• Aucun résultat trouvé

Une posture autour des représentations hybrides de l’environnement

I. Le renouvellement des représentations de l’environnement

2. Une posture autour des représentations hybrides de l’environnement

B. Debarbieux (2004) décline la notion de représentations entre matériel et immatériel, entre individuel et collectif et entre instrumentalisation ou non. Les deux premiers diptyques sont questionnés.

a. Matériel – Idéel6

La dichotomie entre matériel et immatériel semble devoir être abandonnée. De même, la dualité entre représentation dite mentale et dite stabilisée tend à montrer une interaction cons-tante, une co-alimentation.

« Les représentations peuvent d’abord être différenciées selon leur caractère immatériel et stabilisées dans des artefacts qui peuvent être matériels » (Debarbieux 2013, p. 667). La première représentation est parfois dite mentale et a trait avec l’esprit, c’est-à-dire avec des dimensions essentiellement cognitives mais aussi influencées par l’affectif ou le conatif. En tant que tel, elles sont du ressort de l’idéel, mais les processus physiques, biologiques ou neurologiques sont eux aussi matériels, ce qui remet en partie en cause la dichotomie classique entre matériel et immatériel des représentations. La seconde dite « représentations stabilisées » correspond à une présentation d’une représentation via un artefact sur un support via un vecteur : une représentation graphique (une carte par exemple), mais aussi un aménagement… Ces artefacts amènent à mieux comprendre comment est pensé et construit le monde : les représentations dites mentales et les représentations stabili-sées sont en interaction constante.

Ainsi, toute représentation peut être dite matérielle. Les représentations mentales sont géné-ralement analysées au prisme d’artefacts langagiers ou iconiques, produit par des individus vus comme membres d’un collectif ou de la société.

b. Social – Individuel

« Toute représentation est donc un processus cognitif d’élaboration mentale certes personnelle, mais largement influencée par des aspects collectifs, de sorte que l’analyse des représentations individuelles peut révéler des effets de structures liées, par exemple, à une appartenance sociale, politique ou territoriale commune à certains groupes » (Goeldner-Gianella et Humain-Lamoure 2010, p. 327). Deux types de représentations sont tradi-tionnellement distingués : d’une part les représentations sociales partagées par des groupes so-ciaux et d’autre part des représentations individuelles propres à chacun.

Les premières sont en partie du ressort de la sociologie ou de l’anthropologie et peuvent correspondre à la théorie du noyau central (Abric 1994). Le système de références fait penser au noyau central (vu comme cohérent, stable et partagé à l’échelle d’un collectif ou d’une société, scellé notamment par la mémoire), quand l’adaptation ressemble davantage au système périphé-rique (vu comme souple, évolutif, à même de faire face à des trajectoires ou à des expériences

- 36 -

individuelles). Postuler l’existence de groupes sociaux sous-entend d’une part la construction d’une représentation sociale – exogène (et parfois endogène) – de ce groupe d’individus considé-rés comme un collectif avec une identité partagée (par exemple les pêcheurs ou les politiques), mais aussi la reconnaissance que les membres de ces groupes sociaux présentent des points communs dans leur construction ou leur vision du monde du fait de leur appartenance à une entité. Dénommer une catégorie d’acteurs est déjà une représentation sociale partagée de l’extérieur, mais aussi parfois de l’intérieur (Debarbieux 2008). De nombreux travaux de géogra-phie sociale sont construits sur ce constat : des groupes sociaux partagent des traits qui permet-tent de les étudier ensemble. La géographie culturelle permet-tente de se saisir de ces représentations portées sur des groupes pour permettre d’étudier des logiques culturelles qui évoquent la société plus globalement. Derrière ces deux conceptions, apparaît une dimension politique à travers des termes qui font des représentations des idéologies, des instrumentalisations ou des reproductions notamment de stéréotypes (Hancock 2008).

Néanmoins, chaque individu est en mesure d’infléchir cette logique socioculturelle par sa trajectoire personnelle, son expérience, ses choix, ses envies ou ses aspirations. H. Gumuchian et al. (2003) ont insisté sur le fait que chaque individu est tout à la fois habitant, usager et citoyen. De même, les acteurs dits locaux étant, par définition, « multicasquettes » et « multiterritoriali-sés », les rôles et les statuts qu’ils endossent s’avèrent multiples et complexes. En outre, même en termes de représentations sociales, il faut insister sur le fait que les catégories sont poreuses, mouvantes, parfois superposées et toujours relatives.

Ainsi, les représentations sociales et individuelles ne se contentent pas de se superposer, elles interagissent. Le principe même du recueil de données en sciences sociales est souvent fon-dé sur ce principe : l’acteur est interrogé pour un de ses rôles sociaux, il représente une frange de la société, tout en étant digne d’intérêt en tant qu’un individu avec sa propre conception du monde.

C. Se représenter les milieux fluviaux

Le concept de représentation est transposable pour l’étude des fleuves. Ce prisme permet de relire différents concepts proposés par le passé pour l’étude des cours d’eau (tels le river continuum concept ou l’hydrosystème). Une approche anthroposystémique est proposée afin de fédérer diffé-rentes lectures des cours d’eau proposées par le passé. Diffédiffé-rentes notions (comme celles de ressources ou de discontinuités) permettent de synthétiser différentes dimensions des interac-tions sociétés – fleuves, sources d’enjeux, et de parvenir à une approche globale de l’environnement.

1. Des hydrosystèmes aux anthroposystèmes

Les études scientifiques autour des cours d’eau ont pu donner naissance à une dichotomie entre une approche dite physique et une approche dite sociale. Afin de repenser cette dualité, différents concepts proposés historiquement pour appréhender les cours d’eau sont esquissés. Conformément aux travaux d’Y.-F. Le Lay (2007), la notion d’anthroposystème semble favoriser les interactions entre hydrosystème et sociosystème.

- 37 - a. Du système fluvial à l’hydrosystème

Le River Continuum Concept présente le cours d’eau comme un gradient continu longitudinal expliquant son fonctionnement écologique à travers des critères géomorphologiques et biolo-giques (autour de la problématique des ajustements biotiques) (Vannote et al. 1980). Cette logique de succession amont – aval se retrouve en partie dans le système fluvial qui insiste sur les zones de production, de transfert et de stockage et sur un ajustement permanent du cours d’eau (Schumm 1977), dans une perspective de dynamique fluviale. Le River Continuum Concept insiste sur les dimensions biologiques, quand le système fluvial se positionne davantage dans des enjeux géomorphologiques.

Ces conceptions sont complétées par une vision du cours d’eau comme « un système ouvert à l’intérieur duquel des matériaux et de l’énergie peuvent entrer et sortir. Ce système est dynamique et un équilibre approximatif apparaît » (Piégay 1995, p. 21). Ainsi, le concept d’hydrosystème ne concerne qu’une partie du système fluvial (qui est lui à l’échelle du bassin versant) (Petts et Amoros 1987). L’hydrosystème présente quatre dimensions : une dimension longitudinale (de l’amont à l’aval), une latérale (du lit mineur à la plaine alluviale), une verticale (du lit mineur à la nappe d’accompagnement) et une historique (pour prendre en compte les mutations avec généralement une vision des sociétés comme élément perturbateur). Un des défauts de cette approche est de peu considérer les sociétés, souvent vus comme un forçage extérieur : à titre d’exemple de cette vision, « la stabilité géomorphologique du système du cours d’eau peut être perturbée par des activités telles la correction des cours d’eau, le retrait de la végétation riverainne, l’utilisation du sol et le changement climatique7 » (Gilvear 1999, p. 231). Pour redonner toute sa place aux humains et « mettre clairement en lumière son rôle majeur, historique et géographique, endogène et exogène aux tronçons d’étude », H. Piégay (1995, p. 22), inspiré par les concepts de géosystème et d’hydrosystème, propose la notion d’« hydrosystèmes anthropisés ». Une des difficultés majeures posées par cette expression réside dans l’anthropisation comme processus qui distingue l’humain du non-humain (le fleuve, le sédiment, le substratum, l’arbre…) pour faire de l’humain une composante externe de l’hydrosystème.

b. L’anthroposystème fluvial

L’anthroposystème est défini comme « un système interactif entre deux ensembles constitués par un (ou des) sociosystème(s) et un (ou des) écosystème(s) naturel(s) et / ou artificialisé(s) s’inscrivant dans un espace géographique donné et évoluant dans le temps » (Lévêque et van der Leeuw 2003, p. 121). Là encore une dualité entre humains (sociosystème) et non-humains (écosystèmes) est affirmée. En effet, dans les approches précédentes, les activités humaines sont souvent vues comme des forçages ou des perturbations : une telle conception peine à donner aux humains leur rôle d’acteur ou d’actant pour les confiner à une dimension externe d’agent. A titre d’exemple, G. M. Kondolf et K. Po-dolak (2014, p. 76) posent comme interrogation « comment les humains agissent comme agents géologiques pour accélérer ou ralentir les systèmes physiques et biologiques8 ». Ainsi, les termes d’impacts ou de pres-sions semblent emblématiques de cette représentation d’humains exogènes au système qui

7 “The geomorphic stability of a river system can be upset by such activities as river training, removing riparian vegetation, land use, and climatic change” (Gilvear 1999, p. 231).

8 “how have humans acted as geologic agents to speed up and slow down physical and biological systems” (Kondolf et Podolak 2014, p. 76).

- 38 -

traînent des conséquences néfastes : ce type de raisonnement semble alors reproduire une dicho-tomie vaine entre « nature » et « culture » souvent soulignée par la notion d’anthropisation.

Or la posture ici adoptée affirme que les cours d’eau sont produits par les sociétés qui par-fois les contraignent (transversalement via des seuils ou des barrages ou latéralement par des digues ou des épis), les entretiennent ou s’en détournent, s’en protègent ou les protègent, les utilisent et les valorisent en les érigeant comme des ressources. L’affirmation du concept d’« anthroposystème » (à l’interface entre des disciplines scientifiques et entre les sociétés et leur environnement) permet d’aborder la complexité du réel (Lévêque et van der Leeuw 2003), dans une approche qualifiée de dialogique (Figure 5).

Figure 5. Les représentations au cœur de l’anthroposystème fluvial

Inspirée par Y.-F. Le Lay (2007), cette figure présente à gauche des conceptions où les humains sont peu présents : l’hydosystème est présenté dans ses caractéristiques biophysiques. Le bloc diagramme per-met de représenter en noir la conception du système fluvial et en gris celle de l’hydrosystème, ses diffé-rentes dimensions et son imbrication d’échelles. A droite, le sociosystème est décrit par un jeu d’échelles : de l’individu aux sociétés modelées par différentes normes ou filtres de natures variées. Au cœur (et non comme une simple interface) se trouvent quatre concepts centraux pour la démarche : les représentations, les perceptions, les attitudes et les pratiques. Ces quatre éléments mettent en interaction les deux compo-santes principales du système. Les temporalités du système peinent à apparaître du fait d’une focale sur les échelles spatiales et sociales.

Ce concept d’anthroposystème fluvial vise à penser la dialectique société – milieux fluviaux : comme tout système ouvert, il est régi par un principe de dépendance interactive (soulignant l’interaction et la coévolution), d’émergence (avec l’apparition de propriétés nouvelles du fait de l’interaction) et de rétroaction, sources d’entités généralement hiérarchisées. Cette approche in-siste sur les dimensions spatio-temporelles et sous-entend « la coévolution fonctionnelle des sous-systèmes naturels et sociaux » (Lévêque et van der Leeuw 2003, p. 122). Une des difficultés posées par cette représentation réside dans le choix des termes : la focale sur l’anthrôpos pourrait être vue comme

- 39 -

une inversion du rapport de force, en donnant le primat à l’humain. Néanmoins, malgré l’étymologie du terme, les deux composantes sont mises sur le même plan.

D’autres concepts auraient pu être mobilisés comme par exemple le socio-écosystème ou le « système socio-écologique9 » utilisée notamment par G. S. Cumming (2011, p. 63) afin d’étudier les interactions et les coévolutions entre sociétés et environnements à différentes échelles spa-tiales et temporelles. De plus en plus mobilisé, il apparaît comme relativement proche. Néan-moins, l’entrée (et le choix des termes) semble peut-être trop proche de l’écologie pour être con-servée (malgré le préfixe centré sur les sociétés) : étudier les environnements fluviaux sous-entend d’allier de nombreux courants disciplinaires.