• Aucun résultat trouvé

Des discontinuités polymorphes ou plusieurs problèmes en un

ET L ’ ECLAIRAGE DU S ACRAMENTO

Carte 1. Les périmètres de gestion et le bassin « naturel »

2. Des discontinuités polymorphes ou plusieurs problèmes en un

La réflexion sur les discontinuités spatiales et temporelles vise à prendre en compte les diffé-rentes dimensions de l’hydrosystème, à la fois longitudinale, transversale et verticale. La dernière dimension (le temps) est abordée dans la sous-partie suivante. Toutefois, penser cet espace comme un tout n’invite pas à le considérer comme un espace homogène ou uniformisé mais plutôt comme un système dont chaque composante à une échelle fine évolue autour de traits propres et partagés.

a. Trois Rhône en un ? D’amont en aval

Si le bassin hydrographique est un maillage fondé sur des critères dits naturels, la plupart des zonages administratifs ou institutionnels répondent à des logiques historiques (et donc politiques, économiques ou socioculturelles). Ainsi, le Rhône est scandé à différentes échelles par des struc-tures distinctes aux prérogatives plus ou moins bien délimitées : « Cette incapacité à donner son assise à une région n’est que trop réelle. Succédant à bien d’autres divisions, la vallée est aujourd’hui partagée entre huit départements et trois régions économiques. Aucune nomenclature administrative, aucun manuel, aucune étude géographique, ne la considère comme un tout » (Bethemont 1972, p. 8)109. Le triptyque rhodanien consi-dère le Haut-Rhône, le Rhône moyen et le Bas-Rhône (parfois dit Rhône aval). Ces césures du Rhône se retrouvent dans la littérature mais aussi dans la sphère des gestionnaires du cours d’eau, notamment l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse.

Dans la littérature (voir par exemple Bravard 1987), le Haut-Rhône est défini comme le Rhône en amont de Lyon, ce qui pose la question d’une limite mouvante du fait de la croissance de l’aire urbaine lyonnaise. Mais la difficulté est encore accrue pour la frontière entre Rhône moyen et Bas-Rhône qui semble poreuse : certes l’influence méditerranéenne est souvent

109 Il faut rappeler que la thèse de J. Bethemont (et donc la citation extraite) ne porte que sur le Rhône en aval de Lyon. Il est néanmoins possible d’estimer qu’une extension spatiale du périmètre étudié accentue ou ne résout pas cette difficulté.

- 123 -

dérée comme source de dichotomie, mais cette influence n’est pas précisément cartographiable. De plus, doit-elle évoluer à l’heure de potentiels changements climatiques ? M. Provansal et al. (2014) considèrent que le Rhône aval débute à Orange et draine une plaine alluviale de 120 kilo-mètres. Si le triptyque est souvent évoqué, le Rhône peut aussi être segmenté en quatre espaces : le Haut-Rhône français jusqu’à la confluence avec la Saône, le Rhône moyen jusqu’à la con-fluence avec l’Isère, le Bas-Rhône jusqu’au delta et enfin le delta commençant à hauteur d’Arles (Bravard et Clémens 2008). Cette fragmentation spatiale ne semble pas forcément plus pertinente que la précédente : l’agglomération lyonnaise est segmentée entre Rhône amont et Rhône aval et la confluence Rhône-Isère semble trop focalisée sur un aspect physique du cours d’eau. De plus, aucun consensus sur la limite du Rhône aval existe : pour l’Agence de l’eau, la confluence de la Durance est jugée opérante, quand M. Provansal et al. (2012)110 choisissent le sud de Montélimar en soulignant le rôle de l’Ardèche. Ainsi, malgré l’emploi ancien et récurrent de ce découpage du Rhône, il demeure flou et changeant.

« De toutes les grandes monographies régionales présentées sous forme de thèse, dont s’enorgueillit la géogra-phie française, voici la première qui soit rhodanienne au sens strict. Entre les pays fortement individualisés du Massif Central, des Préalpes dauphinoises, entre les plaines aux caractères bien tranchés du Bas-Dauphiné d’un côté, de la Camargue et de la Crau de l’autre, le Rhône est un trait d’union ; mais les plaines et les bassins que traverse sa vallée sont une région de transition aux nuances infinies » (Allix 1929, p. 202-203). Ce compte-rendu élogieux de la thèse de D. Faucher (1927) montre l’ancienneté d’une vision du Rhône comme central pour comprendre l’organisation spatiale de sa vallée, à travers la métaphore du trait d’union. Par ailleurs, pour faire écho aux propos d’Allix, la thèse de Pardé est classiquement plutôt vue comme la première étude rhodanienne au sens strict, même si elle ne se conforme pas au modèle évoqué par Allix de la monographie régionale de l’Ecole française de géographie. Cependant, il faut souligner que l’histoire de la géographie rhodanienne est scandée par diffé-rentes thèses d’Etat de géographes de renom : M. Pardé sur Le Régime du Rhône (1925), D. Fau-cher au sujet des Plaines et bassins du Rhône moyen en Bas-Dauphiné et en Provence (1927), P. George à propos La région du Bas-Rhône (1935), J. Bethemont et Le thème de l’eau dans la vallée du Rhône (1972), P. Mandier et Le relief de la moyenne vallée du Rhône au tertiaire et au quaternaire (1984) ou J.-P. Bravard sur Le Haut-Rhône français : dynamique naturelle et impacts des travaux d’aménagement d’un fleuve et de sa vallée (1985). Sur ces six thèses, seuls les travaux hydrologiques fondateurs de Pardé raisonnent à l’échelle du Rhône français : les autres fonctionnent sur une régionalisation. Enfin, il faut citer la thèse suisse (et donc exclue du corpus) d’Hugentobler (1949) qui prend en compte tout le li-néaire du Léman à la Mer autour des problématiques de navigation.

Cette interrogation sur les découpages du Rhône est renforcée par les périmètres des mail-lages de gestion. Ainsi, sur le linéaire français, le Rhône est partagé entre trois régions (à savoir le trinôme entre Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon) mais aussi onze départements (Haute-Savoie, Ain, Savoie, Isère, Rhône, Loire, Drôme, Ardèche, Vaucluse, Gard et Bouches-du-Rhône). A une échelle plus fine, les cantons, les intercommunalités et les communes ainsi que différents syndicats (syndicats mixtes, syndicats d’irrigation…) s’inscrivent

110 Ce fascicule souligne d’ailleurs que le champ scientifique reste très structuré par cette logique entre amont et aval : « Cet ouvrage reprend volontairement la démarche entreprise lors de la réalisation du Rhône en 100 Questions, livre édité en 2008 qui présente le Rhône dans toutes ses facettes. […] Ce livre de vulgarisation invite le lecteur à découvrir quelques richesses et spécificités du Rhône aval. Au fil des pages, la personnalité du Rhône aval est ainsi esquis-sée » (Provansal et al. 2012). Bien évidemment, le Rhône aval présente des traits particuliers, comme l’influence méditerranéenne, le delta ou le littoral, mais cette structuration de la science ne semble pas favoriser l’émergence d’une pensée plus globale.

- 124 -

dans des démarches de production mais aussi de protection et de récréation à l’égard du fleuve Rhône.

Si le triptyque rhodanien apparaît régulièrement, ce n’est pas une représentation stabilisée de cet espace. De nombreux regards et objectifs se croisent, accentuant encore cette fragmentation dans la perspective longitudinale du cours d’eau. Cette logique de découpage ne doit pas faire oublier les interactions entre les différents espaces rhodaniens. Par ailleurs, dans la dimension transversale du cours d’eau, de nombreux traits semblent partagés dans le triptyque.

b. Deux Rhône en un ? De gauche à droite

« Aucun fleuve français n’a servi autant que le Rhône de barrière ou de frontière naturelle » (Chatelain 1944, p. 109). Si la notion de frontière naturelle par son déterminisme dérange, l’obstacle, la cou-pure ou la barrière sont mobilisables pour le Rhône. En effet, le fleuve a déterminé des frontières historiques : sous les règnes capétiens la limite séquano-rhodanienne tend à s’imposer et apparaît comme la frontière réelle du Royaume dès le début du règne de Saint-Louis (Rossiaud 1998). La discontinuité est abordée selon une logique transversale pour questionner la permanence de la discontinuité spatiale historique entre rive gauche et rive droite.

Cette coupure rhodanienne se retrouve aujourd’hui dans les limites départementales, malgré l’exception Rhône/Isère déplacée dans la plaine du Bas-Dauphiné depuis la fin du XVIIIème siècle. Le nombre de villes-doublets (Genève ou Seyssel) ou de villes-ponts est plus restreint que sur d’autres cours d’eau (Chatelain 1944) : Vienne/Sainte-Colombe, Condrieu/Les-Roches-de-Condrieu, Tain-l’Hermitage/Tournon-sur-Rhône, Valence/Guilherand-Granges (Figure 26), Avignon/Villeneuve-lès-Avignon, Beaucaire/Tarascon, Arles/Fourques. Exceptés les binômes Tain-l’Hermitage/Tournon et Beaucaire/Tarascon, les villes se sont développées au profit d’une seule des deux rives (la rive gauche), accentuant l’impression de dualité entre rive gauche et rive droite.

Figure 26. Valence en rive gauche et en rive droite ?

Cette carte postale appartient au fonds personnel de Mme Vallat. Timbrée en 1918, elle permet de mieux comprendre la dissymétrie du développement urbain. Si, en rive gauche, Valence compte dès 1911 plus de 26 000 habitants, Guilherand-Granges n’est peuplée que de 700 habitants. Le contraste est relati-vement saisissant entre une rive gauche urbanisée et une rive droite agricole. Par ailleurs, en termes d’aménagements rhodaniens, il faut noter la présence d’un pont de pierre et de rives relativement libres et non corsetées.

- 125 -

Cette fracture a pu être accentuée par une volonté de se protéger des crues du Rhône ou par les dommages causés par les crues, comme sur le pont du Teil (la ville doublet de Montélimar) reconstruit en 1932 (Chatelain 1944). Néanmoins, cet obstacle qui court-circuite rive gauche et rive droite a été une couture par le rôle des ponts (Pelletier 2002), mais aussi de la navigation : « le Rhône apparaît ainsi installé sur une sorte de ligne de suture, entre deux mondes qui s’opposent en un puissant défi » (Faucher 1968, p. 7). Le franchissement s’avère alors un enjeu crucial pour que les deux rives ne se tournent pas le dos. La vallée du Rhône est fortement structurée par des axes de transports méridiens, tandis que les axes transversaux jouent un rôle plus secondaire (Bethemont 1972). Sa délimitation est donc relativement aisée et s’apparente à un couloir au site plutôt étroit mais à la situation source d’attractivité. En effet, cet axe s’inscrit dans un isthme européen par son transit autoroutier (autoroute 7), routier (nationale 7) et ferroviaire (TGV Paris-Lyon-Marseille ou Trains Express Régionaux dits TER). Cette vallée assure donc une fonction de pas-sage avec des lignes à haute tension de 440 000 volts, cinq gazoducs et oléoducs, un oxyduc (Be-themont 1997b). Cet espace de transit multimodal s’avère crucial pour l’ensemble de l’espace français. Néanmoins, ce développement est dissymétrique et se concentre sur la rive gauche du fleuve (Lebreton et Falk 1980). Cette surreprésentation des infrastructures est source de satura-tion (les embouteillages répétés de l’autoroute A7) et donc de pollusatura-tions quotidiennes ou excep-tionnelles. Ces risques auxquels s’ajoutent les différentes expropriations ou les multiples chan-tiers donnent l’image d’une « vallée traumatisée » (Bethemont 1997b, p. 71).

Néanmoins, ce développement asymétrique connaît quelques rééquilibrages. De nombreux ponts ont été (re)construits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notamment pour ré-pondre aux destructions (Figure 27) et aux besoins croissants des automobilistes.

Figure 27. Un pont entre deux rives ? La destruction valentinoise de 1944

Cette carte postale appartient au fonds personnel de Mme Vallat. Elle permet de rappeler que les ponts sont un enjeu majeur en cas de guerre pour faciliter ou empêcher les déplacements des troupes et des populations. Le Génie français fait sauter deux arches du pont, inauguré en 1905 par Emile Loubet, côté Valence, en juin 1940. Un bac à traille le remplace. Un remorqueur toueur prend sa place en octobre 1944. Des travaux donnent naissance à un pont suspendu provisoire, inutile après l’inauguration du Pont Mistral et sa mise en service en 1967.

Cette reconnexion des deux rives a facilité l’extension urbaine : les communes de rive droite ont vu leurs populations croître fortement, telles Guilherand-Granges qui est passée de 4 433 habitants en 1962 à plus de 11 000 en 2011 ou Villeneuve-lès-Avignon de 6 422 à plus de 12 000.

- 126 -

De plus, si l’autoroute A7 ou la voie TGV Paris-Lyon-Marseille confortent l’axe conforme histo-rique reliant Marseille à Paris, des axes non-conformes se sont développés comme l’autoroute A9 ou l’extension du TGV en direction de l’Espagne dans un contexte d’ouverture européenne : si la commune de Rochefort-du-Gard (à proximité de la vallée du Rhône mais aussi de Nîmes) comp-tait 7 107 habitants en 2009, elle n’en avait que 2 018 en 1982. Avignon/Villeneuve-lès-Avignon et Arles/Fourques présentent un développement dissymétrique alors que Tarascon/Beaucaire ont un développement plus équilibré.

Une dichotomie entre rive gauche et droite reste visible, mais tend à s’estomper du fait de l’urbanisation et des aménagements. Toutefois, le travail proposé ne s’inscrit pas à l’échelle de l’aire urbaine, mais est fonction de l’appartenance ou non des communes au corridor rhodanien.

c. Etre ou ne pas être une commune rhodanienne

Les communes rhodaniennes sont généralement considérées comme les communes dont le finage est drainé par le Rhône. Une des difficultés de définition réside donc dans ce qui est con-sidéré comme étant le Rhône. En effet un raisonnement en termes de chenal ou de lit mineur réduit le nombre de communes considérées (Carte 2). L’échelle de la plaine alluviale semble da-vantage conforme aux choix d’envisager l’hydrosystème dans son ensemble selon les textes du SDAGE et du Plan Rhône (Carte 2).

- 127 -