed VI sont aussi les premiers à avoir soutenu la demande d’adhésion du Maroc à l’UA, en 2016, et à avoir signé une motion demandant l’exclusion de la RASD de l’organisation panafricaine, exprimant ainsi leur engagement auprès du Maroc.

Cette politique ne fut pas véritablement considérée au départ : il fallut attendre les tournées royales de 2013, 2014 et 2015 pour que les médias, les chercheurs et les chancelleries étrangères s’en enquissent. L’émergence tardive de sa prise en considération résulte de deux facteurs majeurs : d’une part, cette ambition de puissance était peu crédible venant d’un pays en développement, disposant de faibles ressources matérielles, isolé du continent précisément à la suite de son départ de l’OUA et, de surcroît, tourné vers l’Europe et l’espace arabo-musulman. D’autre part, la monarchie et le gouvernement ont très peu communiqué sur ce sujet au départ. La politique africaine du Maroc est née à travers la pratique d’une « stratégie empirique de réaction », une stratégie qui ne découle par d’une théorie politique, d’un « livre blanc » ou de tout autre type de document stratégique formalisé et rendu public, mais qui s’invente au fur et à mesure contraire, n’est pas la périphérie du Maroc ; le

Maroc est en Afrique. Son intégration régionale comme la possibilité d’en retirer un leadership est tributaire de l’existence de l’ensemble de ces flux. Pour le dire vite : pour faire des affaires avec le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, il faut aussi accueillir des Sénégalais et des Ivoiriens, qui font du commerce avec leurs pays d’origine ou qui y envoient de l’argent gagné au Maroc.

Ainsi, si l’on considère la politique africaine du Maroc dans son ensemble, sa diplomatie migratoire ne peut être autre que ce qu’elle est, en rupture avec les diplomaties « occidentales » et, plus particulièrement, européennes, qui accompagnent tant bien que mal l’inhospitalité et l’asymétrie de traitement. Quoique qu’entretenant des relations étroites et amicales avec nombre de pays européens, le Maroc propose avec modération, sans doute, mais fermement, une alternative à leurs politiques. Toutefois, et c’est un point particulièrement intéressant, cette diplomatie n’est possible que parce qu’elle émane d’un acteur indépendant de l’élection, à qui la Constitution comme la coutume reconnaissent le droit de faire des choix pour tous, c’est-à-dire indépendant de la concurrence partisane. Nous allons, tout d’abord, nous intéresser à la congruence entre la politique africaine du Maroc et sa politique migratoire (1). Nous nous intéresserons, ensuite, à la mise en avant de la « différence » marocaine par rapport à l’« Occident » (2). Nous terminerons en revenant sur le fonctionnement du régime politique marocain, qui permet la mise en œuvre d’une telle diplomatie migratoire (3).

La politique africaine du

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