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L’outil religieux au service d’une diplomatie d’influence

Dans le document Afrique(s) en Mouvement (Page 30-32)

Le capital spirituel du Maroc, qui repose essentiellement sur le malékisme, l’achaarisme, le soufisme et la Commanderie des croyants, représente un élément primordial de son

soft power religieux qui lui a permis de se

positionner aujourd’hui en tant qu’acteur voire régulateur géopolitique dans la région. Malgré des différences d’architecture institutionnelle avec ses voisins et partenaires africains qui ont des constitutions laïques, le Maroc a tout de même réussi à consolider l’idée d’un patrimoine religieux en partage comme forme de résilience face aux assauts des courants radicaux et de l’extrémisme violent qui sévit aussi bien au Sahel qu’au Maghreb.

L’héritage confrérique du Maroc, particulièrement les Tarîqa Tijâniya et la Qâdiriyya, exerce également une influence importante dans les relations entre le royaume et l’Afrique susbsaharienne. La mobilisation de ces ressources symboliques (17), conceptualisée depuis les travaux de Bakary Sambe (2003), représentées dans les différents courants soufis, constitue, en effet, l’élan de cette nouvelle dynamique diplomatico-religieuse du Maroc qui focalise aujourd’hui l’attention d’innombrables études et recherches académiques.

Le lancement de l’Institut Mohammed VI pour la formation des imams prédicateurs et prédicatrices et de la Fondation Mohammed VI des oulémas africains s’inscrit ainsi dans une politique religieuse préventive inédite au Maroc et dans son engagement pour la stabilité et la sécurité dans le reste du continent africain. Cette spécificité est rendue possible grâce à la particularité du Maroc avec l’institution bien ancrée d’une Commanderie des croyants. Le Maroc, conscient du danger et de la forte influence d’une vision radicale de l’islam en provenance des pays du Golfe et son impact sur son voisinage proche (Algérie, Mauritanie) et lointain (Mali, Libye, Burkina Faso), après ses expériences domestiques, a donc tenté de

(17) Voir Bakary Sambe (2010) qui met en avant le rôle des ressources symboliques dans les relations internationales.

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l’Est avec l’Ethiopie ou encore le Rwanda de Paul Kagamé, jusqu’à Madagascar.

Conscient de la difficulté de s’imposer en Méditerranée et d’un voisinage défavorable à l’est, en plus d’un destin atlantiste et d’une ouverture francophone, le Maroc s’est aujourd’hui positionné avec un cap irréversible vers le sud du Sahara. Ces dernières années, le modèle religieux marocain, sous l’impulsion d’une nouvelle dynamique du roi Mohammed VI, a su convaincre de la possibilité d’une pratique moderne de l’islam et de la production d’un contre-discours à la radicalisation ayant même séduit outre- Atlantique avec la forte implication du Royaume au sein du « Global counter-terrorism Forum » aux côtés des Etats-Unis dans une alliance stratégique qui diversifie ses partenaires

Finalement, la question peut se poser de savoir si le fort ancrage africain, avec la récente création d’un ministère de la Coopération africaine, aura mis fin aux efforts d’ouverture vers la Méditerranée et l’Atlantique ou s’il s’agissait plutôt d’une stratégie de positionnement afin de faire du Maroc une pièce-maîtresse et un point incontournable dans la nouvelle architecture politico-sécuritaire internationale qui se dessine au Sahel-Sahara. Plus que partout ailleurs, au gré des événements et des conjonctures, à l’heure d’une hybridation des menaces, le religieux semble effectuer un vigoureux retour si tant est qu’il ait quitté cet espace dont il a toujours structuré et façonné le destin, fût-il politique ou diplomatique.

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parfois de nouvelles directions. « Dieu devient compagnon de voyage » diront certains. Mais paradoxalement, ce temps-là est aussi celui où on s’éloigne des parents, des aînés, où l’on fait de nouvelles expériences religieuses. C’est donc un temps de négociation entre une religion héritée, transmise et une religion expérimentée dans la mobilité. Un temps parfois de butinage. S’agissant de donner un sens à son expérience migratoire face au défaut de reconnaissance juridique, aux discriminations vécues au quotidien, aux difficultés économiques rencontrées dans les pays d’accueil ou de passage, l’acceptation passe souvent par les communautés religieuses qui deviennent des communautés de destin. Dans les pays d’Afrique méditerranéenne, les églises catholiques et protestantes, désertées ou peu fréquentées depuis la fin de l’époque coloniale, se retrouvent ainsi redynamisées, et les acteurs religieux s’investissent à leur manière auprès de la société civile sur la question de l’aide et de l’accueil des migrants.

Mes recherches au Maroc s’inscrivent dans une anthropologie religieuse du mouvement, construite au fil des années et des terrains (Bava, 2018). J’ai pu ainsi analyser « les productions

Une Afrique méditerranéenne

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